. – La question me semble être celle de la répartition de la valeur. Comment est‑elle créée, qui en profite, comment peut‑on la gérer ? Bien évidemment, elle est créée à la fois par le recueil des données et par la production scientifique.
De plus en plus, notamment dans les sciences dures, les articles sont publiés par des auteurs collectifs – on compte parfois 300 signataires. En sciences humaines et sociales, il y a de plus en plus de coécritures, et il n'est pas toujours facile de distinguer entre les auteurs. Ne nous voilons pas la face, il y a aussi des formes d'accaparement de la production scientifique, notamment dans certaines disciplines où les directeurs de recherche signent systématiquement les travaux de leurs étudiants, parce qu'ils estiment qu'il s'agit d'une manière de récompenser leur encadrement.
Le problème recoupe la crise de l'intermédiation que nous avons déjà abordée à l'Office. Nos sociétés reconnaissent de moins en moins la valeur apportée par les intermédiaires, y compris dans le domaine politique. En tant que représentants de la Nation, nous sommes des intermédiaires entre le peuple et les pouvoirs publics, et nous avons du mal à faire valoir notre rôle et notre investissement.
Dans les sciences humaines et sociales, le travail des éditeurs, le récolement des textes, les corrections syntaxiques, typographiques et orthographiques, la mise en forme, la relecture par des tiers ainsi que la valorisation de la revue ne sont pas perçus. Ils ne l'ont jamais vraiment été, du reste : derrière les œuvres de Victor Hugo, on oublie que des ouvriers typographiques relisaient les textes et les mettaient au propre. Dans une œuvre littéraire ou artistique, il y a toujours un travail d'atelier.
Aujourd'hui, ce travail a du mal à être valorisé. On a tendance à croire que la relation entre le lecteur et l'auteur pourrait être immédiate, et que l'auteur pourrait directement mettre en ligne son travail, comme dans les réseaux sociaux. Il faut absolument redonner de la valeur à ce travail de médiation, ce que les éditeurs privés n'ont probablement pas assez su faire.
Par ailleurs, dans les sciences dures, d'autres éditeurs, comme Nature ou Science, se contentent de vendre une marque afin de permettre aux auteurs de profiter du rayonnement de la revue. Comme les marques du luxe, ces marques ont des rendements faramineux tout à fait immoraux.
Ce vol de la production scientifique ne doit pas faire oublier que, dans certains domaines de la production, un apport important de la part des éditeurs risque d'être mis en péril par la science ouverte. Tel est l'objet de notre rapport.
La difficulté est d'aller à l'encontre de l'idée généreuse selon laquelle, puisque la science appartient à tout le monde, elle doit être libre tout de suite. L'application de cette idée généreuse peut produire des désastres.