Intervention de Jeanine Dubié

Séance en hémicycle du mardi 6 juillet 2021 à 21h30
Protection des enfants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié :

Légiférer sur la protection de l'enfance est un exercice qui nous oblige à prendre en compte les besoins fondamentaux de l'enfant et à garder en ligne de mire son intérêt supérieur. Avec ce texte, nous abordons des sujets intimes, douloureux, traumatisants, où abandon, séparation et souffrance rythment l'enfance et l'adolescence. C'est l'une des raisons pour lesquelles je formule le vœu que nous cessions d'employer le terme « placement » et que nous lui préférions celui d'« accueil ». Pour certains, cela relève d'un effet de sémantique, mais je crois sincèrement que les mots ont un sens et suis convaincue que cela influera sur le regard que nous portons sur ces enfants.

S'ils sont encore trop nombreux à connaître un parcours difficile, y compris une fois majeurs, nous ne devons pas céder à la fatalité. Leur prise en charge par l'ASE ne doit pas déterminer le reste de leur vie.

La protection de l'enfance est aussi une compétence des départements. Il faut donc veiller à les y associer et nous assurer de l'applicabilité, notamment financière, des mesures que nous adoptons. Si le projet de loi nous est présenté comme le fruit d'une longue concertation avec les départements, je regrette que nous l'examinions dans des délais très contraints et, qui plus est, dans un contexte de renouvellement des instances départementales.

Au-delà de l'engagement de la procédure accélérée, ce texte laisse un goût d'inachevé et apparaît assez éloigné de ce que nous aurions pu espérer. Il y a bien des mesures positives, comme l'accueil par un membre de la famille, l'encadrement de l'hébergement des mineurs à l'hôtel, ou encore la délégation d'actes relevant de l'autorité parentale à un tiers digne de confiance. Je pense aussi à la systématisation d'une politique de lutte contre la maltraitance dans les établissements, même si le texte échoue à proposer des normes d'encadrement pourtant attendues. Si les dispositions reprennent certaines propositions de l'excellent rapport d'information de nos collègues Alain Ramadier et Perrine Goulet, celles-ci sont insuffisamment exploitées.

La question incontournable des moyens, qui explique souvent le décalage existant entre les lois que nous adoptons et leur application, risque d'atténuer fortement la portée de ce texte. En effet, même s'il s'agit d'une compétence des départements, l'État doit être au rendez-vous, le premier d'entre eux étant évidemment financier. Les 600 millions d'euros déjà débloqués dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance seront-ils suffisants pour déployer et pérenniser les nouvelles mesures de ce projet de loi ? Celles-ci, en tous les cas, auront un impact non négligeable sur les finances des départements, qu'il faudra accompagner pour atteindre les objectifs fixés.

En effet, c'est bien le manque de moyens, en particulier humains, qui nous empêche de disposer d'une politique de protection et de prévention à la hauteur des enjeux. Beaucoup de situations évitables ne sont pas détectées à temps et un trop grand nombre de mesures éducatives ou d'accueil ne sont pas exécutées. Est-il utile de rappeler que la prévention spécialisée a été supprimée par dix-sept départements ? Ces questions ne sont pas traitées, tout comme l'accompagnement des jeunes majeurs est écarté.

S'agissant des assistants familiaux, il nous faut aller au-delà de la seule revalorisation salariale. Des efforts sont nécessaires en matière de formation, de droit au repos, de logement. Et qu'en est-il des conditions de travail des autres travailleurs sociaux et médico-sociaux de l'ASE qui, eux aussi, sont insuffisamment nombreux et épuisés ?

Quant à la protection maternelle et infantile, il est dommage qu'elle ne soit pas davantage abordée sur le plan social, que l'on s'en tienne à une vision strictement sanitaire et qu'il n'y ait pas une meilleure articulation avec la médecine scolaire. La PMI subit depuis longtemps un rétrécissement de ses moyens et la multiplication de ses missions, ce qui l'empêche de se concentrer sur la prévention et l'accompagnement. Nous devons renouer avec les visites à domicile par les sages-femmes, mais aussi par les travailleurs sociaux. Il s'agit de la seule manière d'appréhender réellement l'environnement de l'enfant et d'apprécier ses conditions de vie au quotidien.

Enfin, en ce qui concerne les mineurs non accompagnés, le débat mérite d'être dépassionné. Nous ne pouvons aborder ce phénomène au travers du seul prisme du contrôle et de l'évaluation de la minorité. Les parcours de ces jeunes gagneraient largement à être améliorés : ce sont des enfants avant d'être des personnes étrangères. La question de la recentralisation de l'évaluation de la minorité au niveau des services de l'État doit donc se poser, afin que les travailleurs sociaux puissent se consacrer à leur cœur de mission, à savoir l'accompagnement et la protection. Nous devons enfin permettre aux personnes engagées dans un parcours de formation professionnelle de bénéficier systématiquement d'un examen anticipé pour l'obtention d'un titre de séjour, afin que leur prise en charge par l'ASE et leurs efforts d'intégration ne soient pas réduits à néant.

Nous aurons l'occasion de revenir plus en détail sur nos propositions lors des débats. C'est en fonction de ceux-ci que le groupe Libertés et territoires déterminera son vote.

Pour conclure, la liberté est d'usage dans notre groupe, y compris celle d'exprimer un désaccord. C'est ce qu'a fait notre collègue Sébastien Nadot à titre personnel sur le sujet des mineurs placés en centre de rétention administrative et je souhaite que son intervention ne reste pas lettre morte.

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