Intervention de Jean-Paul Lecoq

Séance en hémicycle du jeudi 15 avril 2021 à 9h00
Partenariat stratégique entre l'union européenne et le japon — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Cette motion de rejet préalable est une forme d'alerte contre les accords internationaux négociés sans les peuples, dans l'opacité, et qui ne servent qu'à faire diversion pour détourner l'attention d'autres accords encore plus néfastes. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : depuis près de quinze ans, des accords de libre-échange sont signés à tour de bras par l'Union européenne. Depuis que je suis élu à l'Assemblée nationale, je n'ai cessé de dénoncer leurs incidences écologiques, les ravages qu'ils produisent dans certains secteurs comme l'agriculture, leur opacité chronique ou la destruction méticuleuse de nos normes auxquelles ils procèdent, qu'elles soient environnementales, sanitaires, fiscales ou sociales.

La lutte des multinationales contre les peuples a été identifiée par l'opinion publique lors du projet de traité de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne – le TAFTA. De nombreuses ONG ont travaillé d'arrache-pied pour mettre au grand jour les manœuvres diplomatiques et politiques déployées par les négociateurs afin de rendre invisibles les mauvais coups en préparation contre les travailleurs et la planète.

Le plan a donc raté. Les mouvements sociaux se sont emparés de ces questions et ont mis en pleine lumière ce qui nous était réservé, à savoir un monde totalement libéralisé et sans douanes, une circulation absolument fluide des marchandises et des capitaux et une justice privée destinée à contrôler les États dans l'objectif avoué d'empêcher l'adoption de lois menaçant les investissements des grandes entreprises.

Le deuxième avertissement des peuples aux promoteurs de ce type d'accord est intervenu à propos du CETA – l'accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne. Certes, les mouvements populaires et les protestations des professionnels – à l'instar de celles exprimées par la filière bovine française – n'ont pas été écoutés et cet accord a été ratifié. Cependant, la Wallonie a fait office de grain de sable dans la machine : en s'opposant au projet, elle a contraint à elle seule l'Union européenne et ses négociateurs à revoir leur stratégie. Il est en effet devenu évident pour les technocrates de Bruxelles que les choses ne pouvaient pas continuer ainsi ; la situation devenait trop précaire. Or, c'est bien connu, la précarité, c'est pour les travailleurs et surtout pas pour les puissants. Eux veulent des résultats garantis, obtenus sans accroc, quoi qu'en pensent les peuples.

C'est ainsi que, pour éviter que de tels problèmes ne se reproduisent, il a été décidé de scinder les accords en deux, en séparant le commerce des autres sujets. En effet, la politique commerciale étant reconnue comme une compétence exclusive de l'Union européenne, les accords qui y ont trait ne nécessitent pas la ratification des États membres pour entrer en vigueur. À l'inverse, les accords portant sur d'autres sujets doivent, eux, obtenir l'onction démocratique avant de pouvoir être appliqués.

C'est pour cette raison qu'à la suite du CETA, on nous a concocté les fameux accords de libre-échange de deuxième génération non mixtes. La notion de « deuxième génération » correspond à l'ambition de faire tomber toutes les barrières, tarifaires et non tarifaires. Ainsi, en plus de supprimer les droits de douane, on tend à instituer des normes communes afin que les produits fabriqués dans les deux zones concernées par l'accord soient facilement échangés. Dans cette configuration, c'est très souvent le moins-disant qui gagne.

Les termes « non mixtes », eux, indiquent qu'il existe deux accords distincts : un accord spécifique au commerce, qui n'aura donc pas à être ratifié par les États membres, et un second accord sur les autres sujets. Mais ces deux accords séparés constituent bien les deux faces d'une même pièce ! Ils évitent d'avoir à rendre des comptes à ceux qui pourraient y perdre, comme les secteurs de l'automobile et de l'électronique.

C'est précisément pour ce motif que nous rejetons fermement la ratification de l'accord qui nous est soumis ce matin. Nous devons le rejeter et aussi dénoncer l'accord économique qui, lui, est déjà entré en vigueur le 1er février 2019. De cette manière, nous pourrions repartir de zéro et bâtir quelque chose de positif et, surtout, qui corresponde au nouveau visage qu'offre le monde avec la pandémie de coronavirus.

En effet, la covid-19 devrait rebattre les cartes et changer le monde : on entend les États-Unis évoquer l'idée d'un taux minimal de taxation des entreprises à l'échelle mondiale ; on parle, à l'instar du Président de la République lui-même, de relocalisations ; et le Fonds monétaire international va jusqu'à valoriser les politiques de planification ! Toutes ces idées et propositions, seuls les communistes les défendent depuis trente ans.

Les choses changent. Chaque fois que le capitalisme est menacé – et il l'est plus par le coronavirus que par n'importe quelle autre crise survenue dans le passé –, il mute pour mieux s'adapter et se perpétuer. Il faut se rendre à l'évidence : la mondialisation que nous avons connue et au cours de laquelle ont été négociés tous les accords de libre-échange, est morte en mars 2020. Les peuples ont compris qu'elle ne bénéficiait qu'aux plus puissants, aux plus riches et aux capitaux. À l'inverse, les pauvres, les précaires, les fragiles, ceux qui occupent des emplois fatigants, usants et mal payés, en souffrent beaucoup alors même qu'ils sont en première ligne pour nous soigner, nettoyer nos villes ou encore organiser la logistique pour notre approvisionnement en nourriture.

En parallèle, les plus riches ont profité de la crise. Les milliardaires français sont les champions d'Europe, avec une fortune cumulée d'environ 443 milliards d'euros. Leur fortune a augmenté de 45 % entre 2019 et 2020 – qui peut en dire autant de son salaire ? – et quasiment doublé entre 2020 et 2021. Cette richesse, soyez-en sûrs, n'a pas été investie pour la résilience de notre système !

En 2020, le monde entier a constaté que les chaînes logistiques mondiales étaient si tendues qu'un seul choc pouvait les briser, entraînant ainsi des pénuries mondiales de produits indispensables comme les masques ou les médicaments.

Par conséquent, cet accord commercial avec le Japon n'a aucun sens sauf, éventuellement, pour quelques biens. Faire faire à de la viande près de dix mille kilomètres avant d'arriver dans une assiette, alors que l'on produit la même à quelques kilomètres de chez soi est un non-sens absolu : en pleine discussion de la loi sur le climat, qui oserait voter une telle disposition ici, sinon pour trahir les ambitions de la loi ou démontrer qu'elle n'est qu'une parodie de démocratie et une parodie de lutte pour la planète ?

Ces pratiques, le covid-19 les a rendues définitivement obsolètes – les députés communistes l'espèrent du moins. Mais, si nous sommes portés par l'espoir d'un monde meilleur, ce n'est pas pour autant que nous désarmons notre vigilance, car il y a beaucoup de travail avant d'en arriver à un monde meilleur, et cet accord absurde, que vous tentez de nous faire approuver ce matin, en est un triste exemple.

L'accord de partenariat stratégique avec le Japon, en plus de n'être qu'un faire-valoir pour l'accord de libre-échange, est mal fait et oublie un grand nombre de sujets. Le premier qui me vient à l'esprit concerne évidemment le devoir de vigilance des entreprises donneuses d'ordre à l'égard de leur chaîne de sous-traitance. Ce sujet que je soutiens avec Mireille Clapot, aux côtés de Dominique Potier, est fondamental.

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