Comme je l'avais fait en mai 2021 pour le précédent décret d'avance, je présenterai en trois parties mon avis sur le présent projet de décret : d'abord, j'en rappellerai brièvement le contenu ; puis j'examinerai sa conformité aux règles fixées par la LOLF ; enfin j'évoquerai les raisons qui me conduisent à proposer à la commission d'émettre un avis positif.
Un décret d'avance est, par construction, équilibré, dans la mesure où cet outil ne permet pas de modifier le solde défini en loi de finances initiale. Le présent projet de décret tend à procéder à des ouvertures nettes de crédits de 5,9 milliards d'euros et à des annulations d'un même montant. Les ouvertures portent essentiellement sur les missions Économie et Écologie, développement et mobilités durables.
Ce décret d'avance est une traduction du plan de résilience économique et sociale présenté par le Premier ministre notamment pour faire face à la hausse supplémentaire brutale des prix de l'énergie et des matières premières. Il permet aussi de financer l'accueil des réfugiés ukrainiens, effort auquel la France doit participer – je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point.
La remise à la pompe de 15 centimes hors taxes entre le 1er avril et le 31 juillet 2022 représente 3 milliards d'euros, soit environ la moitié des mesures financées. La remise effective sera de 18 centimes en France métropolitaine si l'on tient compte de la TVA.
Par ailleurs, une aide exceptionnelle aux entreprises dites énergo-intensives est prévue, pour un montant de 1,5 milliard d'euros. L'enjeu est de permettre à ces entreprises d'absorber la hausse des prix de l'énergie et de prévenir, le cas échéant, l'arrêt de leur activité. Il a été annoncé que cette mesure serait appliquée jusqu'au 31 décembre 2022, mais le présent projet de décret ne prévoit son financement que jusqu'à la fin du mois de juillet.
Le reste des crédits ouverts dans le cadre du plan de résilience correspond aux mesures d'ordre sectoriel que le ministre a décrites tout à l'heure : 550 millions d'euros d'aides au secteur agricole, pour faire face à la hausse du coût de l'énergie et de l'alimentation animale ; 30 millions d'euros de soutien aux pêcheurs, de telle sorte que la remise sur le prix du carburant s'élève pour eux à 35 centimes par litre ; 400 millions d'euros en faveur du secteur routier ; 80 millions d'euros en faveur du secteur des travaux publics.
Pour finir, 400 millions d'euros seront ouverts pour financer les dépenses liées à l'accueil et à l'hébergement des réfugiés ukrainiens.
Pour ce qui est des annulations, dont le montant doit donc être identique à celui des ouvertures, elles portent pour environ 3,5 milliards d'euros sur des crédits du plan d'urgence issus de reports de 2021 sur 2022. Environ 1,9 milliard d'euros sera en outre annulé sur des crédits provenant quasi intégralement de mises en réserve dans 83 programmes du budget général et un budget annexe. Au total, 87 programmes du budget général sur les 138 qui structurent la loi de finances initiale seront concernés par des annulations. Enfin, près de 500 millions d'euros seront annulés sur des avances de trésorerie à des établissements fragilisés par la crise sanitaire : reportés de 2021 sur 2022, ces crédits n'ont plus d'objet.
Si l'on récapitule les mouvements de crédits sur la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire, on constate que les reports de 2021 sur 2022 au sein de cette mission permettent de financer non seulement une partie du décret d'avance grâce aux annulations que j'ai évoquées, mais aussi la consommation attendue sur ces programmes en 2022, qui correspond principalement à des restes à payer – la compensation des allégements de charges sociales faisant exception : elle fera l'objet d'un ajustement en trésorerie dans le cadre d'un prochain texte financier.
J'en viens à l'examen de la conformité du décret d'avance aux règles fixées par la LOLF.
Le projet de décret respecte les trois conditions formelles fixées par le texte organique. Premièrement, il respecte l'équilibre budgétaire fixé par la loi de finances initiale pour 2022, puisque le montant des ouvertures de crédits est égal à celui des annulations. Deuxièmement, le montant des crédits ouverts par le décret d'avance est inférieur au plafond de 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année. D'après notre calcul, le ratio correspondant atteint 0,8 %, ce qui est une proportion importante, mais moindre que dans le décret d'avance de mai 2021. Troisièmement, le montant des crédits annulés est inférieur au plafond de 1,5 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année.
Je l'ai dit, les annulations sur la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire et sur le programme Avances à des organismes distincts de l'État et gérant des services publics s'appuient sur des reports d'environ 4 milliards d'euros, lesquels affectent mécaniquement le solde budgétaire défini par la loi de finances initiale pour 2022. Le prochain PLFR devra donc prendre en compte ces évolutions, tout comme il devra traiter de l'évolution des autres paramètres affectant le solde budgétaire.
En outre, les ouvertures proposées par le décret d'avance doivent satisfaire à une condition d'urgence. En l'espèce, je pense que nous pouvons tous convenir que l'évolution et le niveau des prix de l'énergie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine constituent une situation d'urgence évidente, en plus de la situation humanitaire très difficile pour les réfugiés ukrainiens. Notons que le plan de résilience économique et sociale complète les mesures prises depuis l'automne pour faire face à la hausse des prix de l'énergie, notamment le bouclier tarifaire.
Les règles formelles prévues par la LOLF étant respectées et l'urgence établie, le recours à un décret d'avance est justifié. Les mesures présentées sont en outre financées par des crédits reportés, dont la vocation était précisément de faire face à une urgence, et par des crédits qui avaient été mis en réserve par précaution, donc inutilisables par les responsables de programmes. La sélectivité dans l'annulation des réserves permet par ailleurs d'éviter de fragiliser certaines politiques, comme l'a confirmé le ministre délégué. Je le répète, aucune politique publique ne verra son ambition, sa trajectoire ou ses investissements remis en cause par ces différentes annulations.
En tout état de cause, l'équilibre budgétaire de la dernière loi de finances sera modifié par le nouveau contexte. Dès lors, un PLFR devra déterminer dès que possible les conditions d'un nouvel équilibre financier, après les échéances électorales des prochains mois.
Le recours à un décret d'avance paraît justifié dans le contexte actuel. J'invite donc la commission des finances à formuler un avis positif sur ce projet de décret.