Je suis heureux de vous présenter le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, que j'ai le plaisir et l'honneur de défendre avec mes collègues Gérald Darmanin et Marlène Schiappa.
Le 14 avril dernier, un arrêt de la Cour de cassation a confirmé la déclaration d'irresponsabilité pénale du meurtrier de Mme Sarah Halimi en reconnaissant que l'auteur avait agi sous le coup de l'abolition de son discernement, tout en consacrant le caractère antisémite de ce crime. Cette décision a provoqué un sentiment légitime d'injustice. Il est pourtant nécessaire de rappeler que le droit a été respecté : aujourd'hui, lorsqu'un mis en cause a provoqué lui-même la perte de son discernement, il ne peut répondre devant les juges des actes qu'il a alors commis.
Cette affaire, comme l'a relevé à juste titre l'avocate générale près la Cour de cassation dans ses réquisitions, a mis au jour une faille dans notre droit : l'impossibilité pour le juge de distinguer les situations en fonction de l'origine de la perte de discernement. Face à l'incompréhension provoquée par ce vide juridique, le Président de la République m'a donné mandat pour faire évoluer le régime de l'irresponsabilité pénale en comblant ses lacunes.
Pour aboutir à ce texte, j'ai mené de larges consultations auprès des psychiatres, des magistrats, des avocats et des représentants des cultes. Je me suis également nourri des conclusions de la mission flash transpartisane conduite par Naïma Moutchou et Antoine Savignat, qui ont également souligné avec pertinence la nécessité de faire évoluer notre droit. Le consensus qui s'est ainsi dégagé reposait sur deux points : d'abord, la nécessité de modifier la loi pénale ; ensuite, l'extrême prudence dont il fallait faire preuve pour respecter nos exigences constitutionnelles. En démocratie, on ne juge pas les fous. En revanche, et c'est tout l'objet de nos débats, il nous faut pouvoir faire la distinction entre l'individu qui, atteint d'une pathologie psychiatrique, commet des faits répréhensibles et celui qui doit sa folie à la consommation volontaire de produits psychotropes.
J'ai lu à plusieurs reprises dans la presse que les dispositions de ce texte ne satisfaisaient totalement personne. Mais qu'aurions-nous entendu si nous avions proposé soit de juger les fous, soit des mesures totalement cosmétiques ? Nous avons au contraire réussi à trouver un subtil équilibre entre l'exigence de nos grands principes et la volonté exprimée par les Français. Car, je le rappelle, c'est la société qui fait le droit et non l'inverse.
Ainsi, ce projet de loi propose deux évolutions majeures.
Tout d'abord, il introduit une seule et unique dérogation au régime de l'irresponsabilité pénale, lorsque l'abolition du discernement résulte d'une intoxication volontaire pour se donner du courage. Lorsque le mis en cause se drogue ou s'alcoolise, il ne pourra plus faire l'objet d'une déclaration d'irresponsabilité pénale. Se donner les moyens d'un passage à l'acte parfaitement assumé ne devra plus permettre à son auteur d'échapper à sa responsabilité pénale. Il s'agit certes d'un cas tout à fait exceptionnel, mais il serait inconcevable, par exemple, que des terroristes qui s'intoxiquent au Captagon pour aller au bout de leur logique meurtrière ne puissent pas être jugés. Comme vous le savez, cette hypothèse n'était pas établie dans l'affaire Halimi.
Pour appréhender au mieux les situations similaires, deux nouvelles infractions seront créées. Ces infractions sanctionneront lourdement la consommation volontaire de psychotropes qui a provoqué l'état de folie sous l'empire duquel l'auteur a commis soit des violences, soit un homicide. Toutefois, comme l'a rappelé dans son avis le Conseil d'État, un délit doit également se caractériser par son intentionnalité. Il est donc nécessaire que l'individu qui commet ces actes après avoir pris des substances psychoactives ait eu conscience qu'il mettait alors délibérément autrui en danger. Les débats en commission nous ont permis d'arriver à un compromis qui préserve la constitutionnalité de la nouvelle infraction et appréhende plus largement les situations concernées. C'est cette solution qui vous sera proposée par la rapporteure Naïma Moutchou.
Les peines seront par ailleurs aggravées jusqu'à quinze ans de réclusion criminelle si l'homicide a été commis par une personne ayant déjà été déclarée irresponsable d'un homicide commis dans les mêmes circonstances.
Enfin, comme les travaux en commission l'ont montré, un certain nombre de délits n'étaient initialement pas couverts par ces nouvelles infractions autonomes, comme l'ont souligné vos collègues Avia et Mazars. Le Gouvernement sera donc favorable à l'extension des nouvelles infractions aux cas de viol, d'actes de torture et de barbarie, et d'incendie volontaire ayant entraîné la mort. Je tiens d'ailleurs à remercier les députés qui nous ont permis d'enrichir le texte en commission et qui apporteront de nouvelles améliorations lors des débats à venir : je pense tout particulièrement à Coralie Dubost et à Jean Terlier, mais également aux députés Blandine Brocard et Dimitri Houbron.
Ce projet de loi comporte par ailleurs des dispositions procédurales ayant pour objet de renforcer l'effectivité de la réponse pénale. Je pense en particulier aux cas où l'identité du mis en cause évolue au gré de l'enquête. En effet, sans identification précise et établie, la loi pénale ne peut s'appliquer. Trois enjeux majeurs et bien identifiés nous ont amenés à vouloir modifier la procédure. D'une part, des actes de délinquance restent impunis, et c'est incompréhensible pour les victimes. D'autre part, des majeurs peuvent se faire passer pour des mineurs, et ainsi bénéficier de dispositifs de protection qui devraient être réservés aux plus vulnérables. À l'inverse, des mineurs ne sont pas reconnus mineurs dans le cadre pénal et sont donc exclus des dispositifs de protection de l'enfance. Nous avons la responsabilité d'instaurer des outils efficaces de prise en charge de ces personnes afin de répondre aux attentes légitimes de tous les acteurs judiciaires et, surtout, de nos concitoyens.
Pour mettre en œuvre une réponse judiciaire adaptée, il faut d'abord, comme les députés Eliaou et Savignat l'avaient suggéré dans leur rapport, se donner les moyens d'identifier avec précision le mis en cause. Identifier les mineurs délinquants est d'information, de plus, un moyen efficace pour lutter contre les réseaux qui contraignent les jeunes à refuser les prises d'empreintes. La prise d'empreintes, telle que prévue dans ce texte, sera évidemment assortie de garanties procédurales, d'ailleurs renforcées à l'égard des mineurs, pour être conforme, là encore, à nos exigences constitutionnelles.
Ce projet de loi permettra ensuite que soient gardés à la disposition de la justice des prévenus présentés devant une juridiction pénale qui s'est déclarée incompétente, du fait d'une erreur sur leur majorité ou leur minorité, le temps de les réorienter vers la juridiction compétente. C'est, là aussi, une proposition du rapport Eliaou-Savignat, et je tiens à les en remercier. En effet, cette disposition comblera une lacune, qui, en l'état du droit, laisse impunis de très nombreux actes de délinquance. Elle concerne deux situations précises.
Premièrement, certains jeunes délinquants initialement déclarés majeurs voient finalement leur minorité reconnue par le tribunal correctionnel ; il est impératif qu'ils soient pris en charge et non pas relâchés dans la rue, où ils risquent malheureusement de récidiver. Le recours à une courte détention devra être spécialement motivé et le mineur devra être présenté, dans un délai de vingt-quatre heures, devant une juridiction spécialisée qui ordonnera sa prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse et les services de la protection de l'enfance.
Deuxièmement, la mesure concernera les délinquants initialement déclarés mineurs qui voient leur majorité finalement reconnue par le tribunal pour enfants. Ceux-ci devront désormais nécessairement répondre de leurs actes devant le tribunal correctionnel, qui sera immédiatement saisi.
Enfin, comme l'avait indiqué le Premier ministre au printemps dernier, ce projet de loi crée des incriminations spécifiques, aggravant la répression des actes de violence commis à l'encontre de ceux qui assurent notre sécurité dans l'espace public. Il n'est en effet plus tolérable que leur engagement citoyen les érige en cibles. Je tiens à remercier le rapporteur Jean-Michel Mis de nous avoir permis de préciser le champ des agents concernés, grâce à l'ajout des pompiers et des douaniers, qui interviennent sur la voie publique et sont eux aussi particulièrement exposés. Le Gouvernement sera en outre favorable à l'ajout des gardes champêtres, car leurs missions rejoignent celles de la police municipale.