Intervention de Florence Lassarade

Réunion du mardi 22 février 2022 à 13h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure :

J'évoquerai à présent les conséquences indirectes de la crise sanitaire sur les enfants et les adolescents. Ils sont peu touchés par les formes sévères de Covid, mais leur quotidien a beaucoup changé depuis le début de la crise sanitaire. Lors du premier confinement, les écoles ont été fermées. Les enfants ont ensuite été éloignés de l'enseignement par les fermetures ponctuelles de classes. Pour les plus petits, un changement majeur est sans doute le port du masque par les adultes qui les entourent, notamment dans les structures comme les crèches.

Le quotidien des familles elles-mêmes n'est pas tout à fait revenu à la normale : moins de visites à la famille élargie et aux amis, moins de sorties. L'anxiété ambiante due aux incertitudes sur la pandémie et ses effets sanitaires a touché les enfants, surtout dans la première phase de l'épidémie.

Ces changements ont-ils eu des conséquences indirectes néfastes pour les enfants et les adolescents ? Nous avons identifié quatre sujets d'inquiétude : l'acquisition du langage chez les tout-petits, l'apprentissage scolaire, la santé mentale et l'activité physique.

Le port du masque par les adultes encadrant les tout-petits a-t-il eu des conséquences sur l'acquisition du langage ? Les orthophonistes que nous avons auditionnés n'ont pas observé d'augmentation de consultations pour troubles du langage. Ils ont indiqué que les enfants utilisent de nombreux indices visuels dans leurs interactions avec les adultes, et pas seulement les lèvres. En revanche, le port du masque est susceptible de gêner les enfants qui présentaient déjà des difficultés telles qu'un retard de langage, et il constitue alors une difficulté supplémentaire.

Une partie des professionnels de la petite enfance estime que les enfants s'adaptent plutôt bien au masque. Certains observent néanmoins des difficultés de communication, une moins bonne attention et un moins bon engagement dans leurs activités, des difficultés à répéter les mots prononcés par les adultes et, semble-t-il, moins de babil chez les tout-petits. Les professionnels, qui sont souvent des femmes, estiment que le port du masque change leur façon de travailler. Ils parlent moins, mais compensent en enrichissant le discours par un volume sonore augmenté, une exagération de l'articulation ou des expressions des yeux. Le masque inclusif, qui avait été présenté comme un outil intéressant, n'a pas été du tout plébiscité par le personnel, décrivant inconfort et buée. Les enfants ne le demandent généralement pas, certains étant même effrayés par ce type de masque.

Les quelques travaux de recherche réalisés montrent que les enfants de près de deux ans ne sont pas gênés par le port du masque pour reconnaître les mots qu'ils connaissent déjà (je parle ici d'enfants qui n'ont pas de déficit de vocabulaire). Les chercheurs en sciences du langage ont attiré notre attention sur le fait que les défauts et les retards d'acquisition du langage sont souvent corrélés à des difficultés socio-économiques. Or la crise a certainement aggravé la situation économique de nombreux foyers. Elle peut ainsi être susceptible d'affecter les capacités langagières de nombreux enfants.

Des études plus nombreuses seront nécessaires pour mieux cerner les conséquences négatives de la crise sur le développement des enfants. Le masque étant susceptible d'affecter l'intelligibilité du discours en environnement bruyant, il serait bon que les mêmes études soient réalisées dans des environnements mimant l'atmosphère d'une crèche ou d'une école.

Nous recommandons d'identifier les enfants qui, en crèche, en maternelle ou à l'école primaire, ont des difficultés à interagir avec les adultes qui portent un masque, pour éventuellement proposer à ceux-ci de porter un masque inclusif, nonobstant les réserves que nous venons d'émettre. Dans les crèches, il conviendrait de favoriser des temps d'échanges privilégiés avec les enfants qui présentent particulièrement des déficits de langage liés à un défaut de stimulation ; tout ceci nécessite un repérage préalable. Enfin, dans la lignée du rapport de la commission des 1 000 premiers jours publié en septembre 2020, il serait intéressant de communiquer plus largement sur la nécessité d'interagir avec les tout-petits auprès des professionnels de santé, de la petite enfance, des jeunes parents.

Au-delà de la toute petite enfance, la crise a-t-elle eu des conséquences sur l'apprentissage scolaire ? Les évaluations nationales menées par le ministère de l'Éducation nationale ont montré que la fermeture des écoles en 2020 a causé un déficit d'apprentissage. L'éducation à distance a eu le mérite de maintenir un lien entre enseignants et élèves, mais elle n'a pas pleinement rempli le rôle habituel de l'école. Cependant, la même évaluation réalisée un an plus tard a montré qu'une partie des lacunes ont été résorbées.

L'inquiétude porte surtout sur ceux qui sont entrés à l'université pendant cette période ainsi que sur les élèves des filières professionnelles pour lesquelles l'école à distance ne peut fonctionner. Qu'en est-il de ces jeunes ? Parviendront-ils à s'insérer dans le marché du travail ? Quelle est la valeur de leurs diplômes ?

La présence à l'école est encore plus importante pour les élèves issus des milieux défavorisés. C'est chez les élèves provenant d'établissements REP et REP + que le niveau a le plus baissé. L'enseignement à distance nécessite à la fois du matériel, une bonne réception Internet, ce qui n'est pas toujours le cas dans les campagnes, mais aussi un savoir-faire des parents souvent lié à leur propre utilisation de l'informatique au travail. Par ailleurs, les filles ont été davantage sollicitées que les garçons pour participer aux tâches domestiques alors qu'à l'école, tous les enfants bénéficient d'un cadre plus privilégié et préservé pour étudier. À vrai dire, le système d'enseignement français n'était pas franchement préparé à passer à l'école à distance. Les enquêtes de l'OCDE indiquent que la France est en retard dans l'utilisation du numérique alors que les systèmes d'enseignement les plus efficaces sont ceux qui incluent un peu le numérique. Les enseignants n'y sont que peu formés. L'usage du numérique nécessite également des infrastructures dédiées dont la maintenance soit assurée. Les nombreux problèmes rencontrés pour accéder aux espaces numériques de travail sont édifiants. Le système n'était pas prêt. La crise a mis en lumière les lacunes du système français : un engouement moindre pour l'enseignement des matières scientifiques et le fait que, de réforme en réforme, le temps de classe se réduit et non le programme. Nos recommandations sont donc de continuer de maintenir les écoles ouvertes autant que possible, particulièrement dans les filières où l'enseignement à distance est peu praticable. Ensuite, il nous faut tirer des leçons de cette crise pour prévoir, en cas de nouveau besoin impérieux, une réorganisation de l'enseignement, en veillant à ce qu'aucun enfant ne soit exclu du système. Il convient d'ailleurs d'y préparer les enseignants et les enfants, mais aussi leurs familles. Enfin, le ministère de l'Éducation nationale doit travailler à une meilleure inclusion du numérique dans le système d'enseignement, prévoyant la formation des enseignants, mais aussi la mise en place et la maintenance rigoureuse des infrastructures nécessaires.

La crise sanitaire a-t-elle eu des conséquences sur la santé mentale des enfants et des adolescents ? Les enfants ont vu leur quotidien bouleversé par la crise sanitaire, notamment par la fermeture des écoles. L'anxiété ambiante les a certainement affectés, notamment via le stress qu'elle a généré chez leurs parents. Les données des réseaux des secours, c'est-à-dire des urgences et de SOS-Médecins, ont montré une augmentation, dont le professeur David Cohen nous a parlé. Les tableaux dépressifs chez les adolescents ont doublé en nombre à partir de mi-septembre 2020. Début 2021, une intensification des passages aux urgences pour gestes suicidaires, idées suicidaires et troubles de l'humeur a été observée chez les 11-17 ans, en particulier chez les jeunes filles. Début janvier 2022, le recours aux soins d'urgence pour troubles de l'humeur a retrouvé des niveaux habituels, mais celui pour idées et gestes suicidaires demeure à des niveaux élevés. Ces données sont très peu représentatives des enfants et des adolescents puisqu'elles ne prennent en compte que la partie émergée de l'iceberg.

Santé publique France a lancé une étude en septembre 2020 pour mieux évaluer les effets du confinement sur la santé mentale des adolescents. Elle a montré que les plus touchés étaient ceux qui présentaient des facteurs de vulnérabilité accrue de nature sociale : le fait de venir d'une famille plus fragilisée, de connaître des conditions de logement moins confortables ou des conditions économiques difficiles. La hausse préoccupante des cas de troubles psychiatriques chez les enfants et adolescents a également révélé les tensions hospitalières. Le secteur clinique, on le sait, se plaint d'un manque d'attractivité conduisant à des fermetures de lits, il se dit oublié du Ségur de la Santé et se désole que la recherche ne s'intéresse pas plus à la psychiatrie.

Nous recommandons que le ministère des Solidarités et de la Santé, en lien avec le ministère de l'Éducation nationale, se mette en mesure d'évaluer de manière pérenne l'état de santé mentale des enfants et des adolescents. Par ailleurs, il serait nécessaire, bien sûr, de réinvestir dans le secteur de la psychiatrie, tant à l'hôpital qu'en recherche, pour prendre en charge, conformément à leurs besoins, les enfants et adolescents présentant des troubles mentaux. J'ajoute qu'il faudrait séparer, et ce n'est pas toujours fait, les services de pédopsychiatrie de ceux de psychiatrie adulte, en particulier dans les services d'urgences psychiatriques.

J'en viens à la dernière question traitée dans ce chapitre. Les confinements et plus largement la crise sanitaire ont-ils eu des conséquences sur l'activité physique des enfants et des adolescents ? Le manque d'activité physique doit être considéré comme un risque sanitaire. Le diabète et l'obésité sont justement des facteurs de risque de formes graves de Covid chez les enfants âgés de plus de deux ans. La crise sanitaire a-t-elle eu réellement un retentissement sur la pratique d'activités physiques par les enfants et les adolescents ? L'Observatoire national de l'activité physique et de la sédentarité (ONAPS) a étudié l'impact du premier confinement sur l'activité physique. Plus de 40 % des enfants de plus de six ans et près de 60 % des adolescents ont connu une diminution de leur activité physique, cette proportion étant plus grande chez ceux qui étaient initialement les plus actifs. Le temps passé assis, indicateur de sédentarité, a augmenté et le temps passé devant les écrans a augmenté pour deux tiers des enfants et adolescents. C'est préoccupant car la sédentarité masquerait les effets bénéfiques de l'activité physique.

L'activité physique, par contre, a augmenté pour 50 % des enfants de moins de 6 ans, de façon plus marquée chez les enfants vivant en milieu rural ou périurbain ou ayant un accès à des espaces extérieurs. D'autres travaux ont observé une chute des capacités physiques, mais aussi intellectuelles, qui seraient liées au manque d'effort, entre les enfants testés en janvier 2020 et ceux testés en janvier 2021. Nous avons eu une audition très intéressante avec le Pr. Martine Duclos qui n'a jamais vu un tel déclin en une année chez les enfants de cet âge. Les personnes auditionnées ont souligné que le contexte social peut jouer sur la capacité des enfants à maintenir une activité physique pendant une période de confinement, à la fois par le contexte d'habitation, mais aussi par l'acculturation des parents aux méfaits de la sédentarité.

Notre recommandation est donc de promouvoir tous les moyens permettant de lutter contre la sédentarité des enfants, notamment les cours de récréation dynamiques et les « rues écoles ». On nous a également parlé de « vélo bureau ». Promouvoir l'activité physique et sportive des enfants, particulièrement dans le cadre scolaire, serait intéressant pour ses bienfaits reconnus sur la santé.

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