Depuis plus d'un an, la situation de crise sanitaire, économique et sociale a parfois permis de réhabiliter le dialogue social et la négociation collective, qui avaient été largement sous-estimés voire dénigrés ces dernières années. Notre groupe ne peut que se réjouir de pouvoir adopter un texte dont l'ambition est de transposer dans la loi les conclusions de l'accord national interprofessionnel, d'autant plus que les négociations avaient été difficiles, et avaient même échoué en juillet 2019. Il était pourtant plus qu'urgent d'améliorer notre politique en matière de santé au travail, tant celle-ci est en souffrance depuis de nombreuses années.
À la faveur de la crise sanitaire, la santé comme le bien-être au travail sont redevenus des préoccupations centrales pour nos concitoyens. Or les dysfonctionnements existants se sont aggravés. Rappelons les constats que nous dressions déjà : pénurie de médecins du travail, système illisible et difficile d'accès, inégalités territoriales.
Rénover notre politique de santé au travail, c'est se donner l'ambition de s'attaquer aux effets de la précarisation des carrières sur le suivi et la santé des salariés ; c'est répondre à leur souffrance physique, mais aussi psychique, qui s'est largement accrue ces derniers mois et dont nous mesurons encore mal l'ampleur ; c'est aussi renforcer la logique de prévention, ce qui exige de porter une attention constante aux nouveaux risques liés aux mutations du travail.
D'une manière générale, notre groupe se satisfait de voir qu'un accord a pu être trouvé en commission mixte paritaire. Comme nous l'avions indiqué dès le début de nos travaux, il était pour nous indispensable de veiller à ce que la transposition de l'accord national interprofessionnel respecte les équilibres trouvés par les partenaires sociaux. En première lecture, notre groupe avait d'ailleurs soutenu plusieurs amendements visant à inscrire dans la loi certaines dispositions adoptées par l'ANI qui ne figuraient pas dans le texte initial. Ils ont pour la plupart été adoptés et maintenus dans le texte final, ce dont nous nous réjouissons.
À l'issue de la CMP, les grandes orientations de l'accord national interprofessionnel sont satisfaites. La proposition de loi permettra des avancées : le décloisonnement entre santé publique et santé au travail – notamment par l'accès encadré au dossier médical partagé ; le renforcement de la logique de prévention, grâce à la mise en place du programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail ; l'amélioration de la gouvernance des services de santé au travail ou encore l'accompagnement des publics vulnérables et la lutte contre la désinsertion professionnelle. Sur ce dernier point, il était absolument impératif de mieux prendre en compte les travailleurs en situation de handicap.
Au-delà de ces satisfecit, qui sont d'ailleurs conditionnés à une mise en œuvre concrète des mesures annoncées sur le terrain, il demeure certains regrets, et le sentiment que la présente proposition de loi ne permettra pas de régler tous les dysfonctionnements ni tous les manques. Ne sous-estimons pas la souffrance physique et psychique que le travail peut provoquer, et attachons-nous à mieux la détecter, la prévenir et la réparer.
Si notre groupe se réjouit de voir que le texte élaboré par la commission mixte paritaire a maintenu et enrichi notre proposition de mieux tenir compte des situations de poly-exposition, nous aurions souhaité aller plus loin et expliciter clairement dans la loi les différentes catégories de risques professionnels, notamment par la prise en considération des risques chimiques.
Par ailleurs, ce texte ne résoudra évidemment pas la question centrale de la pénurie de médecins du travail. Nous comptons un médecin pour 4 000 salariés dans le privé, soit moitié moins qu'il y a quinze ans. Le texte issu de la CMP limite le recours aux médecins correspondants aux territoires sur lesquels un déficit de médecins du travail a été identifié : c'est mieux que ce que prévoyait le texte initial, mais ce n'est pas totalement satisfaisant.
Or cette question est d'autant plus préoccupante que la proposition de loi crée de nouvelles obligations pour les médecins du travail – la visite de mi-carrière, la vaccination, le dépistage, ou encore la prise en charge de nouveaux publics comme les indépendants et les intérimaires. La délégation de tâches et la pratique avancée pour les infirmiers en santé au travail nous paraissent des solutions plus réalistes – encore faut-il pouvoir avancer sur le statut, la formation et la protection de ces infirmiers, à l'instar de ce qui existe pour les médecins du travail.
Ce texte présente donc plusieurs insuffisances. Son périmètre nous semble limité. Mais des avancées y figurent. Notre groupe y apportera donc son soutien.