Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du vendredi 15 décembre 2017 à 9h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - projet de loi de finances pour 2018 — Motion de rejet préalable (programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

J'espère que vous en conviendrez tous : c'est une course à l'échalote absolument délétère, régressive d'un point de vue civilisationnel, puisqu'au final c'est tout le reste de la population et des États qui paie la note de ces distorsions, à commencer par les plus pauvres.

J'ai entendu tout à l'heure l'intervention de l'une de mes collègues de La République en marche. Je la rassure : cette politique n'a rien de nouveau. Elle est même très ancienne et l'on peut y humer, en un sens, le fumet des seventies. J'ai évoqué la fameuse phrase de M. Le Maire, nous répondant d'ailleurs avec honnêteté, selon laquelle alimenter les revenus du capital permettrait de favoriser les investissements productifs de demain et les emplois d'après-demain. Vous savez comme moi que le chancelier Helmut Schmidt, en 1974, disait exactement la même chose. Il anticipait ainsi d'une certaine façon la rupture des années 80, de Mme Thatcher, de M. Reagan, même si elle a été atténuée en France. Le Monde montre que la rupture date de 1983, avec le progrès pour les plus riches et non plus pour tous, date à laquelle fut également prise la décision de désindexer les salaires et les prix, tout comme d'ailleurs, si j'ai bien compris, le Gouvernement s'apprête à désindexer le SMIC.

Depuis, quoi que vous en disiez, la part des revenus du capital n'a cessé de croître au détriment de ceux du travail. Finalement, vous nous dites que ce n'est pas suffisant et qu'il faut non pas nous comparer avec ceux qui réduisent les inégalités, mais nous conformer à ceux qui les augmentent en faveur du capital. Voilà à quoi correspond votre budget.

Votre budget doit être examiné dans le contexte de la compétition internationale pour attirer les capitaux et vise, en réalité, à conforter toujours plus la hausse tendancielle et explosive des taux de profit. Dans le monde d'aujourd'hui, l'écart entre l'économie financière et l'économie réelle continue sans cesse de croître.

Ce que nous devons nous demander, ce n'est donc pas si une crise spéculative va se produire, mais à quel moment elle va se produire. De ce point de vue, toutes les prévisions de croissance sur lesquelles vos budgets se fondent, parce qu'elles n'ont rien à avoir avec les politiques menées ici, mais qu'elles sont liées aux rebonds structurels inhérents au capitalisme – que les économistes connaissent bien – , ces prévisions, disais-je, pourraient vite être revues à la baisse en fonction du nombre d'années qui nous séparent de cette prochaine crise spéculative, qui est inévitable.

Votre budget vise avant tout à rattraper le retard que nous avons sur les pays encore plus inégaux que nous – d'où vos 9 milliards de cadeaux fiscaux aux plus riches. L'appauvrissement de l'État, à ce rythme, atteindra 50 milliards sur cinq ans. Or c'est nous qui en payerons tous le prix, avec 80 milliards de dépenses publiques en moins sur la même période. Je vous rappelle qu'entre 2012 et 2016 – il faut sans cesse le rappeler – , ce sont les dépenses publiques qui ont évité au pays d'entrer en récession. À un moment où le marché privé est atone, vous risquez d'éteindre l'un des foyers de l'économie française, puisque, comme chacun le sait, les dépenses publiques sont aussi des recettes dans le PIB.

Le pire, c'est que vos efforts risquent d'être vains, car vous ne pourrez jamais rattraper des pays qui font eux-mêmes le calcul de baisser toujours davantage la taxation sur le capital. Cette course à l'échalote est perdue d'avance, à moins que nous en arrivions à ne plus taxer du tout le capital – peut-être est-ce l'avenir que vous nous préparez ? Ce projet est vain, surtout, parce que, dans une Union européenne où l'harmonisation fiscale et sociale est interdite, au nom de la croyance dans la main invisible et les bienfaits de la concurrence généralisée entre les peuples, cette logique entraîne inévitablement les États et les peuples vers un nivellement par le bas.

Je note d'ailleurs que ces mécanismes européens, qu'il s'agisse du Mécanisme européen de stabilité ou de ceux, comme la règle d'or, qui ont été introduits dans le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – TSCG – risquent fort, puisque ce sont les projets qui sont actuellement discutés au niveau de l'Union européenne, d'être traduits sous la forme non plus de règles intergouvernementales, mais de règles communautaires, ce qui impliquera encore plus de contraintes pour les États dans les années à venir. Il sera de plus en plus difficile de contourner ce cadre défini par l'austérité, la politique de l'offre et la dérégulation.

Cette politique est une catastrophe. Les inégalités, qu'elle assume et provoque, percutent de plein fouet ce qui fait la nation depuis la Révolution française. Ne commettons pas la lourde erreur de croire que nous sommes à l'abri de ce délitement du consentement national qui se manifeste chez nos voisins du fait, justement, de politiques d'austérité qui mettent à mal l'égalité. Cette politique crée la pauvreté – on compte 9 millions de pauvres aujourd'hui en France – , paupérise les classes moyennes, affaiblit nos capacités collectives et la solidarité nationale, au nom d'une logique du « Chacun pour soi » qui veut, selon l'idéologie libérale, que la concurrence généralisée apporte le progrès humain pour tous. Les chiffres publiés dans Le Monde montrent que c'est exactement l'inverse qui se produit depuis une trentaine d'années.

Afin de libérer les énergies – pour reprendre votre vocabulaire – au profit du capital financier, vous avez ajouté avec les ordonnances, qui sont une véritable marche en arrière vers le XIXe siècle, la dérégulation des protections sociales que nous nous étions données. Nous avons fait des contre-propositions, un contre-budget. Une partie de celui-ci se fonde sur la relance par la demande. C'est une idée assez ancienne et classique, j'en conviens, mais qui a tout de même permis aux États-Unis, à la fin des années 20, de sortir de l'ornière avec la politique keynésienne et le New Deal, alors que les pays européens ont continué à s'y enfoncer, jusqu'à la guerre.

Notre projet, c'est celui d'un Keynes qui aurait rencontré le dérèglement climatique et qui aurait lié la nécessité du partage des richesses à celle d'une transition écologique de l'économie. Ce que nous proposons dans notre contre-budget, ce sont 170 milliards de recettes supplémentaires. Cet argent, nous allons principalement le chercher auprès de ceux que vous alimentez – je veux parler des revenus du capital, qui ont été favorisés depuis une trentaine d'années en France, quoi que vous en disiez. Nous obtenons 38 milliards par la suppression de niches fiscales et revenons à un impôt beaucoup plus progressif, avec quatorze tranches.

Enfin, nous favorisons la relance de l'activité économique, à hauteur de 55 milliards d'euros, car le FMI a montré que pour chaque euro investi dans les dépenses publiques, c'est 1,4 euro qui est produit dans l'économie privée. C'est facile à comprendre : si, au lieu de baisser le budget du logement de 1,8 milliard d'euros, comme vous le faites, on décide de construire un million de logements sociaux en cinq ans, on fait travailler les entreprises du BTP – et ce n'est qu'un exemple parmi bien d'autres. Nous proposons aussi de mener une chasse drastique à l'évasion fiscale, afin de récupérer la moitié des 80 milliards qui s'envolent chaque année.

Toutes ces mesures nous permettront de faire 173 milliards de dépenses publiques supplémentaires, que nous assumons, et qui n'ont rien de révolutionnaires. Cela permettrait tout juste de revenir au nombre de fonctionnaires que nous avions avant la présidence de Nicolas Sarkozy, laquelle a aggravé la destruction du service public et de ce qu'il restait de l'État social dans ce pays – mouvement qui a été non pas atténué, mais aggravé sous la présidence de François Hollande. Nous proposons, enfin, un plan d'investissement de 100 milliards d'euros, que nous revendiquons de payer par la dette.

Notre budget crédible et chiffré favoriserait la relance de l'emploi : nous prévoyons 2 millions de créations d'emploi, dont 400 000 dans la fonction publique, qui vaudront mieux, je crois, que les 100 000 emplois créés « grâce » au CICE – je mets des guillemets car ce fut une véritable gabegie pour la nation.

Pour construire ce budget, nous nous exonérons évidemment de la règle d'or. Il faut arrêter de nous faire peur avec la dette ! Rapportée à la durée du remboursement – un peu plus de sept ans, aujourd'hui, sur les marchés financiers – , elle n'a pas l'ampleur que vous lui prêtez et elle ne représente que 12 % du PIB chaque année. Vous invoquez sans cesse les générations à venir pour justifier la réduction de la dette. Mais permettez-moi de vous rappeler qu'elles bénéficient d'un patrimoine que nous serions bien inspirés de continuer à faire croître, par exemple en investissant 100 milliards d'euros dans la transition écologique, comme nous le proposons.

Ce patrimoine, qui s'élève à 13 000 milliards d'euros – un chiffre que l'on rappelle rarement – fait que, en cas de partenariat public-privé, comme pour la ligne ferroviaire entre Lyon et Turin, par exemple, les institutions financières ne demandent qu'une seule garantie, celle des États, y compris celle de l'Italie, même si celle-ci est en moins bonne santé que nous, …

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.