Lorsqu'un accord a été trouvé en juin 2019 sur ce qui allait devenir la convention n° 190 de l'Organisation internationale du travail, cela faisait presque dix ans qu'aucune convention n'avait vu le jour au sein de cette instance. L'adoption de cette convention internationale mérite d'être saluée comme une victoire.
C'est d'abord une victoire sur la forme, parce que la communauté internationale a adopté non pas une simple recommandation, mais une convention contraignante, opposable à tous les pays qui l'auront ratifiée.
C'est aussi une victoire sur le fond, parce que la convention comble un vide : elle est la première norme internationale visant à mettre fin à la violence et au harcèlement au travail.
Il faut à cette occasion saluer le volontarisme et la persévérance de toutes celles et tous ceux sans qui cette convention n'aurait pas été possible. Il faut avant tout saluer toutes les femmes qui ont osé prendre la parole pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles et ont ainsi fait de ce sujet de société un enjeu central en France et dans le monde. Il faut aussi saluer le mouvement syndical international, pionnier dans ce combat, mais encore certaines grandes entreprises qui ont appelé à l'exemplarité et à la reconnaissance d'un « droit humain universel contre la violence au travail ». Il faut enfin saluer tous ces pays qui, comme la France, ont bataillé dans la négociation pour donner à la convention le niveau d'ambition le plus élevé possible.
En lançant le processus de ratification, le Gouvernement montre à nouveau l'engagement de notre pays contre toute forme de violence, à commencer par celles faites aux femmes. La violence et le harcèlement, voilà un sujet que nous maîtrisons mal lorsque nous en parlons à l'échelle de la planète : à une échelle aussi vaste, les données manquent et, quand elles existent, elles sont difficilement comparables d'un pays à l'autre. Mais nous savons qu'il s'agit là d'un phénomène répandu, massif, colossal.
En France, 15 % à 20 % des travailleurs ont déjà été victimes de violence et de harcèlement au travail, et un tiers des femmes ont déjà été agressées ou harcelées sexuellement sur leur lieu de travail.
Ces violences, ce harcèlement, que la pandémie est venue aggraver, ont de graves conséquences : pour les victimes, bien sûr, dont la santé physique et mentale est abîmée ; pour le collectif de travail, car la cohésion et la motivation en ressortent fragilisées ; pour les entreprises elles-mêmes, qui peuvent craindre pour leur réputation, la motivation de leurs salariés, leur productivité, ou encore leur capacité à recruter.
Pour faire face à la violence au travail, la convention n° 190 dispose de deux atouts.
Le premier, c'est sa grande ambition. Elle apporte d'abord la première définition universelle de la violence et du harcèlement au travail. Elle appelle à protéger les femmes contre la violence au travail mais aussi à atténuer l'impact de la violence domestique dans le monde du travail. La convention adopte une approche globale en envisageant ensemble la prévention, la formation, la protection, l'accompagnement, la réparation et la sanction.
La lutte contre la violence et le harcèlement au travail doit être coconstruite avec les organisations patronales et syndicales, par l'intermédiaire de la loi et des conventions collectives existantes. Car c'est à tous les niveaux, jusqu'au plus près de l'entreprise, jusqu'au plus près des travailleuses et des travailleurs, que la réponse à la violence doit être pensée.
Le deuxième grand atout de la convention – et cela n'a pas été facile – est son équilibre et la façon dont elle prend en compte les sensibilités et contextes nationaux. Il n'aurait pas suffi d'élaborer une réponse qui soit à la hauteur ; il fallait encore que le plus grand nombre d'États puissent y souscrire.
Nous pouvons dire, monsieur le secrétaire d'État, que le pari est tenu. Sur 187 pays, 30 se sont abstenus, 7 seulement ont voté contre. La convention n° 190 est donc l'une des mieux adoptées de l'OIT.
La négociation a pourtant failli dérailler plus d'une fois. Mais, à chaque aspérité, des formules de compromis ont été trouvées, notamment dans la recommandation n° 206, qui accompagne la convention sans en avoir la force normative.
Chacun s'accorde donc sur la valeur de cette convention, mais il existe un terrain sur lequel le consensus est moins clair. Il s'agit de la question des conséquences que nous devons tirer, en France, de cette ratification. Bien sûr, tout est perfectible, et nous devons progresser dans la mise en œuvre du droit existant. Mais devons-nous aller plus loin ? Devons-nous aller jusqu'à changer notre droit ?
Sur cette question, deux idées s'opposent.
Pour le Gouvernement, la France dispose déjà d'une législation parmi les plus avancées dans ce domaine. Il est donc inutile de prévoir, dans l'immédiat, des mesures complémentaires.
Pour les syndicats et les organisations non gouvernementales (ONG), la convention n° 190, et la recommandation n° 206 qui l'accompagne, peuvent inspirer de nouvelles évolutions du droit.
Je l'ai dit en commission : mieux vaut allumer une chandelle que maudire l'obscurité. C'est un débat que nous ne trancherons pas ici, entre nous. Comme à chaque fois, pour aller de l'avant, les partenaires sociaux doivent d'abord se parler. Et, si les organisations patronales sont réticentes, il me semble que le Gouvernement devra cadrer et accompagner la négociation.
Pour terminer, j'en appelle à la responsabilité sociale des entreprises. Les organisations d'employeurs, les entreprises, les syndicats et les associations citoyennes peuvent prendre l'initiative et créer une dynamique commune. Ensemble, ces acteurs peuvent contribuer à construire une société libérée des violences et du harcèlement au travail.
Sur ce sujet comme pour beaucoup d'autres, nous devons d'abord leur céder la main car ce sont eux qui font vivre la démocratie sociale dans notre pays.