Nous sommes réunis pour ratifier une convention dont l'objectif ambitieux est de faire en sorte que pour chaque travailleur, chaque salarié, chaque employé, l'environnement de travail soit dépourvu de harcèlement et de violence.
C'est la première fois qu'un accord est trouvé dans ce domaine entre les différents États membres de l'Organisation internationale du travail. Les questions liées à ce phénomène doivent être saisies à bras-le-corps et la ratification de la convention n° 190 de l'OIT nous en donne l'occasion : il n'appartient qu'à nous de ne pas la manquer.
Le groupe Libertés et territoires tient à saluer la principale avancée de cet accord : l'adoption d'une définition universelle de la violence et du harcèlement dans le monde du travail. Si d'ordinaire ces conventions se limitent à retenir le plus petit dénominateur commun, afin d'associer le plus d'États possible, tel n'a pas été le cas : la définition retenue est particulièrement large et inclut notamment les violences fondées sur le genre.
Cette convention et les recommandations qui l'accompagnent doivent nous permettre d'aller au-delà de la simple sensibilisation et contribuer à enrayer ces infractions. Cependant, je relève que, pour l'heure, seuls sept États ont ratifié cet accord, alors même qu'un pays sur trois n'est doté d'aucune loi pour interdire le harcèlement sexuel au travail. Cette situation est loin d'être anodine et illustre le vide juridique dans lequel se trouvent 235 millions de travailleuses et de travailleurs dans le monde.
La France est pour sa part déjà particulièrement investie dans ce domaine, à la fois aux niveaux international, européen et national. Elle se doit de faire usage de tout son poids diplomatique.
Cela étant, si nous ne pouvons nous satisfaire de la situation actuelle à l'échelle mondiale, notre propre législation demeure également perfectible. Certes, le cadre légal français a été amendé en 2018 pour améliorer la prévention et la répression du harcèlement sexuel ou moral au travail, mais force est de constater que les violences persistent. Réalisée par la CGT, Care France et ActionAid France, l'étude d'impact sur la ratification de la convention par la France révèle que 30 % des salariées françaises ont déjà été harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail et que 70 % des victimes n'en ont jamais parlé à leur employeur.
Ces chiffres sont saisissants et les exemples choquants ne manquent pas. Rappelons-nous qu'en 2014 un cadre d'Airbus a fait marcher des salariés sur du verre brisé, puis a contraint l'un d'eux, qui avait refusé de le faire, à en expliquer les raisons.
En outre, parmi les victimes de harcèlement au travail, nous constatons une surreprésentation des plus jeunes – les 20-29 ans –, des personnes en contrat précaire et des femmes.
Il y a quelques mois, nous votions en première lecture la proposition de loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, mais l'égalité femmes-hommes ne passe-t-elle pas avant tout par la promotion d'un cadre de travail exempt de violences ?
Au niveau de l'Union européenne, les chiffres sont également alarmants : 75 % des femmes occupant un emploi qualifié ou un poste d'encadrement supérieur ont déjà été victimes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail, tandis que, sur l'ensemble des victimes, 32 % ont signalé que l'auteur des faits était un supérieur hiérarchique, un collègue ou un client.
Si notre cadre légal est censé nous permettre d'enrayer ce phénomène et de protéger correctement les travailleurs, les chiffres montrent une autre réalité. Notre droit ne permet pas encore d'offrir une protection suffisante et un cadre de travail serein à nos travailleurs, aussi ne faut-il pas ralentir nos efforts.
Ainsi, contrairement à ce qui est avancé par le Gouvernement, nous estimons que cette ratification ne devrait pas avoir lieu à droit constant. Il serait bon d'adopter une vision encore plus large, en incluant les violences domestiques, lesquelles entraînent inévitablement des répercussions sur la vie professionnelle des femmes. Les entreprises ont également un rôle à jouer dans la détection de ce type de violences et l'adoption de nouvelles mesures pourrait contribuer à les éliminer définitivement.
Nous devons saisir l'occasion qui nous est donnée par cette convention pour renforcer notre arsenal juridique contre toutes les formes de violence et de harcèlement. Notre droit positif fait déjà beaucoup, mais nous pouvons aller encore plus loin. C'est la conviction de notre groupe, qui votera la ratification de cette convention en ce qu'elle constitue une première étape à la reconnaissance universelle d'une certaine forme de dignité au travail.