. – J'aborderai les retenues comme éventuelle solution d'adaptation à la fragilisation de la ressource en eau. Je vous parlerai de petites retenues, de moins d'un million de mètres cubes, et vous présenterai des éléments issus d'une expertise scientifique collective sur l'impact cumulé des retenues sur la ressource en eau.
Combien y a-t-il de plans d'eau en France ? Les grands ouvrages sont connus avec environ 560 barrages qui représentent dix milliards de mètres cubes. En revanche, les plus petits ouvrages sont mal connus et répertoriés. Certains départements ont des bases de données relativement complètes mais il n'existe pas de base de données homogène nationale. Néanmoins, comme vous pouvez le voir sur ma présentation, plusieurs modes d'évaluation des surfaces en eau ou des retenues aboutissent à une surface totale similaire d'environ 4 000 kilomètres carrés, bien que la répartition sur le territoire diffère selon la méthode utilisée. Les petits plans d'eau de moins de 10 hectares sont beaucoup plus nombreux que les grands, qui représentent en revanche le volume le plus important.
Une retenue recouvre une grande diversité d'usages et d'ouvrages. Les usages peuvent être l'irrigation, les loisirs, la pisciculture ou la pêche, avec une répartition des usages majoritaires différente selon les régions. Les divers modes d'alimentation des retenues ont par ailleurs des effets différents sur le milieu : on distingue les retenues alimentées par pompage dans la nappe ou la rivière, les retenues collinaires alimentées par le ruissellement des versants, les retenues alimentées en dérivation – avec un cours d'eau qui s'écoule normalement en dehors des périodes de remplissage – et les retenues en barrage sur cours d'eau. Les retenues collinaires et en barrage sur cours d'eau sont les plus nombreuses en France.
Les évaporations peuvent représenter une partie importante du bilan hydrique. On peut également constater une part d'infiltration éventuelle vers la nappe souterraine, mais s'il s'agit de retenues de stockage, ces écoulements sont limités. Des sorties ont également lieu par surverse pour les retenues collinaires ou par vanne de fond pour les plus grosses retenues, avec un débit réservé pour les retenues sur cours d'eau quand elles respectent les normes, et par prélèvement pour les usages d'irrigation.
Les impacts des retenues sur le milieu aquatique sont divers. Elles influencent l'ensemble des caractéristiques fonctionnelles du milieu, car elles retardent les écoulements et modifient l'amplitude, la dynamique et la saisonnalité des flux et des concentrations des éléments qui y entrent. Pour l'hydrologie, cela représente une perte d'eau pour le cours d'eau aval, avec notamment une diminution des débits à l'étiage et un retard de la reprise des écoulements à l'automne, qui peut nuire aux organismes aquatiques. D'un point de vue hydromorphologique, la retenue stocke les sédiments – notamment les plus grossiers produits sur les versants – ce qui diminue sa capacité de stockage de manière non négligeable dans les zones où l'érosion est importante. Elle modifie également le lit du cours d'eau en aval avec soit une incision du lit, soit un colmatage du cours d'eau, ce qui nuit aux capacités de frayère pour certains poissons. Concernant la qualité de l'eau, on observe une constitution de stocks de phosphore dans les retenues avec un risque d'eutrophisation au sein de la retenue et d'augmentation des températures.
D'un point de vue écologique, la retenue modifie les conditions du milieu en matière de débit, de température et de qualité de l'eau et donc les caractéristiques de l'habitat dans le lit du cours d'eau. La retenue représente aussi une rupture de la connectivité du cours d'eau, ce qui limite les possibilités de brassage entre communautés et de recolonisation de certains cours d'eau. Cela induit des richesses spécifiques moindres. Les retenues tendent aussi à favoriser l'introduction d'espèces invasives.
Pour évaluer l'impact cumulé, il n'y a pas de méthode définie. Il faut procéder par sous‑bassins, regarder le taux d'équipement et si les retenues sont sur les cours d'eau ou à l'extérieur, ainsi que leurs usages. Ces données sont cependant difficilement mobilisables. Si les impacts varient, des constantes existent néanmoins : la diminution des débits annuels avec l'altération du régime hydrologique, l'assèchement en été et un retard aux écoulements à l'automne, mais aussi un écrêtement des débits de crue qui entraîne un impact écologique important. L'impact est d'autant plus fort que les années sont sèches. La signature thermique des cours d'eau influencés par des retenues est en outre différente de celle des cours d'eau naturels. Les cours d'eau influencés par des retenues de taille modeste ont une température significativement plus élevée, ce qui a un impact notable sur l'écologie du cours d'eau et sur les organismes aquatiques, mais aussi sur les phénomènes d'eutrophisation. Du point de vue de l'écologie, la richesse spécifique en poissons s'effondre si de nombreuses retenues se trouvent en aval, car les échanges entre les différents brins du réseau hydrographique sont fortement diminués.
En synthèse, les retenues, leurs caractéristiques et leurs usages sont encore mal connus. Il faudrait réaliser un travail de terrain important. La présence de retenues sur un bassin versant influence nécessairement l'ensemble du fonctionnement de l'hydrosystème. Savoir si cela est acceptable sur un territoire suppose de déterminer collectivement les enjeux et les objectifs, en tenant compte des changements à venir. Une planification à long terme est donc nécessaire sur une échelle dépassant celle du seul bassin versant où l'on souhaite installer des retenues.
Les retenues de substitution, dont on entend beaucoup parler comme solution au problème de fragilisation de la ressource en eau, consistent à prélever l'eau dans le milieu hors période d'étiage. À volume équivalent, leur impact est moindre que celui d'un barrage sur cours d'eau. Toutefois, avant d'utiliser cette solution à très grande échelle, il faut comprendre l'impact écologique des débits de hautes eaux sur le milieu, en matière d'hydromorphologie ou de cycle de vie des espèces aquatiques. Cela pose en outre des difficultés pratiques de mise en œuvre. Si l'on souhaite prélever l'eau en période de hautes eaux ou de crues, on doit faire face au plafonnement du débit des pompes et il n'est pas envisageable de suréquiper tous les cours d'eau en pompes extrêmement puissantes. De plus, les retenues actuelles se remplissent déjà essentiellement en hautes eaux. Enfin, des retenues qui seraient remplies de façon active en puisant dans les cours d'eau ou dans les nappes ne seraient remplies qu'une fois par an, alors que certaines retenues utilisent deux à trois fois leur volume nominal au cours d'une saison parce qu'elles se vident par évaporation ou prélèvement et peuvent recapter un volume d'eau important si elles sont collinaires ou situées sur un cours d'eau.