Le débat d'orientation des finances publiques s'inscrit cette année dans un contexte très particulier. Du fait de la crise sanitaire, l'encadrement européen, notamment le pacte de stabilité et de croissance, demeure suspendu jusqu'au terme de l'année 2022. Cela concerne les règles relatives aux déficits excessifs et à la définition de la trajectoire pour les combler.
Par ailleurs, la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 ne peut plus être une référence. L'usage massif, à compter de mars 2020, de la politique budgétaire pour maintenir les salaires des Français, leurs emplois et nos entreprises a rendu ce cadre national totalement caduc. Cette absence de repères, que la crise sanitaire nous impose à tous depuis plus d'un an, demeure aujourd'hui perceptible. Le Gouvernement a révisé à la hausse sa prévision de croissance pour 2021, qui s'établit désormais à 6 %, il y a deux jours, dix jours après le vote d'un projet de loi de finances rectificative. La confiance des ménages progresse et leur consommation est dynamique ; l'activité s'est vivement redressée malgré un contexte sanitaire qui se tend de nouveau. Cela n'en modifie pas moins, une fois de plus, l'appréciation parlementaire du pilotage de nos finances publiques.
Pour autant, en s'appuyant sur une vaccination que chacun espère efficace, massive et la plus rapide possible en France et dans le monde à cet horizon, le projet de loi de finances pour 2022 devrait dessiner un début de retour à la normale du point de vue des finances publiques, dans un contexte macroéconomique amélioré sur la base d'une croissance vigoureuse, observée dès 2021, et du fait de l'extinction des principales mesures d'urgence. Ainsi, l'activité dépasserait en 2022 son niveau de 2019. En revanche, 2022 demeurera une année particulière en ce qui concerne la dépense publique, car il s'agira d'une année pleine et entière pour le plan de relance. Au total, 2022 devrait donc être une année charnière, prenant acte de la fin du « quoi qu'il en coûte » du point de vue de la politique budgétaire et préparant la mise en œuvre, à partir de 2023, d'une politique budgétaire de moyen terme qui s'appuie sur la maîtrise de la dépense publique pour faire décliner le ratio d'endettement public à compter de 2026.
Ainsi, le solde public devrait demeurer nettement dégradé en 2022, à – 5,3 %. Il est en amélioration substantielle, toutefois, après un niveau légèrement inférieur à – 9 % en 2021, qui a été actualisé du fait de la révision de la croissance à 6 %.
Dans le tiré à part que le Gouvernement nous a transmis cette nuit, on peut relever que les lois sectorielles de programmation budgétaire sont respectées, sinon dépassées, pour les armées, pour la justice, pour la recherche. Il en va de même de la loi relative à l'aide publique au développement. Les autres priorités gouvernementales sont également respectées. Je pense notamment à l'enseignement scolaire, avec notamment 1,7 milliard au titre du Grenelle de l'éducation, au travail, avec la poursuite du dispositif « 1 jeune, 1 solution », à la culture, avec la poursuite du pass culture, aux fonds destinés à nos forces de l'ordre. Les ressources affectées aux collectivités territoriales sont aussi stabilisées à un haut niveau.
Plus globalement, la dépense publique pourrait progresser de 1,5 % en 2022, à un rythme conforme aux standards d'avant la crise, mais environ deux fois plus élevé que celui programmé à compter de 2023 jusqu'en 2027. C'est ce rythme modéré qui doit permettre de faire baisser le ratio d'endettement public dans la richesse nationale à compter de 2026. En 2022, ce ratio atteindrait 115,7 % et augmenterait jusqu'en 2025 à 118,3 %, avant de se stabiliser en 2026 puis de décliner à partir de 2027. Ce sera aussi l'année où le déficit public devrait repasser sous la barre des 3 % du PIB.
Car c'est bien cela l'objectif : après une telle crise et la nécessité de dépenser autant que nécessaire, il nous faudra retrouver le contrôle et la maîtrise de nos engagements de long terme. Notre débat peut être l'occasion de réfléchir à la stratégie de finances publiques au sortir de la crise sans précédent entamée en mars 2020. L'élaboration d'une telle stratégie est essentielle pour envoyer un signal fort, lisible et crédible aux Français, qui s'interrogent très légitimement sur la capacité que nous aurons dans le futur à les protéger. Ils attendent que nous soyons en mesure de reconstituer cette capacité. Cette stratégie s'adresse également à tous les créanciers présents et futurs de la France.
Notre pays a pu s'endetter autant que nécessaire pour soutenir son économie et protéger les ménages. Tous les pays n'ont pas cette faculté et la confiance dans la signature de la France est un bien immatériel précieux pour tous les Français, mais fragile. Il nous faut l'entretenir. On peut envisager une voie tout à la fois sérieuse et ambitieuse pour les prochaines années. Il ne s'agit en aucun cas de céder aux sirènes de la consolidation budgétaire, qui déprimerait l'activité, en répétant certaines erreurs passées ayant conduit à lourdement augmenter les impôts, notamment des ménages, pour rattraper la dépense publique. Il ne s'agit pas non plus d'ouvrir grandes les vannes dans le contexte de la suspension temporaire des règles européennes. À l'inverse, il s'agit d'allier le sérieux budgétaire par la progression maîtrisée de la dépense publique à un renforcement de l'investissement public pour rattraper la perte d'activité, et même dépasser le rythme de croissance potentielle d'avant crise de la France.
Je pense qu'il est possible et souhaitable de se fixer une règle simple, compréhensible par chacun : à l'horizon 2027 et dès que possible, il faut parvenir en France à un solde primaire nul, c'est-à-dire hors charges d'intérêt de la dette. Par temps calme, nos finances publiques doivent être à l'équilibre. C'est ce que parviennent à faire la plupart de nos voisins européens. Ce serait un message simple et rassurant adressé à nos compatriotes. Oui, la France sait financer à long terme le modèle social qui protège les Français.
Pour en arriver là, il convient d'établir la relation la plus vertueuse possible entre engagements publics et activité économique. Tel qu'il est conçu, le plan de relance doit permettre de rattraper les pertes d'activités liées à la crise. Il convient de s'interroger sur un temps complémentaire de la relance, destiné à garantir la transition écologique et à renforcer le potentiel de croissance de l'économie à l'horizon 2030. Nous l'avions évoqué, notamment avec ma collègue Bénédicte Peyrol et l'eurodéputé Pascal Canfin il y a quelques mois. Nous sommes heureux de constater que la réflexion prospère et que les premiers principes sont établis en la matière ; nous avons rendez-vous en septembre sur ce point.
Dans ce contexte, la maîtrise de nos comptes publics par celle de la dépense publique nécessitera d'opérer des choix s'appuyant sur une revue des dépenses publiques. Les premiers travaux exploratoires ont été nombreux en 2021 pour contribuer à définir la bonne méthode en la matière. Il appartiendra aux Français de trancher les sujets politiques sous-jacents lors des prochaines échéances démocratiques nationales, dans moins d'un an, avant d'en assurer la traduction dans un support législatif de programmation valable pour la prochaine législature.
La présidence française de l'Union européenne, au premier semestre 2022, sera un moment crucial pour envisager une réforme ambitieuse et adaptée des règles européennes encadrant les finances publiques nationales, avec le souci de chercher à garantir la soutenabilité de la dette publique de chacun des États membres. L'Union européenne a démontré depuis le début de la crise son apport décisif pour faire face à la crise. Et d'abord par une politique monétaire adaptée et massive, qui a permis d'emprunter à des taux très bas. Quelle bonne décision les Français ont prise en son temps en faisant le choix de l'euro, décision renouvelée en 2017 !
L'Union européenne, c'est aussi la création historique d'une faculté collective d'endettement dont nous allons très prochainement bénéficier de façon concrète. Il faut bien entendu travailler à la conforter. Il s'agit aussi, désormais, de revisiter nos règles collectives communautaires pour mieux les adapter à la situation propre à chaque pays et pour garantir la puissance de l'apport communautaire aux politiques économiques nationales. À très court terme, les propositions de loi organique et ordinaire que notre assemblée examinera cet après-midi en commission spéciale, puis dès le début de la semaine prochaine en séance publique, contribueront, je l'espère, à renforcer nos outils internes consacrés à la gouvernance de nos finances publiques.
Il nous faut enfin évoquer le fait d'avancer le débat d'orientation des finances publiques au mois d'avril, ce que nous ferons avec Éric Woerth dans notre proposition de loi organique. Le présent exercice de débat d'orientation des finances publiques au cours du mois de juillet pourrait ainsi être le dernier du genre, si cette disposition était adoptée, mais ce serait pour nous retrouver ici plus tôt dans l'année civile, dans le cadre d'un calendrier plus cohérent, au service de nos finances publiques, donc des Français. Je forme le vœu que nous y parvenions et je donne rendez-vous à tous les commissaires spéciaux cet après-midi.