Intervention de Florence Peybernes

Réunion du jeudi 31 mars 2022 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Florence Peybernes, présidente du Haut Conseil du commissariat aux comptes :

Je suis très honorée de me retrouver pour la seconde fois devant vous. Le président vous a expliqué quelles étaient les circonstances qui amènent la présidente du Haut Conseil à être à nouveau auditionnée par la commission des finances si rapidement.

Étant auparavant première présidente de cour d'appel, j'ai consacré cette première année à découvrir l'institution du Haut Conseil et surtout la profession de commissaire aux comptes. Celle-ci se montrait inquiète de l'entrée en vigueur de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi PACTE, s'interrogeant même sur son utilité aux yeux de la représentation nationale.

J'ai consacré ma première année à prendre connaissance de la diversité des commissaires aux comptes. Je me suis beaucoup déplacée, dans les compagnies régionales comme en outre-mer, où les caractéristiques sont très différentes. J'ai également noué des relations fructueuses avec TRACFIN, qui travaille sur des sujets communs aux commissaires aux comptes.

J'ai rencontré les deux principaux syndicats de la profession, ainsi que la Fédération française des firmes pluridisciplinaires (F3P), qui regroupe les cabinets les plus importants de la place de Paris. J'ai eu beaucoup d'entretiens avec des cabinets d'importance intermédiaire, ou avec les grands cabinets lorsqu'ils ont des questions très particulières à traiter.

Mon deuxième objectif a été de rétablir un dialogue de confiance entre la profession et son régulateur ; je pense y être parvenue. Je mène désormais un dialogue régulier et fructueux avec M. Yannick Ollivier, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), sur tous les sujets intéressant la profession. C'est l'originalité de l'autorité publique indépendante que je préside : elle n'a qu'un seul interlocuteur, à savoir la profession des commissaires aux comptes. C'est toute la différence avec l'Autorité des marchés financiers (AMF), par exemple, qui peut connaître du cas de citoyens lorsqu'ils commettent un délit d'initié.

Le Haut Conseil compte une soixantaine de collaborateurs et réalise un chiffre d'affaires d'environ 15 millions d'euros, provenant exclusivement des cotisations versées par les commissaires aux comptes. Ces cotisations reposent, d'une part, sur le chiffre d'affaires de la totalité des mandats et, d'autre part, sur les mandats des entités d'intérêt public (EIP), c'est-à-dire des principales sociétés ou institutions financières de notre pays.

J'ai fortement accentué la modernisation des outils de l'institution depuis ma prise de fonction, développant le portail mis à la disposition des commissaires aux comptes pour établir en ligne la totalité des démarches avec leur régulateur.

Par ailleurs, j'ai entrepris un chantier important lié à la réforme des contrôles, qui avait déjà été engagée par mon prédécesseur et par le collège. Il est nécessaire de moderniser et d'informatiser la planification des contrôles, tant ceux effectués par le Haut Conseil, qui portent sur les EIP et sur les non-EIP les plus importantes, que ceux délégués à quelque 450 commissaires en exercice. Cela représente plus d'un millier de procédures par an.

Il était également nécessaire de modifier notre manière de travailler en privilégiant des contrôles plus agiles, fondés sur les risques, avec des intensités et des occurrences variables. Le Haut Conseil connaît bien les commissaires aux comptes : ceux-ci disposent d'un numéro personnel, équivalent du numéro de sécurité sociale, qui les suit tout au long de leur carrière et qui permet de savoir dans quel cabinet ils exercent, sous quelle forme juridique, quels sont leurs clients, leurs mandats, etc. Plutôt que d'effectuer des contrôles complets, qui ne sont plus nécessaires, le Haut Conseil doit se consacrer à ce qui doit être amélioré dans les cabinets. Nos contrôles reposent donc sur une évaluation des risques, laquelle nécessite une base de données solide et des outils pour la tester ; c'est ce que nous sommes en train de créer.

Nous développerons cette année notre travail à l'international. Depuis que le Royaume-Uni a quitté l'Union européenne, le marché français est devenu le plus important ; les commissaires aux comptes de France et leur régulateur ont donc une voix forte à faire entendre au sein de l'Europe. Quant au régulateur, il mène une intense coopération avec ses homologues européens, notamment dans le cadre de sa présidence du Comité des organes européens de contrôle de l'audit (CEAOB), qui est l'instance de conseil des régulateurs de l'audit auprès de la Commission européenne.

La semaine prochaine, j'interviendrai dans un colloque organisé par nos homologues bulgares sur le co-commissariat aux comptes. Cette manière d'exercer est une exception en Europe, que nos amis bulgares pratiquent comme nous. Nous avions déjà abordé ce thème lors du Joint Audit Day, le 29 novembre dernier, organisé avec l'Afrique du Sud, le Royaume-Uni et l'Allemagne pour réfléchir aux avantages et aux inconvénients du co-commissariat aux comptes s'agissant de la qualité de l'audit.

Je me rendrai prochainement à Bruxelles pour participer à la révision de la réforme de l'audit. La France a en effet un point de vue à faire valoir dans ce chantier ouvert par la Commission européenne. Notre pays peut être fier de la profession de commissaire aux comptes, qui est la plus réglementée de France – et c'est une conseillère à la Cour de cassation qui vous le dit. Même si la formation restreinte du Haut Conseil prononce des sanctions, cela ne concerne qu'un nombre de cas limité, contrairement à certains de nos grands voisins européens qui ont connu des scandales financiers retentissants, très douloureux pour leurs finances publiques et pour les actionnaires petits porteurs.

Rien n'est jamais acquis et nous devons rester vigilants. Le Haut Conseil ne baisse pas son niveau d'exigence et les contrôles de qualité que nous menons montrent qu'il y a encore des marges de progression, parce que le monde économique évolue et que le métier des commissaires aux comptes se complexifie. Mais la France peut promouvoir au niveau européen ce qu'elle fait pour la qualité des comptes de ses entreprises, et donc pour la confiance dans l'économie du pays – c'est bien là la mission d'intérêt général dont cette profession est chargée.

Le Haut Conseil contrôle 250 000 mandats, qui n'ont pas tous la même importance. Le contrôle est triennal ou sexennal selon la structure – EIP ou non-EIP. En 2019, la Cour des comptes avait estimé que nous ne faisions pas suffisamment de contrôles, ce qui nous privait ainsi d'une vision exacte de la qualité de l'audit en France. Comme toujours, la Cour des comptes est austère, voire sévère ; je modérerai ce jugement parce qu'en réalité, nous connaissons très bien les commissaires aux comptes, parce que nous retournons les voir, en particulier pour les mandats les plus difficiles. Nous savons déjà quels mandats causeront le plus de difficultés aux commissaires aux comptes : cela tient soit à la structure auditée, soit à la structure du cabinet d'audit.

Cela étant, le nombre de contrôles que nous effectuons peut paraître décevant ; c'est la raison pour laquelle nous nous sommes engagés dans une modernisation des outils de planification des contrôles. Au cours de l'année passée, le Haut Conseil a plus que doublé le nombre de contrôles effectués, passant de 43 ou 44 à plus de 100. Vous trouverez sans doute que c'est peu, mais ils concernent les grands cabinets et nos contrôleurs y restent longtemps : on ne contrôle pas un grand cabinet en une demi-journée, comme cela peut se faire dans un cabinet d'importance moindre.

La Cour des comptes estime toutefois que nous n'avons pas les ressources pour effectuer les contrôles que nous devrions faire. Les conclusions du contrôle flash conduit par la Cour des comptes viennent d'être rendues mais ne sont pas encore publiques ; je resterai donc prudente. Elle estime que nous avons encore des améliorations à apporter : simplifier le fonctionnement interne du Haut Conseil, simplifier les textes – cela suppose une réforme de niveau législatif –, recruter davantage d'agents publics, revoir les ressources du Haut Conseil. Selon la Cour, la profession consacre davantage de deniers à son propre fonctionnement – la Compagnie nationale et les compagnies régionales – qu'au Haut Conseil lui-même. Elle ne trouverait donc pas nécessairement injustifié que nos ressources soient augmentées.

Concernant sa situation financière, le Haut Conseil a terminé deux ou trois exercices successifs avec un déficit important, de plus de 1,3 ou 1,4 million d'euros. Le budget de l'année 2021 avait d'ailleurs été voté par le collège en déficit à 1,4 million d'euros. Alors que le budget pour 2021 avait été voté en déficit, nous avons terminé l'année avec un solde positif de 980 000 euros. Cela tient tout d'abord à des événements non récurrents. Nous avons obtenu une issue favorable à un litige significatif qui nous opposait à l'URSSAF, avec la restitution d'un trop versé. Nous avons aussi obtenu de la Compagnie nationale des remboursements sur les exercices antérieurs concernant les contrôles délégués, certaines des dépenses qui nous étaient imputées ne correspondant pas à des missions de contrôle.

Nous avons aussi reçu des commissaires aux comptes des cotisations sur les années antérieures. Ils les ont versées sans les contester – il est vrai que, cette profession étant la plus réglementée, nous savons beaucoup de choses sur les commissaires aux comptes : chiffre d'affaires, clients, etc. Nous avons accru nos vérifications concernant les cotisations perçues sur les exercices antérieurs et avons appliqué des majorations de retard, comme la loi le prévoit.

Nous avons aussi fait des économies. Les déplacements du Haut Conseil ont beaucoup été réduits même si, comme je vous l'ai indiqué, je suis allée outre-mer – mais en tout cas pas à l'étranger. Cela a été le cas également pour la division internationale – mais davantage pour des raisons liées à la pandémie que par volonté – et pour les contrôleurs délégués, de sorte que les dépenses ont été moindres. Des économies ont également été constatées du fait du turnover au sein du Haut Conseil : les délais de recrutement ont réduit la masse salariale. Sans ces éléments non récurrents, le déficit de l'institution aurait été de 215 000 euros, ce qui est mieux que le déficit précédent de 1,4 million d'euros. Je vous avais dit que j'étais une gestionnaire publique ; je crois que je vous le démontre. En tout état de cause, l'avenir budgétaire du H3C n'est pas stabilisé, comme la Cour des comptes nous l'a expliqué.

Un dernier point sur la manière dont je perçois l'avenir de la profession.

Les craintes qu'elle avait émises au moment de la discussion de la loi PACTE ne se sont pas totalement réalisées au cours des deux premières années d'application de celle-ci. Il y a eu des pertes de mandats, mais des entreprises qui n'atteignaient plus les seuils ont quand même souhaité conserver leur commissaire aux comptes. Cela signifie selon moi qu'elles trouvaient un intérêt à continuer à avoir des comptes certifiés – probablement aussi parce qu'elles avaient pris des engagements auprès d'organismes prêteurs ou d'actionnaires minoritaires.

La situation est malgré tout un peu contrastée. Les plus petites structures d'exercice professionnel ont davantage souffert que les structures plus importantes. Le Haut Conseil a constaté que quelques professionnels pour lesquels l'activité de commissaire aux comptes représentait un petit chiffre d'affaires ont abandonné l'audit, sans que cela bouleverse le nombre de commissaires aux comptes inscrits sur la liste.

Selon moi, les missions dites ALPE (audit légal des petites entreprises) n'ont pas remporté un franc succès. D'un point de vue budgétaire, elles ne sont pas intéressantes pour les entités concernées car ces missions ne sont pas tellement différentes d'une certification, même si elles sont un peu plus modestes – du moins pour les petits mandats. Le gain final pour les entreprises n'est pas très important.

L'avenir de la profession réside dans deux autres domaines.

Le premier et le moins important – mais auquel j'accorde beaucoup d'attention – est constitué par l'intervention croissante des commissaires aux comptes dans le secteur public. Avec la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (loi 3DS), que vous venez d'adopter, ils vont certifier les comptes des filiales des sociétés d'économie mixte, sans qu'un seuil soit prévu. Je me félicite de cette décision très pertinente de la représentation nationale.

Une expérimentation est en cours depuis deux ans, avec la Cour des comptes, pour la certification des comptes de collectivités volontaires par des commissaires aux comptes, qu'il s'agisse de communes, de départements ou de communautés d'agglomération. Les premiers résultats montrent qu'aucun compte contrôlé n'a pu être certifié. Ces refus de certification résultent dans tous les cas des difficultés rencontrées par les commissaires aux comptes pour évaluer les immobilisations corporelles et incorporelles figurant au bilan – même s'il ne s'agit pas d'un bilan au sens strict.

On constate qu'il n'est pas évident de transférer les missions du commissaire aux comptes, qui sont prévues par le code de commerce, vers les collectivités territoriales et la comptabilité publique. Il est nécessaire de procéder à des adaptations des normes de la comptabilité publique – ce qui n'est pas du ressort du H3C –, mais aussi et surtout de préciser ce qu'on attend d'un commissaire aux comptes lorsqu'il certifie des comptes publics, car ce n'est pas exactement la même chose que de certifier ceux d'une société commerciale. C'est une des missions que doit remplir le Haut Conseil au cours de l'année 2023. Il faut peut-être établir une norme d'audit des comptes publics pour les commissaires aux comptes qui souhaitent s'engager dans cette activité.

Cela dit, il ne faut pas renoncer car cette certification constitue presque une nécessité démocratique. Mais il faut expliquer au préalable aux dirigeants de collectivités et à leurs opposants quel est le rôle du commissaire aux comptes. En réalité, il n'est pas vraiment un commissaire. Il fournit une assurance raisonnable qu'il n'y a pas d'erreur manifeste dans les comptes. Mais il ne se prononce pas sur la qualité de la gestion ou sur les stratégies adoptées – et il ne conseille d'ailleurs pas sur ces stratégies. Il faut travailler sereinement à l'amélioration des normes et sur le rôle des commissaires aux comptes, pour éviter une instrumentalisation stérile alors il s'agit d'un enjeu de clarification des comptes publics.

Je suis un peu longue, monsieur le président, mais le dernier point que je voulais aborder fera peut-être l'objet d'une question : il s'agit de la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

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