Intervention de Isabelle Santiago

Séance en hémicycle du mardi 6 juillet 2021 à 21h30
Protection des enfants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Santiago :

Cinq ans après la loi du 14 mars 2016, ce projet de loi relatif à la protection de l'enfance suscite beaucoup d'attentes, tant les enjeux sont importants. Plus de 340 000 enfants bénéficient d'une mesure de l'aide sociale à l'enfance. Aux termes de la loi, cette compétence a le département pour chef de file, même si elle reste à la croisée des politiques d'État concernant la justice, la santé, l'éducation nationale. Pour les départements, la protection de l'enfance, cette aide sociale, représente à l'échelle nationale un budget annuel de 8,3 milliards d'euros. Ce chiffre prend toute sa force lorsque l'on connaît le drame humain des sorties sèches à 18 ans.

Parmi les enfants qui bénéficient d'une protection, nombreux sont ceux qui souffrent de troubles du développement et près de 30 % souffrent d'un handicap qui nécessite un accompagnement spécifique et adapté. Cela aussi demanderait de revoir l'ensemble des dispositifs du secteur médico-social pour accompagner mieux ces enfants. En premier lieu, il faudrait arrêter de fermer les IME – les instituts médico-éducatifs – le week-end, car cela place les équipes de la protection de l'enfance en grande difficulté, dans tous nos territoires.

Monsieur le secrétaire d'État, vous le savez, pour protéger les enfants, leur permettre de bien grandir, il faut favoriser la prévention et le repérage dès le plus jeune âge, développer massivement l'aide à la parentalité et favoriser une culture transversale de formation spécifique sur la compréhension des métabesoins de l'enfant lors de son développement. Par exemple, l'apport des neurosciences concernant les lésions du cerveau du bébé ou de l'enfant causées par les violences intrafamiliales et les maltraitances n'est plus à démontrer ; celles-ci ont un impact durable sur le développement. Partager cette culture de formation à tous les échelons des services de l'État et des départements est un impératif, pour parler le même langage et en finir avec la culture du silo, chère à nos administrations. Vous le savez, tous les signaux donnent l'alerte ; la protection de l'enfance est à bout de souffle.

De nombreux documentaires suivis de débats, des films et des livres montrent une réalité que peu voulaient voir, mais aussi parfois de belles réussites, de l'espoir, des pratiques inspirantes et bienveillantes, quoique trop peu nombreuses. L'enfance en danger est placée sur le devant de la scène, afin d'éviter qu'aux inégalités de destin, ne s'ajoutent les inégalités de territoires dans la prise en charge ; aujourd'hui celles-ci ne sont plus acceptables. Notre société découvre une réalité qu'elle ne voulait pas voir, une politique de l'ombre qui expose les enfants à des maltraitances et à des carences éducatives graves.

La loi du 14 mars 2016 a marqué une grande avancée, mais elle n'est pas suffisamment appliquée par les départements – je le sais d'autant mieux que j'ai été vice-présidente d'un département pendant dix ans. La justice continue trop souvent de s'appuyer sur la loi du 5 mars 2007, en privilégiant la famille plutôt que l'intérêt supérieur de l'enfant. Comment ne pas souhaiter renverser la table, quand nous peinons tant pour mieux accompagner ces enfants blessés par la vie, souvent dès le plus jeune âge, en sachant que chaque personne marche sur les pas de son enfance et que nous devons répondre à l'urgence de la construction affective et de la sécurité de l'enfant, pour son devenir ? Cette mise en lumière montre combien la protection de l'enfance est à bout de souffle dans de nombreux territoires, malgré les grandes lois de 2007 et 2016 et malgré les moyens qui y sont consacrés. Je veux ici saluer les lanceurs d'alerte, les associations, les jeunes majeurs qui soulignent la nécessité de changer de paradigme en matière de protection de l'enfance.

Ce projet de loi relatif à la protection des enfants, qui arrive dans un agenda plus que contraint, comporte des avancées et je me réjouis de vos annonces de tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'État, à propos d'amendements dont nous avons débattu en commission des lois ou directement concernant les jeunes majeurs, mais pas seulement – c'est un ensemble. Bien sûr, ce texte est incomplet, alors que les attentes sont extrêmement fortes en matière de protection de l'enfance, mais pour moi, l'avancée prévue concernant les jeunes majeurs constitue un signe très important.

À l'exception du fichier AEM, qui concerne les mineurs non accompagnés et sur lequel je sais que nous ne tomberons jamais d'accord – nous en avons souvent parlé, y compris dans le cadre de mes anciennes fonctions de vice-présidente de département chargée de la protection de l'enfance –, j'ai bon espoir que nos débats soient riches et se nourrissent de nos propositions. Même si je reste très en colère, parce que dix-sept de mes amendements ont été déclarés irrecevables au motif qu'ils contreviendraient aux dispositions de l'article 40 de la Constitution, de nombreux amendements seront débattus aujourd'hui, nous permettant de faire avancer ce texte.

Je vous l'ai dit, l'Australie aujourd'hui et le Québec demain font de l'action pour les jeunes de 18 à 25 ans une priorité ; plus personne ne met un enfant à la rue à 18 ans. La France doit montrer le chemin. J'ai bon espoir, grâce à vos propositions, qui constituent un premier pas, un chemin qu'il faudra poursuivre demain. Nous en débattrons – j'y veillerai personnellement et vous connaissez ma détermination sur ces questions.

J'ajoute enfin qu'il faudra prévoir un code de l'enfance, car il est devenu nécessaire de reprendre tous les textes portant sur ce sujet, sur lequel nous avons beaucoup légiféré, au sein d'un code spécifique.

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