Le débat d'orientation des finances publiques s'ouvre dans une période marquée par l'incertitude et la défiance, une incertitude qui concerne au premier chef la situation sanitaire mais qui se propage inéluctablement à tous les secteurs de la vie sociale et économique. Ce climat est aggravé par une défiance citoyenne d'une rare ampleur, dont les signes sont multiples et inquiétants. La sortie de crise qui semblait s'amorcer se trouve contrariée par un nouveau variant du covid 19 faisant craindre de nouvelles restrictions, mais aussi de nouveaux sacrifices, surtout pour les plus modestes.
À cet égard, la dernière intervention du Président de la République ce lundi soir est révélatrice. Si le changement de cap sur la stratégie vaccinale est total et aurait mérité à ce titre plus de précisions sur les grandes lignes de sa mise en œuvre, nous ne constatons aucune inflexion majeure quant à la politique sociale et économique appliquée avec constance depuis quatre ans, bien au contraire. Dans un discours censé sonner la mobilisation pour la vaccination et s'inscrire dans une certaine concorde, le président Macron s'est permis de consacrer près de la moitié de son allocution à rappeler les fondamentaux de l'idéologie néolibérale qui inspire ses choix politiques, ainsi qu'à fixer l'agenda économique et social des prochains mois.
Autant vous le dire, monsieur le ministre délégué, nous avons appris bien plus des orientations budgétaires à venir en écoutant pendant quinze minutes le Président de la République qu'en lisant le rapport que vous nous avez fourni, qui se limite à faire l'éloge de la politique économique menée depuis 2017, d'autant que le tiré à part nous est parvenu ce matin ! Mieux vaut tard que jamais, paraît-il. La prochaine fois, nous le recevrons peut-être après le débat !
En réalité, tout cela se ressemble, se recoupe et se complète et force est de constater que le programme annoncé par Emmanuel Macron pour la fin de l'année 2021 et le début de l'année 2022 s'inscrit dans la droite ligne de la politique économique menée depuis quatre ans.
Dans une sorte de répétition générale, tout y est passé : l'argument de la valeur travail pour justifier la baisse des allocations chômage ; la banalité classique sur le fait que nous vivons plus longtemps et que nous devons donc travailler plus longtemps pour justifier la réforme des retraites ; enfin, plus généralement, la nécessité de ne pas accroître les impôts des Français pour ne pas avoir à mettre à contribution les plus fortunés, dont le nombre a d'ailleurs progressé durant cette crise, et choisir au bout du compte de faire payer la crise par les plus modestes à travers la baisse des dépenses. Je pense particulièrement aux étudiants, qui ont appris récemment la fin des repas à 1 euro pour tous. Comment notre démocratie peut-elle se réduire à un tel niveau, en refusant de faire payer la crise à ceux qui en ont profité et en sacrifiant un dispositif de justice sociale élémentaire ?
Nous ne nous faisions guère d'illusions. Le Président de la République est venu confirmer ce que les Français redoutaient. Depuis plusieurs mois déjà, le Gouvernement n'a cessé de préparer les esprits au retour de l'austérité et des mesures antisociales. Les différents rapports commandés à la Cour des comptes, à la commission Arthuis ou au comité Tirole-Blanchard avaient pour objectif d'apporter une pseudo-caution à ces politiques. Elles sont désormais officiellement confirmées. C'est le cas de la réforme de l'assurance chômage, maintes fois repoussée car confrontée aux désastres sociaux qu'elle aurait engendrés. Suspendue récemment par le Conseil d'État, elle sera de retour dès le 1er octobre pour permettre d'économiser 2,3 milliards d'euros sur le dos des chômeurs. De même pour la réforme des retraites, mise en échec l'année dernière par la mobilisation sociale : elle sera de retour dès que les conditions sanitaires s'amélioreront. Alors que la différence d'espérance de vie entre un cadre et un ouvrier est de six années, c'est sur ces derniers que vous allez faire des économies pour payer le coût de la crise.
L'objectif de ces politiques est clair et doit être porté à la connaissance de tous. Il s'agit d'une part de respecter les engagements de réforme que vous avez promis à la Commission européenne afin d'obtenir les crédits du plan de relance européen, et d'autre part de respecter la trajectoire de baisse des dépenses inscrite dans le programme de stabilité transmis à cette même Commission européenne au mois d'avril.
Désormais, le problème n'est même plus le déficit public, mais bien la dépense publique. Autrement dit, la cible est bel et bien la place et le périmètre d'action de l'État, qu'il vous faut idéologiquement réduire. C'est dans cet esprit que s'inscrit la proposition de loi organique que nous examinerons la semaine prochaine et qui servira de carcan aux futures discussions budgétaires. Désormais, le niveau de dépenses publiques deviendra le seul et unique outil de pilotage des politiques économiques. Désormais, un véritable interdit est posé sur toute hausse de prélèvement obligatoire, quel qu'il soit.
Dans ces conditions, vous faites le choix de dispenser les contribuables les plus aisés de participer à l'effort budgétaire, pourtant essentiel, alors même que les 500 plus grandes fortunes de ce pays ont vu leur patrimoine croître de 30 % durant la pandémie. Et croyez bien, monsieur le ministre délégué, que les déclarations du Gouvernement de média en média pour annoncer fièrement qu'en 2020, l'impôt de solidarité sur la fortune a rapporté 1,5 milliard d'euros, ne trompent personne. Malgré sa récurrence, votre message ne passe tout simplement pas, parce que nous savons tous que cela représente 2,5 milliards d'euros de moins que l'ISF en 2017.
Vous procédez dorénavant à un exercice d'autosatisfaction sur la mise en place d'un impôt mondial. Pourtant, vous avez freiné durant les négociations et œuvré pour que le taux soit fixé à 15 %, et non pas à 21 % comme le proposaient d'autres pays. Cet impôt ne résoudra pas la concurrence fiscale entre les pays développés et privera l'État des 12 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires qu'il aurait pu espérer si le taux mondial avait été fixé à 21 %.
De la même manière, alors que la réforme de l'autonomie est annoncée depuis plusieurs mois et que son coût est estimé à 10 milliards d'euros, le Président de la République annonce désormais que cette réforme se fera, mais sans nouveau financement. Alors que vous avez prolongé la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) pour rembourser la fameuse dette sociale de la covid, où trouverez-vous l'argent ? Proposerez-vous une réforme au rabais, sans aucun financement, ou ferez-vous encore une fois payer cette réforme aux plus pauvres ? Cette répugnance à imposer les plus riches au moment où notre contrat social doit être renouvelé et où notre souveraineté économique doit à nouveau s'affirmer s'avère de plus en plus délétère.
Monsieur le ministre délégué, chers collègues, cette épidémie a mis à rude épreuve tous nos territoires. Mais les plus fragiles et les moins armés ont probablement été encore plus durement atteints. Je pense évidemment aux outre-mer, et singulièrement à La Réunion dont je suis l'élue. Je voudrais à nouveau attirer l'attention du Gouvernement sur ce qui s'apparente à une véritable bombe à retardement. Je veux parler de la hausse vertigineuse et continue du coût du fret, qu'il soit maritime ou aérien. Tous les signaux sont au rouge. Aucun secteur n'est épargné. Avec des augmentations comprises entre 50 et 200 %, l'impact sur nos entreprises, et donc sur l'emploi, est redoutable et les efforts consentis risquent d'être réduits à néant. Dans nos sociétés fortement dépendantes des approvisionnements extérieurs, une dégradation du pouvoir d'achat n'est pas non plus à exclure, loin de là. Monsieur le ministre délégué, cette situation, on l'a compris, ne se régulera pas d'elle-même et l'intervention de la puissance publique est indispensable pour éviter un scénario-catastrophe et sa cascade de désordres.
Cette crise sanitaire a mis brutalement à jour les fragilités et les impasses de la mondialisation néolibérale. Elle a provoqué une prise de conscience et suscité des promesses de réinvention. Nous avions compris que la politique économique qui a créé tant et tant de fractures, qui a fait exploser les inégalités et qui a réduit les marges de l'action publique, serait revue. Mais alors même que l'horizon de la sortie de crise recule, le Président de la République vient d'informer les Français qu'il n'en sera rien, que la même ligne idéologique sera encore à l'œuvre dans les mois qui viennent.
Contre toute logique et en dépit de failles béantes révélées par cette crise, l'examen des derniers projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale de ce quinquennat risque donc d'ajouter une page identique à l'agenda néolibéral de votre gouvernement. Soyez certains que comme la très grande majorité des Français et avec eux, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine s'y opposera.