Si l'on s'arrêtait à son titre ou à ses objectifs, ce projet de loi pourrait soulever notre enthousiasme. Cependant, notre fonction de législateur nous oblige à toujours nous interroger sur l'adéquation entre les moyens mobilisés et les objectifs poursuivis. À cet égard, nous ne pouvons que regretter que votre texte ne soit pas à la hauteur des enjeux.
Notre République a besoin d'être confortée – cela ne fait pas de doute. Notre société a besoin de plus de liberté, de plus d'égalité, de plus de fraternité. Pour cela, ce sont nos services publics qu'il faudrait conforter, pour un égal accès, partout sur le territoire, à la santé, à l'éducation, à la sécurité, mais également à la culture.
Ainsi ce texte apparaît-il comme un rendez-vous manqué avec la République, et ce essentiellement pour une raison : vous avez cédé à la tentation de la République de la défiance envers les associations, placées au rang de suspects. Alors qu'elles sont des actrices de premier plan au service de la cohésion sociale, elles méritaient mieux que la suspicion que ce projet de loi fait peser sur elles. Suspectées d'être les instruments du séparatisme, elles seront tenues de déclarer leur allégeance aux principes de la République et menacées de perdre les subventions publiques qu'elles perçoivent.
La liberté d'association doit être confortée et non mise en péril. Les risques juridiques sont considérables et cette loi vient fragiliser le régime protecteur d'une des libertés les plus essentielles de notre démocratie. Il s'agit même de la première liberté consacrée par le Conseil constitutionnel qui, par sa décision du 16 juillet 1971, l'a érigée en principe fondamental reconnu par les lois de la République.
La création du contrat d'engagement républicain risque de fragiliser les associations en les plaçant à la merci d'interprétations arbitraires des valeurs qui y sont énoncées. En effet, la référence à des principes aussi généraux que la dignité de la personne humaine place les associations dans une situation de vulnérabilité vis-à-vis des autorités publiques pour l'obtention ou le maintien de subventions qui leur sont parfois vitales.
C'est leur indépendance même qui se trouve ici menacée, étant donné qu'elles pourraient se trouver suspendues au bon vouloir des autorités nationales ou locales, selon l'interprétation de ces dernières de la notion de dignité de la personne humaine ou encore de celle de respect de l'ordre public.
À cet égard, la référence à cette dernière notion apparaît particulièrement inquiétante, dans la mesure où elle est étrangère au milieu associatif. Quelle interprétation pourrait-on lui donner ?
Quant à la référence aux symboles de la République, que devraient également respecter les associations, elle soulève de graves questions. En République, les associations n'ont-elles pas le droit à l'irrévérence ? En quoi devraient-elles être concernées, de près ou de loin, par la Marseillaise ou le drapeau tricolore ? À nouveau, une telle disposition offre aux autorités une marge d'interprétation permettant tout et n'importe quoi. Lorsque nous légiférons, nous devons garder à l'esprit que le contexte d'application des textes sera peut-être différent – très différent – de celui de leur élaboration.
Notre République a besoin de plus de liberté, de plus d'égalité, de plus de fraternité. Avec ce texte, nous n'aurons finalement rien gagné, mais la République, elle, aura perdu en libertés.