Je me moque, du reste, d'entendre un ancien Président de la République reprendre le micro il y a deux jours pour affirmer que nous n'aurions pas de programme. Que cet homme ait au moins la délicatesse de lire le programme de La France insoumise, qui a été dévoilé lors de l'élection présidentielle : il a pour titre L'Avenir en commun et il est défendu régulièrement à cette tribune par mes camarades et moi-même. Je le répète : de nos 725 amendements, vous n'avez quasiment retenu aucun, alors qu'ils auraient indiscutablement enrichi ce texte important. L'opposition peut toujours tenter de débattre : vous ne l'entendez pas, et ses amendements sont rejetés.
Vous avez attribué 9 milliards d'euros de cadeaux aux plus grandes fortunes du pays. Comme cela a déjà été souligné, c'est le fond du problème, puisque ce sont près de 10 millions d'euros qui, chaque heure – je dis bien chaque heure ! – , passent des poches de l'ensemble de la population à celles des plus riches : 10 millions de l'heure, c'est incroyable.
Visiblement, l'accaparement des richesses par ceux qui possèdent déjà presque tout ne vous inquiète pas : il semble même parfois vous satisfaire. Vous pensez même que c'est utile, si je dois vous reconnaître une forme de vertu et vous concéder que vous êtes honnêtement convaincus par cette logique. Or tout démontre aujourd'hui qu'elle va dans le mur.
Hier, un grand quotidien du soir a publié une enquête qui montre, aux plans mondial, européen et national, l'aggravation des inégalités. Voilà qui aurait dû surplomber l'ensemble de vos réflexions. Voilà qui aurait dû concourir à peindre la toile de fond sur laquelle vous auriez dû dessiner toutes les lignes de force du budget. Cela n'a malheureusement pas été le cas.
Vous ne pouvez pas ignorer qu'il y a toujours plus de pauvres dans le pays, toujours plus de mal soignés, toujours plus de mal payés et de maltraités. Les inégalités se creusent, la pauvreté progresse, le chômage augmente, la précarité se généralise et l'espérance de vie en bonne santé au mieux stagne, au pire régresse. Aujourd'hui, 4 millions de Français sont mal logés. Le nombre de personnes sans domicile fixe a augmenté de 50 % en dix ans. En 2015, près de 20 000 personnes ont été répertoriées comme vivant dans l'un des 582 bidonvilles de France, dont 12 % sont situés en Seine-Saint-Denis, département dont j'ai l'honneur d'être député.
Dans la cinquième puissance économique mondiale, on trouve aujourd'hui 9 millions de pauvres, soit près de 15 % de la population. Quant aux Français qui sont au-dessus du seuil de pauvreté, ils sont eux aussi nombreux à vivre difficilement : 44 % des foyers modestes, c'est-à-dire vivant avec moins de 1 200 euros par mois, ont du mal à se procurer une alimentation saine leur permettant de faire trois repas par jour, et 39 % de ces mêmes ménages avouent avoir du mal à payer des actes médicaux, ce qui représente une hausse de trois points en seulement un an.
Mais rien de tout cela, à vos yeux, ne semble constituer une urgence et nécessiter une rupture : ce qui compte, c'est de rester dans les clous du diktat européen en ne dépassant pas les 3 % de déficit public, même si bien souvent, ceux qui défendent ces exigences n'ont été élus par personne, alors même qu'elles condamnent, au plan européen comme au plan national, près de 500 millions de personnes à subir des politiques d'austérité.
Pour se conformer à cette règle d'or, il faut avancer en suivant les mesures que vous nous avez proposées : baisser les APL pour les plus fragiles, augmenter la CSG, baisser les salaires ou refuser de les augmenter, affaiblir la Sécurité sociale, s'en prendre au code du travail, s'interdire de rompre avec le système productiviste, limiter, s'il le faut, les libertés publiques, mettre à mal l'hôpital public, ne pas renforcer l'école publique et l'enseignement supérieur. Voilà la politique que la nouvelle majorité s'applique à mettre en oeuvre alors que longtemps, notre pays a été envié par nombre de nos amis européens comme dans l'ensemble du monde.
Alors qu'on nous enviait le code du travail, la Sécurité sociale, la solidarité nationale, le système démocratique, le projet de loi de finances pour 2018 condense toutes les attaques. Pourtant, vous auriez pu emprunter un autre chemin, car il est faux de prétendre qu'il n'y a aucune alternative possible.
L'urgence aurait été de pourchasser la fraude sociale et de refuser de réduire les APL, de stigmatiser la fonction publique, de casser les droits des salariés du privé ou d'autoriser le saccage de la planète. L'urgence aurait été de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale qui, à elles seules, coûtent 100 milliards d'euros à l'État chaque année. Je le répète : l00 milliards d'euros, soit un montant supérieur à celui du déficit public ! L'urgence est-elle de chercher à éteindre un petit foyer en train de naître alors qu'un brasier se développe de l'autre côté de la maison ? Chaque année, ce sont 100 milliards d'euros qui échappent aux recettes de l'État. C'est à cela qu'il faut s'en prendre, au lieu de limiter les dépenses publiques qui sont si nécessaires à la population !
Vous auriez pu conduire une autre politique, celle que propose notre contre-budget, qu'a présenté tout à l'heure mon ami Éric Coquerel et sur lequel il faut revenir, car il prouve concrètement à ceux qui nous écoutent que d'autres pistes sont possibles, d'autres choix sont réalisables. Cela nécessitait, c'est vrai, du courage.
Vous auriez pu commencer par lisser l'impôt en quatorze tranches, de manière à ce que chacun puisse contribuer en fonction de ses moyens et à permettre à ceux qui ont la chance et l'honneur d'être les plus riches de contribuer davantage. Vous auriez pu augmenter la TVA sur les produits de luxe, pour la réduire sur les achats de première nécessité. Vous auriez pu augmenter l'impôt sur les sociétés du CAC 40, pour réduire l'impôt sur les PME et les TPE. Vous auriez pu fixer un héritage maximum, pour éviter la perpétuation des inégalités. Vous auriez pu supprimer les niches fiscales qui coûtent tant au pays, alors qu'elles ne rapportent qu'aux plus riches.
Vous auriez pu abroger le CICE, le pacte de responsabilité, le crédit d'impôt recherche et tous ces dispositifs qui offrent de l'argent aux grandes entreprises sans rien leur demander en retour. Vous auriez pu augmenter le RSA, le minimum vieillesse, l'allocation adulte handicapé et tous les minima sociaux, pour les placer, au moins, au-dessus du seuil de pauvreté. Vous auriez pu augmenter le SMIC. Car on peut parler du SMIC, même lorsque notre pays traverse des événements tragiques, n'est-ce pas ? Merci.