Nous le savons tous, l'invasion russe en Ukraine emporte des conséquences économiques importantes et aggrave encore les fortes hausses des prix de l'énergie que nous connaissons depuis l'automne dernier. Elle rend aussi difficile l'approvisionnement de notre économie en matières premières agricoles, en métaux et en intrants chimiques. Mais les conséquences de la guerre en Ukraine sont avant tout humaines, et la tragédie que vivent les Ukrainiens a poussé un nombre grandissant d'entre eux à se réfugier dans des pays européens. Nous nous devons de les accueillir dans les meilleures conditions possible et avons ouvert des crédits à cette fin.
Afin de financer le plan de résilience économique et sociale ainsi que l'accueil de ces populations réfugiées, il nous faut ouvrir en urgence les crédits nécessaires. Le rôle de ce décret n'est néanmoins pas de couvrir l'ensemble des conséquences budgétaires de l'intervention militaire russe mais de mettre à disposition les crédits qui sont immédiatement nécessaires pour faire face à l'urgence de la situation. C'est ainsi que nous vous proposons d'ouvrir 5,95 milliards d'euros de crédits alors que nous estimons pour l'instant, en fonction des hypothèses retenues, que le coût du plan de résilience pourrait s'élever à 7,1 milliards d'euros. Les ouvertures de crédits que nous vous soumettons pour avis permettent de mettre en œuvre les mesures annoncées par le Premier ministre jusqu'au mois de juillet sans hypothéquer les choix politiques, économiques et budgétaires du futur gouvernement et des parlementaires.
Comme vous le savez, l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances dispose que les décrets d'avance sont équilibrés budgétairement. C'est la raison pour laquelle je vous présente des annulations de crédits d'un montant strictement égal aux ouvertures, en précisant qu'elles ne conduisent à l'arrêt ou à la réduction d'aucun dispositif, dans la mesure où ces crédits ne sont pas nécessaires pour les quatre mois qui viennent puisqu'ils sont soit liés aux mesures d'urgence, soit mis en réserve – et nous avons toujours veillé à ce que des annulations sur des crédits mis en réserve ne compromettent pas le fonctionnement des ministères concernés.
Si nous ouvrons et annulons des crédits sur les mêmes missions, monsieur le président, c'est pour garantir la plus grande lisibilité possible du décret d'avance. Ainsi, nous provisionnons 400 millions d'euros pour aider les transports routiers, et annulons 60 millions de crédits dans la même mission. Nous aurions pu nous contenter d'ouvrir 340 millions d'euros, mais la lisibilité du coût réel de la mesure d'aide au secteur routier aurait été moindre.
Un mot sur le soutien que nous apportons à nos entreprises, à nos emplois et au pouvoir d'achat des Français dans le cadre du plan de résilience économique et sociale.
Afin d'amortir les chocs de la crise économique, nous avons instauré une remise à la pompe de 15 centimes par litre hors taxe du 1er avril au 31 juillet pour tous les consommateurs, particuliers et professionnels. Cela représente un coût d'environ 3 milliards d'euros. Nous allons aussi compenser une part des factures de gaz et d'électricité des entreprises qui en consomment beaucoup et subissent des pertes du fait de la crise : celles pour lesquelles la facture d'énergie représente plus de 3 % de la valeur de la production, et qui ont connu un doublement des factures d'énergie et des pertes d'exploitation en 2022. Ces aides pourront aller jusqu'à 25 millions d'euros par entreprise, voire 50 millions d'euros pour certaines entreprises énergo-intensives, et couvriront une période de dix mois, jusqu'à la fin de l'année 2022. Nous estimons le coût de la mesure à plus de 3 milliards d'euros, sous toute réserve puisqu'il dépend de l'évolution des prix du gaz et de l'électricité. Nous avons prévu son financement jusqu'à fin juillet, pour laisser ouverts les choix à faire pour le reste de l'année. En parallèle, une réflexion est engagée afin de créer un dispositif ciblé pour les ménages modestes utilisant leur voiture pour aller travailler et pour les grands rouleurs. Il fait l'objet de travaux complémentaires et son financement n'apparaît pas dans le décret d'avance.
Nous voulons protéger les entreprises qui connaissent des difficultés temporaires de trésorerie du fait de la crise. Nous avons ainsi renforcé le dispositif des prêts garantis par l'État (PGE) jusqu'au 1er juillet 2022. Ils resteront accessibles pour toutes les entreprises et pour quelque motif que ce soit. Le Gouvernement a décidé de relever le montant du PGE pour les entreprises particulièrement affectées par la crise ukrainienne, pour qu'il puisse atteindre 35 % du chiffre d'affaires contre 25 % dans le dispositif général. Nous avons aussi mis en place une facilité de trésorerie garantie par l'État à hauteur de 10 % du chiffre d'affaires à partir de début juillet pour les entreprises particulièrement touchées. Ces mêmes entreprises pourront recourir à des prêts industrie de BPIFrance ainsi qu'au dispositif renforcé de report de charges sociales et fiscales tel qu'il avait été conçu pendant la crise sanitaire, et, si les conditions sont remplies, elles pourront prolonger jusqu'à douze mois supplémentaires le bénéfice de l'activité partielle de longue durée (APLD) pour les accords déjà signés et renégocier des accords d'APLD jusqu'au 31 décembre 2022 plutôt que jusqu'au 30 juin.
Enfin, pour soutenir les filières les plus affectées, des mesures particulières ont été prises. Dans le domaine de l'agriculture, nous créons une aide aux éleveurs pour prendre en charge une partie de la hausse du prix de l'alimentation animale, pour quatre mois à partir du 1er avril, le temps que cette hausse se répercute dans les prix des produits concernés. Nous ouvrons pour cela 400 millions d'euros de crédits, ainsi que 150 millions à destination de la Mutualité sociale agricole (MSA) pour prendre en charge les exonérations de cotisations patronales au bénéfice des agriculteurs. Enfin, un mécanisme d'avance sur le remboursement du gazole non routier (GNR) au profit des exploitants agricoles au titre de 2022, égal à 25 % des consommations de 2021 telles que déclarées par les exploitants, est instauré pour renforcer la trésorerie des exploitations. Parallèlement, nous avons pris des mesures plus stratégiques de moyen et long termes, en lançant de nouvelles négociations commerciales entre les acteurs de la chaîne agroalimentaire pour sécuriser nos producteurs et nos entreprises, et en travaillant à sécuriser notre production d'engrais et de protéines végétales.
Pour les pêcheurs, un dispositif exceptionnel d'aide a été acté. Il répond au surcoût du litre de carburant avec une aide de 35 centimes du 17 au 31 mars, puis de 20 centimes du 1er avril au 31 juillet, qui viendra en complément de la réduction transversale de 15 centimes. Un premier acompte sera versé par l'Établissement national des invalides de la marine aux marins pêcheurs qui en feront la demande, pour un effort de l'ordre de 30 millions d'euros. Nous discutons avec les collectivités territoriales compétentes pour continuer à accompagner la filière pêche.
Pour les transporteurs, nous ne prendrons pas en compte la remise de 15 centimes dans le niveau d'indexation des gazoles, ce qui représente par camion une économie pouvant atteindre 1 300 euros sur quatre mois. Par ailleurs, le remboursement partiel de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sera mensuel pendant les mois qui viennent, au lieu d'être trimestriel, ce qui constituera un soutien immédiat à la trésorerie des entreprises de transport. Enfin, 400 millions d'euros de subventions seront accordés sous la forme d'une aide au véhicule, en fonction de ses caractéristiques et au titre des pertes constatées au cours des dernières semaines. Nous prévoyons aussi des mesures spécifiques pour les taxis et les véhicules de tourisme avec chauffeur. Ainsi, nous verserons aux chauffeurs de taxi une avance sur le remboursement de TICPE au titre de l'année en cours égale à 25 % du montant des consommations déclarées pour 2021.
Pour la filière des travaux publics, un effort sera demandé aux acteurs publics pour qu'ils incluent des clauses de révision des prix dans les contrats, et aussi qu'ils n'appliquent pas les pénalités de retard dû à la crise. Nous travaillons à une aide spécifique pour compenser la hausse des prix du GNR.
Je précise que les ministres travaillent avec les secteurs économiques concernés pour arrêter les critères précis d'attribution des aides. Ce travail est mené avec les secteurs professionnels en lien avec la Commission européenne pour veiller à respecter le cadre particulier et temporaire des aides d'État dans cette période.
Outre les mesures du plan de résilience économique et sociale, le décret d'avance finance l'accueil des populations ukrainiennes venues se réfugier en France, afin qu'elles puissent bénéficier de l'allocation prévue dans le cadre de la protection temporaire – un statut différent de celui de demandeur d'asile, que nous activons pour la première fois – et pour les accompagner en matière de logement et subvenir à leurs besoins. Cette intervention permettra de financer le soutien à l'accueil, à l'orientation et à l'hébergement en urgence de ceux qui fuient la guerre, pour un montant de 400 millions d'euros.
Pour financer l'ensemble de ces mesures d'urgence à destination des ménages, des entreprises et des populations réfugiées, nous devons ouvrir au plus vite 5,95 milliards de crédits. Le respect du critère d'urgence nous a conduits à considérer que les crédits ouverts par le présent décret d'avance devaient couvrir les besoins jusqu'à la fin du mois de juillet. Aussi, nous proposons d'ouvrir 2,99 milliards de crédits pour financer la remise à la pompe de 15 centimes dans le programme Service public de l'énergie ; 1,5 milliard d'euros pour aider les entreprises à faire face aux pertes liées au prix de l'énergie dans le programme Développement des entreprises et régulations ; 550 millions d'euros dans le secteur agricole, dont 400 millions d'euros pour la prise en charge du surcoût alimentaire et 150 millions d'euros pour la prise en charge d'une part des cotisations patronales dans le programme Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture ; 30 millions d'euros destinés à l'aide aux pêcheurs sur le même programme ; 400 millions d'euros pour le secteur du transport routier dans le programme Infrastructures et services de transports ; 80 millions d'euros pour les mesures concernant les entreprises du secteur des travaux publics au titre du programme Développement des entreprises et régulations ; enfin, 400 millions d'euros pour financer l'accueil des populations ukrainiennes, dont 300 millions d'euros dans le programme Immigration et asile et 100 millions d'euros dans le programme Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables.
Comme le dispose la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), le décret d'avance prévoit l'annulation de crédits à due concurrence des crédits ouverts. Je tiens à vous assurer que les ministères et administrations pourront remplir leurs missions sans en être affectés. Les besoins des ministères pour mettre en œuvre les dispositifs votés par le Parlement dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2022 sont assurés. Les annulations que nous vous proposons seront réexaminées dans le cadre d'une prochaine loi de finances rectificative, sachant que l'essentiel porte sur des crédits mis en réserve.
Nous vous proposons dans un premier temps d'annuler des crédits d'un montant de 3,474 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement dans la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire, pris pour 1,924 milliard d'euros dans le programme Renforcement exceptionnel des participations financières de l'État dans le cadre de la crise sanitaire, pour 550 millions d'euros dans le programme Prise en charge du chômage partiel et financement des aides d'urgence aux employeurs et aux actifs précaires à la suite de la crise sanitaire, pour 500 millions d'euros dans le programme Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire et pour 500 millions d'euros dans le programme Compensation à la sécurité sociale des allègements de prélèvements pour les entreprises les plus touchées par la crise sanitaire, ces allégements étant moins importants que prévu du fait de la reprise économique.
S'agissant de l'impact qu'auront ces annulations et reports sur le solde pour 2022, je précise que la LOLF autorise le Gouvernement, si le Parlement l'y autorise en loi de finances, à reporter des crédits non utilisés. L'article 65 du PLF pour 2022, autorisant le déplafonnement des reports, nous a permis d'en faire d'importants. Nous y avons procédé jusqu'à la date autorisée, le 31 mars. L'impact sur le solde pourrait être estimé dans un premier temps à hauteur du montant des crédits qui font l'objet d'un report et d'une annulation, soit un peu moins de 4 milliards d'euros. En réalité, c'est plus compliqué : nous devons tenir compte de l'effet des nouvelles mesures sur les recettes, notamment celles des entreprises que nous allons accompagner, et des effets retours en matière d'impôt sur les sociétés, dans un contexte où, indépendamment des recettes liées à l'énergie, la dynamique des recettes fiscales est meilleure que celle prévue dans le PLF pour 2022. La commission des finances pourra affiner ce chiffrage lors de l'examen du prochain texte financier.
Nous proposons aussi d'annuler des crédits d'un montant de 488 millions d'euros dans le programme Avances à des organismes distincts de l'État et gérant des services publics, car la situation financière des organismes bénéficiant de ces avances le permet. Enfin, nous proposons d'annuler de manière transversale des crédits du budget général de l'État, pour un montant de 1,988 milliard d'euros. Tous les ministères y contribueront de façon solidaire, en veillant cependant à ne pas toucher aux programmes faisant d'ores et déjà l'objet de tensions, relatifs par exemple aux charges de l'énergie, à l'asile ou à l'hébergement d'urgence. Au delà de l'effort de lisibilité que j'ai mentionné, il serait contre-productif de mettre à contribution des programmes dont nous savons que la réserve de précaution risque d'être mobilisée.