Intervention de Florence Habets

Réunion du jeudi 10 février 2022 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Florence Habets, directrice de recherche au CNRS, équipe « Surface et réservoir » du Laboratoire de géologie de l'École normale supérieure :

. – Je me concentrerai sur les principes généraux de l'impact du changement climatique sur la ressource en eau. M. Andréassian s'intéressera quant à lui aux impacts de ce changement climatique en France.

La ressource en eau est uniquement constituée de l'eau douce facilement utilisable et peu polluée, soit moins de 0,1 % de l'eau sur Terre. Il s'agit peu ou prou de la part des pluies continentales qui ne s'évapore pas. Elle est majoritairement stockée dans les sols et les nappes souterraines et s'écoule dans les rivières.

L'eau est fortement liée à la biodiversité puisqu'elle est indispensable à toute forme de vie. Elle est aussi un habitat pour environ un million d'espèces, dont un tiers sont menacées d'extinction. L'eau et le climat sont liés, car l'eau est un régulateur du climat à travers ses changements de phase (glace, vapeur, liquide). Un rapide transport de la vapeur d'eau par l'atmosphère permet de réguler les variabilités spatiales.

Comment le dérèglement climatique affecte-t-il la ressource en eau ?

En premier lieu, on observe une modification de la distribution spatiale des précipitations. L'énergie reçue par la planète, principalement au niveau de l'Équateur, permet à l'air humide de s'élever et de former des nuages. De fortes précipitations ont ainsi lieu à l'Équateur. L'air, qui s'est asséché, redescend ensuite au niveau de la surface terrestre vers 30 degrés de latitude, ce qui explique la formation de déserts. Inversement, au niveau des hautes latitudes, l'air est soulevé par le froid polaire qui conduit à la formation de nuages et donc à des précipitations. On observe donc une bande humide au niveau de l'équateur, des bandes sèches au niveau des 30 degrés de latitude puis à nouveau des bandes humides. Ces bandes sont affectées par le dérèglement climatique, car en émettant des gaz à effet de serre, on modifie le bilan d'énergie de l'atmosphère. L'atmosphère ayant plus d'énergie, les nuages sont poussés plus haut au niveau des tropiques et s'élargissent, ce qui augmente les précipitations. L'air revient alors en surface plus loin, ce qui induit un décalage des zones sèches vers les hautes latitudes. Les zones humides des hautes latitudes se décalent à leur tour. En synthèse, certaines zones du globe s'humidifient pendant que d'autres s'assèchent.

La France se situe entre le nord de l'Europe, qui s'humidifiera, et le sud, qui s'asséchera, notamment dans la zone méditerranéenne, qui connaîtra un assèchement très marqué et où la situation est similaire à celle de la zone du Mexique et de la Californie, où les incendies se multiplient ces dernières années et où les barrages hydroélectriques sont vides.

La modification de l'intensité des précipitations est un autre impact du changement climatique. Cela s'explique par la quantité d'eau portée par l'atmosphère, qui est plus importante quand l'air est plus chaud, ce qui produit une colonne d'eau plus grande. Quand il pleut, le volume d'eau qui tombe est alors plus important. En moyenne, l'augmentation de l'eau précipitable est de 7 % par degré Celsius de réchauffement. Avec une hausse de 3 degrés, cela représente une augmentation de 30 % des précipitations les plus intenses. Ces pluies les plus intenses sont plus fréquentes en été et en automne et peuvent se produire sur toute la planète, à l'exemple de ce qui s'est produit en juillet 2021 en Allemagne. Ces inondations pluviales, si l'eau n'est pas retenue dans les sols, s'accompagnent d'érosion et de transferts de polluants.

Ce phénomène sera également à l'origine d'un assèchement. En effet, la vapeur d'eau provient principalement des océans qui se réchauffent moins vite que les continents et n'apportent donc pas suffisamment de vapeur d'eau au‑dessus de ces derniers, en raison du gradient de température. Il existe donc un déséquilibre au‑dessus des océans, qui crée un déficit de vapeur d'eau au‑dessus des continents et qui accroît la demande évaporative. L'eau du sol s'évapore plus vite, ce qui augmente le risque de sécheresse. La durée des sécheresses agronomiques s'accroît pour chaque demi‑degré de réchauffement et peut augmenter jusqu'à 30 % à certains endroits.

Le dérèglement climatique n'est pas le seul facteur affectant la ressource en eau. La variabilité naturelle du climat est aussi à prendre en compte. En étudiant les débits de la Loire, on observe que pendant des périodes de 20 ans environ, le débit est de 15 % supérieur ou inférieur à la moyenne. Cela est dû à des variations naturelles de température de la surface de l'océan qui modifient la direction des fronts pluvieux. On risque de mal s'adapter si on ne tient pas compte de ces variabilités, qui se poursuivront dans le cadre du dérèglement climatique, voire s'intensifieront. Il existe toutefois un potentiel de prévisibilité.

Enfin, les activités humaines affectent aussi les ressources en eau. L'homme stocke déjà une masse d'eau importante – 20 % de la capacité naturelle de stockage des sols – et il mobilise pour ses usages environ 50 % des débits des rivières. Or, la consommation d'eau humaine est aujourd'hui une cause majeure de l'intensification des sécheresses hydrologiques (assèchement des rivières). Il existe un antagonisme entre la réduction des sécheresses agronomiques et l'amplification des sécheresses hydrologiques, les efforts menés pour réduire les premières ayant tendance à aggraver les secondes. Or, la nature est en équilibre – chaque action produit des rétroactions –, il y a un risque de faire basculer le système vers un nouveau point d'équilibre. En hydrologie, on constate des problèmes de salinisation, de réduction des deltas par perte de sédiments, voire de disparition de lacs naturels, comme la mer d'Aral ou le lac Tchad. Il est assez difficile d'anticiper l'ampleur de ces rétroactions, il faut donc faire attention à ne pas dépasser les limites.

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