Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du mercredi 29 septembre 2021 à 21h30
Exploitation de lanceurs au centre spatial guyanais — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

Mais je n'ai encore abordé que l'aspect commercial du problème ; c'est en effet la priorité de l'Allemagne. Elle n'oublie pourtant pas la dimension militaire de la question spatiale. Je dois ici rappeler de quelle façon Berlin a déchiré les accords de Schwerin de 2002, qui prévoyaient le partage des compétences dans le domaine des satellites d'observation, et donc une dépendance mutuellement consentie entre la France et l'Allemagne : la France développerait la filière des satellites optiques tandis que l'Allemagne développerait celle des satellites radars. En 2017, pourtant, l'Allemagne a choisi de commander deux satellites optiques à son industriel OHB pour 400 millions d'euros. Adieu la complémentarité entre les deux nations ! Pendant des années, la France avait été incitée à sous-investir dans le domaine électromagnétique, et il fallait désormais remonter la pente ! Comment nos dirigeants peuvent-ils encore prétendre faire confiance à leurs homologues allemands ?

Face à cela, le Gouvernement est incapable de proposer un horizon différent pour une politique spatiale qui serait un facteur de progrès, de paix et de développement conforme à l'intérêt national et à l'intérêt général humain. Il reste enfermé dans des idées déjà périmées, fasciné par une vision erronée des réussites du New Space. Le CNES, instrument décisif de planification de la politique spatiale nationale, a été si gravement affaibli ces dernières années que le voilà ravalé au rang de simple opérateur parmi d'autres. Au lieu d'un État stratège de l'espace, le Gouvernement préfère continuer d'appliquer les méthodes ordinaires et inefficaces du libéralisme : privatisation et mise en concurrence.

Rien d'étonnant, me direz-vous, à ce que la start-up nation s'emballe pour le spatial, le considère comme un marché juteux et ne tienne la science pour rien d'autre que le supplément d'âme d'une industrie très lucrative. Le fait est pourtant bien établi que ça ne peut pas marcher comme ça : le mythe de l'initiative privée couronnée de succès dans le secteur spatial a fait long feu. Quiconque s'est penché une seconde sur le sujet sait bien que les prétendus capitaines d'industrie Elon Musk et Jeff Bezos, ainsi que leurs créatures SpaceX et Blue Origin, ne sont pas autre chose que des tiques gorgées d'argent public – les centaines de millions de dollars de contrats passés avec l'État américain !

Imaginer jouer à armes égales sur un marché prétendument concurrentiel face à des adversaires de cette sorte, c'est sérieusement déraisonner ! D'autant plus que leur modèle économique n'est même pas entièrement profitable. Compte tenu des dégâts graves qu'ils infligent à l'environnement et de leur mépris à l'égard des règles de sécurité protégeant les populations survolées par leurs appareils, on peut déplorer la timidité de l'État français à contester devant les instances internationales compétentes la déloyauté de telles entreprises.

De manière générale, le Gouvernement n'a pas une seule fois cherché à peser sur la scène internationale en faveur d'un renouveau de la régulation des activités spatiales. Il a fait preuve d'un attentisme et d'un suivisme stupéfiants ! Sans vision ni ambition, il s'est refusé à racheter la constellation OneWeb alors qu'Airbus en possédait déjà l'essentiel ; il a même été incapable de la faire racheter par l'Union européenne ! Ce gâchis est incroyable. Les Britanniques, eux, n'ont pas commis l'erreur de laisser passer l'occasion : associés à un groupe indien, ils se sont emparés du fleuron. L'investissement était si judicieux qu'en un an, sa valeur avait tout bonnement doublé. Au lieu de quoi, la Commission européenne se réveille avec deux ans de retard et commande, en janvier 2021, une étude de faisabilité pour peut-être, un jour, disposer de sa propre constellation ! Étant donné la saturation de l'orbite basse, il n'est même pas absurde d'imaginer qu'une telle constellation arriverait trop tard.

Que dire enfin du suivisme français dans le domaine militaire ? La France doit savoir tout faire et se prémunir contre toutes sortes d'agressions ; c'est une évidence. Pourtant, la mise en vedette de la menace chinoise et de la menace russe ne peut satisfaire aucun esprit raisonnable. Pourquoi ne rien dire des activités états-uniennes dans ce domaine, ou encore des activités indiennes ? L'Inde revendique en effet d'avoir réussi, le 27 mars 2019, à faire exploser un satellite situé à 300 kilomètres de la Terre. Curieux partenaire stratégique de la France que ce pays qui commet le même genre de démonstrations de force que la Chine !

Quoi qu'il en soit, le Gouvernement a choisi son récit : gentils Américains, méchants Russes et Chinois. Et pour complaire aux gentils, rien de mieux que de les imiter ! Ainsi, en juillet 2019, Emmanuel Macron annonçait la création, sur le modèle états-unien, d'un commandement militaire de l'espace à Toulouse. Et comme la mesure n'était pas pleine, il a fallu annoncer en février 2021 qu'il aurait pour voisin, à Toulouse donc, le centre d'excellence spatiale de l'OTAN ! Est-ce ainsi que la France considère œuvrer contre la militarisation de l'espace ? En accueillant sur son sol un centre spatial d'une alliance militaire ? Il ne suffira pas de nous expliquer que les opérations militaires de l'OTAN et de ses membres bénéficient de nos renseignements et communications spatiales, car c'était le cas bien avant l'installation de ce centre d'excellence ! Quant à installer à Toulouse une myriade d'officiers de l'OTAN, donc états-uniens, c'est faire entrer le loup dans la bergerie : le renseignement américain a espionné jusqu'à Angela Merkel et a fourni des armes pour organiser le rachat d'Alstom, mais on est prié de croire qu'il ne bougera pas un petit doigt à Toulouse ? Ce serait touchant si ce n'était grave.

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