Intervention de Gérard Longuet

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office :

‑ Malgré mon grand âge et mon expérience interminable de la vie publique, je reste optimiste et confiant. Le problème consiste justement à identifier les difficultés.

À la demande de la commission des finances du Sénat, j'ai travaillé sur l'enseignement des mathématiques. Pourquoi le système a-t-il peu de productivité ? Nous avons identifié deux difficultés incontestables et une troisième plus incertaine.

La première difficulté incontestable est que 80 % des professeurs des écoles ont une formation littéraire au sens large et ne sont pas à l'aise dans les enseignements scientifiques en général et les enseignements mathématiques en particulier. Or, les professeurs des écoles interviennent en primaire ce qui crée, dès le départ, un premier décrochage. Il faut donc se demander pourquoi diable 80 % des candidats au concours de professeur des écoles sont des littéraires, des sociologues ou éventuellement des historiens mais jamais des scientifiques.

Pourtant, de nombreuses actions sont menées et, le rapport de Charles Torossian et Cédric Villani formulait des propositions très concrètes. Certaines ont été mises en œuvre mais avec une grande inertie du fait de la loi des très grands nombres puisque nous parlons de dizaines de milliers d'emplois. 850 000 ou 900 000 enseignants travaillent dans l'enseignement public ; c'est énorme et déplacer la moindre virgule est d'une complexité effrayante. C'est la raison pour laquelle j'ai une certaine admiration pour l'administration de l'éducation nationale car arriver à gérer un « truc » aussi massif est une performance.

La deuxième difficulté incontestable touche à la rémunération des professeurs de mathématiques – et sans doute de sciences, mais je connais moins les sciences – dans le secondaire. Ces emplois sont en compétition avec des débouchés rémunérateurs. Je ne parle pas uniquement des traders mais tout simplement des informaticiens. Quand on est confronté à des perspectives salariales dans ce genre de métier qui sont de 50 % à 100 % supérieures à celles de l'enseignement, il est évidemment difficile de recruter.

Or, la rémunération dans la fonction publique est structurée sur une grille unique. Que vous soyez capésien en gymnastique, en mathématiques ou en histoire, vous avez le même traitement en fonction de la même ancienneté. C'est contrebattu par la loi de l'offre et de la demande puisque l'offre de professeurs de gymnastique est plus élevée que l'offre de professeurs de mathématiques.

La troisième difficulté, heureusement incertaine aujourd'hui, est que les mathématiques ont trop été une condition d'accès aux bons enseignements depuis la grande démocratisation de l'enseignement secondaire, c'est-à-dire depuis les années 1960. Les mathématiques ont toujours été le critère privilégié de classement.

Ceci n'a certes pas que des inconvénients, mais dans les professions médicales, par exemple, la question s'est toujours posée de savoir si les mathématiques n'étaient pas « surpondérées » dans l'appréciation de ce que doit être un bon médecin, les dimensions humaines étant moins considérées. Je suis incapable de trancher. Je relève simplement qu'estimer des dimensions humaines est assez compliqué alors que noter un exercice mathématique est relativement plus facile.

La situation s'inverse actuellement : la sélection des élèves doit tenir compte de toute une série de critères, dont les performances scolaires, mais celles-ci comptent de moins en moins. En un mot, je n'entrerais pas aujourd'hui au lycée Henri IV alors que, en 1962, je n'ai eu aucun problème. J'habitais le quartier, j'avais fait des études dans une école secondaire assez moyenne et assez modeste mais ça passait.

Nous voyons un mouvement de balancier entre l'hypersélection et, par réaction, l'ouverture sur des critères variés. Je pense que c'est un « petit problème » parce que de plus en plus d'élèves auront des stratégies d'évitement et des stratégies d'accès à l'enseignement supérieur en fonction des règles de sélection appliquées, ce qui n'est pas intellectuellement satisfaisant.

Il faut néanmoins se concentrer sur les deux premiers aspects : comment faire en sorte que les scientifiques soient candidats au concours des professeurs des écoles et comment mieux rémunérer les enseignants de mathématiques ? Le vivier est déjà étroit mais, si, en plus, ils vont tous vers la banque ou l'informatique, il n'y aura plus de bons professeurs de mathématiques.

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