Intervention de Catherine Néel

Réunion du jeudi 10 février 2022 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Catherine Néel, directrice de projets « Gestion résiliente des hydrosystèmes » au Cerema :

. – Le Cerema est un établissement public qui travaille au service des collectivités pour les aider dans leur transition écologique et dans leur adaptation au changement climatique dans des domaines qui dépassent celui de l'eau.

Je vais vous parler de la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) comme solution possible d'adaptation au changement climatique. À quoi cela correspond‑il ? Par rapport à un cycle conventionnel de l'eau qui rejette l'essentiel des eaux traitées par les stations d'épuration dans le milieu, la réutilisation des eaux usées traitées permet d'utiliser tout ou partie de cette eau. En France, cette technique est utilisée majoritairement pour des usages agricoles (à 60 %), pour arroser des golfs (à 30 %) et minoritairement pour l'industrie et les usages urbains. Je parlerai exclusivement de la réutilisation des eaux usées traitées issues des stations d'épuration installées en zone urbaine, gérées par des collectivités, car cela représente le plus grand gisement et les marges d'actions les plus larges. Il existe néanmoins aussi des eaux usées qui sont traitées par des stations privées (parcs d'attraction, complexes hôteliers, etc.) et, ailleurs dans le monde, des dispositifs décentralisés d'assainissement non collectifs.

L'avantage majeur de cette technique est d'assurer une disponibilité de l'eau même en période de pénurie, car on ne prélève pas sur la ressource, mais sur l'eau produite en permanence par les usages domestiques de l'eau. Il faut néanmoins garantir les équilibres naturels, notamment dans les périodes de débit faible et à l'étiage. En effet, pour l'essentiel des usages des eaux usées traitées que je vous ai cités, on restitue l'eau usée sous forme d'évaporation et non au milieu. Si le débit journalier de la station d'épuration dépasse la moitié du débit d'étiage du cours d'eau, il n'est pas approprié de soustraire cette eau usée traitée au cours d'eau. Il faudrait alors créer un stockage en dehors de la période d'étiage, mais cela revient au problème des retenues d'eau.

Si l'on assure une disponibilité de l'eau même en période de pénurie, il ne faut pas pour autant freiner la nécessaire transition vers la sobriété des usages. La REUT permet aussi de préserver l'eau potable et de préserver les usages de l'eau mais il faut faire attention au prix, qui peut être supérieur à celui de l'eau brute – jusqu'au triple – et donc problématique pour des agriculteurs. En système littoral, cette mesure d'adaptation au changement climatique est positive, car on valorise de l'eau douce avant de la rejeter en mer.

En France, on observe des niveaux de stress hydrique variables. Le taux de réutilisation des eaux usées traitées est de 0,1 à 1 %, contre 12 à 14 % en Espagne. Toutes les stations d'épuration ne sont cependant pas suivies, et il manque donc 20 % des données. On produit entre 5 et 8 milliards de mètres de cubes d'eaux usées traitées chaque année, mais seuls 7 à 10 millions de mètres cubes sont utilisés. Une étude de 2019 menée à l'échelle européenne montre qu'il existe un potentiel d'utilisation de l'ordre de 120 millions de mètres cubes par an en France. Il est toutefois difficile de comparer les chiffres entre les pays, car les systèmes d'assainissement collectifs sont différents. En France, les stations d'épuration sont plus nombreuses, mais plus petites qu'en Espagne. On recense 63 cas d'utilisation d'eaux usées traitées contre 150 en Espagne. Les stations d'épuration espagnoles étant de grande taille avec un bon niveau de traitement, environ 60 % de l'eau usée traitée est utilisée par station, alors qu'en France, le taux est compris entre 8 et 13 %. Ainsi, le potentiel d'utilisation des eaux usées traitées en Espagne, qui est de l'ordre de 1 200 millions de mètres cubes par an, est supérieur à celui de la France. Même si notre potentiel évalué est moindre, il existe une importante marge de progrès. Il y a déjà une évolution à souligner puisque le nombre de projets se multiplie, notamment depuis 2014, année où la réglementation française a été clarifiée. Il est tout à fait possible de dépasser les objectifs des Assises de l'eau, à savoir tripler l'utilisation des eaux usées conventionnelles.

Un groupe de travail interministériel travaille à identifier les freins et leviers au recours des eaux usées conventionnelles pour un meilleur déploiement en France. Quels sont les leviers à actionner, que ce soit au niveau des territoires ou au niveau de l'État, pour que la REUT soit une bonne solution d'adaptation au changement climatique ? La REUT doit s'inscrire dans un projet de territoire en ne limitant pas l'étude de faisabilité au niveau de la station d'épuration. Il faut de surcroît travailler en lien avec les plans énergie climat et les plans d'alimentation territoriaux, car cela concerne l'énergie, l'alimentation et l'agriculture. Un plan de communication doit également être adossé à cette planification pour renforcer la confiance et éviter des conflits locaux entre particuliers et agriculteurs.

Il faut par ailleurs faire évoluer le modèle économique pour répartir les charges entre les acteurs, surtout lorsqu'on envisage des usages mixtes avec les collectivités qui bénéficient au privé. Il est en outre nécessaire de renforcer le multiusage par des coopérations pour maximiser le taux d'utilisation des eaux usées par station. Pour cela, il serait souhaitable que l'État attribue des incitations financières durables, au‑delà d'un simple appel à projets. Les règles doivent être harmonisées en ce qui concerne l'eau brute, qui est parfois de moindre qualité que les eaux issues des stations d'épuration, pour accroître la compétitivité des eaux usées traitées.

Le cadre réglementaire doit être harmonisé et stabilisé par l'État afin que les projets se concrétisent, avec des règles agiles pour expérimenter de nouveaux usages ou systèmes. Utiliser les eaux usées traitées revient à transférer des eaux d'un bassin vers un autre. Ces eaux pourraient être également utilisées pour d'autres usages actuellement non autorisés, comme l'alimentation en eau potable.

Comme je l'ai indiqué, la marge de progrès est de l'ordre d'une centaine de millions de mètres cubes par an, ce qui doit être mis en regard des 32 milliards de mètres cubes prélevés chaque année en France et des 5,5 milliards de mètres cubes utilisés pour l'alimentation en eau potable.

Il est enfin important de continuer à soutenir la recherche et l'innovation pour améliorer la connaissance, renforcer la confiance par rapport aux risques – qui existent – et faire des analyses prospectives pour évaluer les coûts évités.

En conclusion, la REUT engage de nombreux acteurs et a de multiples bénéfices parfois difficiles à quantifier. Cette solution touche à plusieurs domaines : l'eau mais aussi l'énergie et l'alimentation. C'est une solution très centralisée qui nécessite des investissements et un suivi pour maîtriser les risques. Elle n'est pas adaptée partout, et doit être planifiée et réglementée. Elle peut représenter une bonne solution d'adaptation, à condition de savoir l'aborder dans toute sa complexité.

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