Alors que nous venons d'achever l'examen du premier projet de loi de finances rectificative de l'année et de son cortège de mesures d'urgence ou de relance, le présent débat a le mérite de nous faire prendre un peu de hauteur. En cette période où tout est soumis aux aléas de la crise sanitaire, y voir clair, disposer d'une boussole, devient plus que jamais une impérieuse nécessité. D'où venons-nous ? Où en sommes-nous ? Où allons-nous ?
Comme toute crise, celle-ci devrait avoir ses avantages : par exemple, vous permettre de juger du bien-fondé de votre trajectoire financière, de constater les possibles défaillances de vos choix budgétaires passés, et de corriger le tir au besoin. Toutefois, cette capacité d'autocritique ne semble pas figurer parmi vos vertus. Aucun changement de cap n'est annoncé. Pourquoi changer, après tout ? Si j'en crois le rapport préparatoire, vos politiques de maîtrise de la dépense auraient en effet rencontré un franc succès. De 2017 à 2019, tout baisse : le déficit, la dette, le taux de prélèvement et par conséquent les impôts, d'une façon massive et salutaire – car leur diminution, selon ce même rapport, aurait entraîné une hausse du pouvoir d'achat des ménages, de la consommation et des investissements. En somme, le paradis budgétaire et économique, à quoi s'ajoutent des marges de manœuvre pour faire face à la crise !
Permettez-moi de revenir sur terre, en complétant ou en interprétant autrement les données. Tout d'abord, le paradis n'est pas pour tout le monde : comme l'écrivait Victor Hugo, « c'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches ». Pour les premiers, rien ; pour les seconds, une économie de 4 500 euros par an. Jusqu'à 192 000 euros de revenus supplémentaires pour les 1 % les plus riches, tandis qu'on comptait 400 000 pauvres de plus. Cela ne choque plus personne ! Ensuite, les investissements sont loin de résulter de la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et de sa compensation par le prélèvement forfaitaire unique (PFU), qui ont au contraire accru les revenus des actionnaires aux dépens des capacités d'autofinancement des entreprises. Du reste, si investissements il y a, ceux-ci sont plutôt sortants qu'entrants. La raison : une compétitivité fortement dégradée en 2020, selon un laboratoire d'idées patronal. En effet, à en croire le secrétaire au Trésor des États-Unis, elle ne peut plus porter sur le moins-disant fiscal, mais sur la qualité des infrastructures, du système d'éducation, de la formation, qui relèvent soit de l'investissement, soit de la dépense publique.
Or, en passant de 55 % à 53,4 % de notre PIB, ces dépenses ont été amputées de près 50 milliards d'euros, voire de 78 milliards si l'on inclut la sécurité sociale et les collectivités. Certes, voilà l'un de vos vœux, partagé de Bruxelles à l'Élysée, partiellement satisfait !Mais cette façon de maîtriser les dépenses publiques a surtout fragilisé le pays face à la crise ; c'est l'autre face de la médaille. Un exemple le démontre, celui de nos hôpitaux. Ils étaient déjà à l'os avant la crise, avec un ONDAM contenu en dessous de 2,5 % depuis des années, quand les besoins impliquaient une augmentation de 4,5 % par an.
Quant à la réponse à la crise, permettez-moi de citer deux exemples pour illustrer son inanité tant économique que sociale. D'abord, des aides par milliards sans conditions pour le CAC40, qui a pu verser 51 milliards d'euros de dividendes en 2021 tout en prévoyant de supprimer quasiment 30 000 emplois. Ensuite, 10 milliards d'un nouveau cadeau fiscal aux grosses entreprises pollueuses, pour un effet multiplicateur de 0,3. Voilà en effet, monsieur le ministre délégué, de quoi stimuler notre économie tout en répondant à l'urgence climatique ! Résultat : un million de pauvres supplémentaires, une dépense publique anémiée, des recettes dégradées, et même pas de résultat sur le front de la compétitivité. Quant au climat…
Tout cela est absurde, mais vous insistez. À l'horizon, la sempiternelle maîtrise des dépenses publiques pour retrouver l'équilibre et toujours le même remède de plus en plus amer, la contraction de la dépense publique par un carcan similaire à l'ONDAM : avec une croissance limitée à 0,7 %, la dépense publique est en baisse par rapport au PIB mais surtout par rapport aux besoins futurs. Alors que l'instabilité sanitaire s'accroît, alors que des économistes libéraux suggèrent de mettre sur la table 60 milliards supplémentaires pour les ménages précaires, vous ressortez déjà la réforme de l'assurance chômage et la casse des retraites.
Monsieur le ministre délégué, chers collègues, quand les augures journaliers vous servent de prévisions, quand l'aveuglement idéologique vous sert de boussole, il est en effet difficile de changer de cap. C'est regrettable car, j'en suis persuadée, nous allons dans le mur.