Intervention de Virginie Tournay

Réunion du jeudi 17 février 2022 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Virginie Tournay :

‑ Pour identifier les difficultés à développer la culture scientifique, je considère qu'il faut tenir compte de certains enjeux fondamentaux en termes de pédagogie formelle et des conditions de sa mise en œuvre. Je partage ce qui vient d'être dit sur les blocages institutionnels de l'éducation nationale. Il est également important de ne pas réduire le problème de la culture scientifique aux seules questions d'inégalité d'accès à la connaissance ou de vulgarisation, même si ces aspects ne doivent pas être négligés.

Nous sommes en effet confrontés à un problème de fond, celui de la confiance sociale. Les sondages montrent clairement que les Français restent attachés à la culture scientifique mais cela ne signifie pas que l'autorité sociale, l'autorité institutionnelle de la culture scientifique est forte aujourd'hui dans notre société. La crise sanitaire a montré que l'abondance de rhétorique scientifique n'a pas donné une légitimité accrue à la science. Par exemple, la vaccination n'apparaît pas plus qu'avant comme un principe civique d'immunité collective. Je rappelle que seule la moitié des Français adhéraient pleinement à la vaccination en avril dernier. Les études du baromètre de confiance politique du CEVIPOF montrent que les réfractaires à la vaccination ont un très faible niveau de confiance dans les institutions politiques et que plus de 70 % d'entre eux n'ont plus le sentiment d'appartenir à l'État-nation. À travers les problématiques de culture scientifique, c'est en fait notre rapport au politique et aux institutions qui est directement interrogé.

Le problème de la culture scientifique – et tous les problèmes rencontrés en matière de vulgarisation – est que celle-ci n'est plus aujourd'hui associée à une conception républicaine de l'intérêt général. Elle n'apparaît plus comme un élément qui pourrait réunir les citoyens autour d'un patrimoine culturel partagé. Notre société semble n'avoir plus du tout la conscience du caractère cumulatif des connaissances. Il faut donc trouver le moyen de redonner une sorte de cohérence institutionnelle et des repères matériels, institutionnels, aux citoyens.

Un autre point est propre à la communication politique de la science et la pandémie nous a donné à cet égard une leçon exemplaire. Comment peut-on communiquer sur les situations d'incertitude liées à un état de connaissance ? La pandémie est un phénomène qui n'est absolument pas prévisible, elle relève de l'aléa naturel. Or, vous le savez bien, le politique ne peut donner à la population les moyens de se protéger qu'au regard des connaissances qu'il a à sa disposition. C'est toute la difficulté du passage de l'expertise scientifique à la prescription politique. Dans la problématique du renforcement de la culture scientifique, le politique a une énorme responsabilité, qui consiste à mettre en avant l'idée de doute raisonnable.

Par exemple, je pense que la suspension au niveau européen du vaccin AstraZeneca a été une catastrophe en termes de confiance des citoyens dans la science. On a toujours tendance à focaliser son attention sur les risques très improbables de l'action en matière d'innovation, sans prêter suffisamment d'attention au risque certain de l'inaction. C'est vraiment un problème et je ne sais pas du tout comment inverser cette tendance, qui est devenue structurelle.

Mon troisième point est que toutes les disciplines scientifiques n'ont pas le même risque de politisation ou le même risque de susciter des controverses sociales. Je pense à tout ce qui a trait au domaine du nucléaire, de l'alimentation, des biotechnologies ou des préoccupations écologiques. Ces champs scientifiques ne sont pas du tout comme les autres. Aujourd'hui, l'astrophysicien qui travaille sur le boson de X est beaucoup plus tranquille que le chercheur qui travaille dans le domaine du génie génétique. C'est lié au fait que la perception sociale de la cumulativité des connaissances n'est pas du tout la même selon les champs disciplinaires. Il faut comprendre mieux la façon de réfléchir et appréhender la culture scientifique en fonction des disciplines et de leurs particularités épistémologiques.

Enfin, j'ai le sentiment que la culture scientifique doit à tout prix s'accompagner d'une prospective scientifique éclairée. Nous vivons une rupture brutale, une rupture de fond dans notre société. Des pans entiers de professions et de pratiques technologiques modifieront la société dans les dix ans qui viennent. Je pense au télétravail, à la télémédecine, etc. S'il est un message important à transmettre en matière de culture scientifique, c'est que les citoyens doivent avoir conscience des changements brutaux en cours aujourd'hui et qu'ils doivent être en mesure de les inscrire dans l'histoire longue de nos sociétés. Le moment est vraiment très particulier et il faut que les jeunes aient conscience de ces bouleversements numériques, de toutes ces innovations, du fait que nous sommes entrés dans un basculement radical de nos manières de vivre.

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