Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai reçu pour mission de vous présenter la déclaration relative à la phase d'exploitation des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz au Centre spatial guyanais. Une première version de cette déclaration avait été adoptée le 30 mars 2007. La seconde, que nous examinons aujourd'hui, date de décembre 2017. L'Assemblée nationale a été saisie en premier. La phase de négociation de cet accord s'est déroulée entre 2015 et 2017 au sein de l'Agence spatiale européenne. Finalement, cet accord intergouvernemental réunit dix-huit des vingt-deux États membres de l'ESA.
Pour illustrer l'importance de cet accord, je vous présenterai tout d'abord le Centre spatial guyanais et son caractère stratégique pour l'Europe et pour la France.
Le Centre spatial guyanais dispose de trois lanceurs mondialement reconnus : Ariane 5, Vega et Soyouz. Ariane 5 est un lanceur lourd, utilisé depuis 1996. Il est capable de viser n'importe quelle orbite – orbite basse, moyenne, géostationnaire, orbite de libération – et de placer des charges pouvant peser jusqu'à vingt tonnes. Ce lanceur emblématique est considéré comme un des plus fiables au monde. Il a effectué son 110
En 2022, deux nouveaux lanceurs seront exploités au CSG : Ariane 6 et Vega-C. Le projet Ariane 6 a été pensé depuis 2014 pour réduire la durée et le coût des procédures de lancement. Les méthodes de fabrication ont été simplifiées et les performances techniques accrues. Le projet a nécessité la construction entre 2015 et 2020 d'un nouvel ensemble de lancement ultramoderne, composé notamment d'une « cathédrale » d'acier d'une hauteur de 100 mètres et pesant 6 000 tonnes, soit le poids de la tour Eiffel. Cette structure innovante encadrera le lanceur et sera capable de se rétracter au moment du lancement grâce à des chariots alimentés par plus de 100 moteurs. M. le secrétaire d'État l'a rappelé, nous avons inauguré hier avec Sébastien Lecornu ce pas de tir à Kourou.
Les lanceurs européens, et plus spécifiquement Ariane, sont le symbole de la politique spatiale européenne, qui s'est construite progressivement depuis les années 1970 et a été marquée par de nombreux succès. Entre 1988 et 2003, Ariane 4 profitait des deux tiers des lancements commerciaux dans le monde, loin devant les États-Unis. Grâce au CSG, l'Europe a occupé et occupe encore une place de premier plan sur le marché mondial des services de lancement.
Le CSG permet aussi l'envoi de programmes européens de manière autonome. Parmi les programmes les plus connus, je citerai Galileo, le système de positionnement par satellites européen, et la sonde Rosetta, la première à avoir approché une comète et à y avoir placé un atterrisseur. Le CSG offre ainsi à l'Europe un accès autonome à l'espace. Or l'accès à l'espace est de plus en plus stratégique. De nombreuses technologies civiles et militaires dépendent aujourd'hui de satellites. Les activités spatiales ont également un effet de levier sur des secteurs économiques variés, notamment grâce à l'exploitation des données spatiales.
Au-delà de l'Europe, le CSG est aussi indispensable à la France. Il joue un rôle majeur pour le développement économique de la Guyane. Il s'étend sur 700 kilomètres carrés, soit deux fois la taille de Mayotte et la moitié de celle de la Martinique, et son activité représente 15 % du PIB du territoire guyanais. Environ 450 entreprises et 4 600 emplois sont liés au secteur spatial. Le centre est également un acteur majeur du tourisme guyanais : hors période de covid-19, les touristes assistent aux lancements, visitent les installations et le musée de l'Espace. En 2019, il avait accueilli 25 000 visiteurs.
Ces activités sont d'autant plus précieuses que le contexte économique et social est aujourd'hui difficile en Guyane : au premier trimestre 2021, le taux de chômage y atteignait 12,7 % selon l'INSEE. Pourtant, pour beaucoup de Guyanais, la poursuite des activités spatiales a pu paraître incertaine. Le projet Ariane 6 a été retardé par des problèmes techniques et par la crise sanitaire. Les lancements ont été interrompus entre les mois de mars et d'août 2020 et le chantier Ariane 6 sol a été ralenti. ArianeGroup vient d'annoncer la suppression de 600 emplois en France et en Allemagne d'ici la fin de l'année 2022.
L'industrie spatiale européenne est confrontée à une concurrence internationale croissante. Les acteurs spatiaux institutionnels et commerciaux sont plus nombreux que par le passé. De nouveaux acteurs issus du secteur privé, venus de la Silicon Valley et des GAFAM, ont développé leurs activités spatiales en reprenant les méthodes de l'industrie numérique. Ils sont devenus incontournables – je pense bien sûr à Space X et à Blue Origin. Il est toutefois important de rappeler que ces acteurs sont en partie financés par la NASA et par le département américain de la défense. Ils bénéficient de contrats publics et de transferts de technologies.
En parallèle, la demande de satellites a évolué. Elle se concentre désormais avant tout sur l'orbite basse et les satellites sont de plus petite taille. Ces satellites sont parfois organisés autour de constellations : c'est le projet Starlink de SpaceX. Face à cette concurrence internationale très forte, l'industrie spatiale européenne n'apparaît pas encore assez compétitive. Elle ne dispose pas, par exemple, d'une technologie de lanceur réutilisable similaire à celle développée par l'entreprise américaine SpaceX, très médiatisée.
Dans un tel contexte, l'actualisation de la déclaration du 30 mars 2007 apparaît indispensable. Elle assure un cadre juridique pour l'exploitation des lanceurs européens.
Je vais maintenant vous présenter la déclaration de 2017. La phase d'exploitation des lanceurs comprend la fabrication des lanceurs, leur intégration, les opérations de lancement et les activités de commercialisation. De plus, pour les futurs lanceurs Ariane 6 et Vega-C, l'exploitation comprend les activités nécessaires pour maintenir la conformité des systèmes de lancement aux accords d'exploitation pertinents élaborés dans le cadre de l'ESA.
La principale innovation de la déclaration de 2017 est présentée dès la section I. L'accord donne plus de responsabilités aux maîtres d'œuvre industriels que sont ArianeGroup et Avio pour l'exploitation des lanceurs Ariane 6 et Vega-C. Pour ces deux lanceurs, l'exploitation n'est plus confiée uniquement au fournisseur de services de lancement Arianespace, comme c'est le cas pour Ariane 5, Vega et Soyouz, mais aussi aux maîtres d'œuvre industriels Ariane 6 et Vega-C, qui deviennent responsables de la fabrication et de l'intégration de leur lanceur et devront assumer les risques de l'exploitation commerciale. L'accord prend ainsi acte de la montée en puissance des maîtres d'œuvre industriels dans l'exploitation des lanceurs.
Le reste du texte reprend très largement la version antérieure de 2007. Il affirme à nouveau un principe de préférence d'utilisation des lanceurs européens pour les missions institutionnelles. Si ce principe est nécessaire pour défendre le spatial européen, on peut regretter qu'il ne soit pas véritablement contraignant pour les parties. La France s'est ici heurtée à la réticence d'autres États.
Comme dans la version de 2007, la section II de l'accord prévoit que l'ESA s'assure de l'application du texte. De même, le régime de responsabilité prévu à la section IV est maintenu. La France, qualifiée d'« État de lancement », assume ainsi encore une part très importante de la responsabilité financière en cas de dommage causé à un tiers. Pour les lancements Ariane, le gouvernement français supporte même l'intégralité de la charge financière.
La section V de l'accord précise que le texte entrera en vigueur lorsque deux tiers des parties de 2007 auront notifié par écrit au directeur général de l'ESA qu'elles acceptent de devenir partie. Au début du mois de septembre 2021, seuls six États sur dix-huit avaient ratifié la déclaration : l'Autriche, la Belgique, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suisse. Manquent à l'appel l'Allemagne et l'Italie, qui n'ont pas encore fait le nécessaire. Pour les États qui deviennent partie, la déclaration de 2017 se substituera à l'accord antérieur de 2007. Elle sera en vigueur jusqu'en 2035.
En conclusion, cet accord intergouvernemental vient réduire les incertitudes sur l'activité du CSG à moyen terme en sécurisant le cadre juridique portant sur la phase d'exploitation des lanceurs. Pour maintenir l'activité du CSG à long terme, les États membres de l'ESA devront toutefois continuer à s'engager pour l'Europe spatiale. Ils devront financer des projets toujours plus innovants pour résister à la concurrence internationale, en particulier à celle des acteurs privés américains. Les dernières annonces de l'ESA, qui prévoient un nombre minimal de lancements institutionnels pour les trois premières années d'exploitation d'Ariane 6 et de Vega-C, étaient nécessaires.
Mes chers collègues, je vous invite maintenant à voter en faveur de l'approbation de cet accord.