« Chez nous, l'eau est un accident », disent les Guadeloupéens. Effectivement, la situation en Guadeloupe nous rappelle à chaque instant à quel point tourner son robinet pour obtenir de l'eau est loin d'être une évidence pour certains de nos compatriotes. En l'absence d'eau, les citoyens improvisent, ils se douchent avec des bouteilles d'eau, se rendent parfois dans des clubs de sport pour assurer leur hygiène quotidienne, vivent au rythme des lessives au lavoir du quartier, tendent des seaux sous chaque robinet ouvert pour profiter de la moindre goutte quand la pression revient dans les tuyaux.
Mais même lorsque l'eau est là, est-il prudent de la boire ? Le scandale sanitaire, social et écologique du chlordécone plane toujours. En 2016, les trente-six premières matières détectées par l'Office de l'eau étaient des pesticides, dont seize matières aujourd'hui interdites – parmi lesquelles on trouvait le plus souvent du chlordécone. En Guadeloupe, le désastre a deux visages : l'eau est une ressource rare, mais qui peut être contaminée par ce pesticide toxique qui a empoisonné les humains, les sols et l'eau sur des générations, et sur lequel la responsabilité de l'État est engagée.
Sur cette situation catastrophique et indigne de notre République, il n'y a pas de controverse possible. Un audit interministériel de 2018 l'affirmait sans détour : il s'agit d'une crise systémique aux coûts humains et financiers considérables. Si catastrophique que, là-bas, le mètre cube d'eau est facturé un tiers plus cher qu'ici. Si catastrophique que, pour 100 mètres cubes d'eau captés dans les rivières, seuls 40 mètres cubes parviennent en moyenne à être distribués à la population, alors que la Guadeloupe dispose de deux fois plus d'eau douce par habitant que la France hexagonale. Si 40 mètres cubes sont distribués pour 100 mètres cubes captés, où est donc passée l'eau ? Dans la nature, collègues ! Pour cela, on peut remercier Veolia, qui a sous-investi dans la réparation des fuites et des canalisations pendant des décennies, plongeant ainsi 400 000 personnes dans une situation de stress hydrique et d'immense détresse.
Et où est passé l'argent ? Veolia passe d'un excédent budgétaire de 18 millions d'euros entre 2000 et 2007 à un déficit de plus de 100 millions d'euros sur la période 2010-2015, avec des réseaux laissés à l'abandon. Veolia et le SIAEAG laissent derrière eux une dette immense.
Les Guadeloupéennes et les Guadeloupéens n'en peuvent plus, ils sont lassés de souffrir de ces manœuvres, ils ne croient plus pouvoir un jour avoir accès à ce droit fondamental qu'est l'eau, ce droit humain fondamental consacré par les Nations unies il y a onze ans à l'initiative de la Bolivie et pourtant bafoué dans notre pays.
Croyez-le, collègues, ils seront particulièrement attentifs à la manière dont la ressource sera gérée désormais. Malheureusement, et nous vous l'avons déjà dit, nous n'en saurons pas plus avec cette proposition de loi. Qui va payer la dette de Veolia ? Qui va payer le milliard d'euros nécessaire à la remise en état du réseau d'eau potable en Guadeloupe ? Que va-t-il advenir des salariés de l'ancien SIAEAG ? Nous ne le saurons pas, pas plus que nous ne saurons si la mise en place d'une régie publique en concertation avec les usagers sera garantie, les expériences de régie publique montrant pourtant que ce mode de gestion se traduit par trois fois plus d'investissements dans le patrimoine de l'eau et des frais financiers pesant sur la facture d'eau des usagers divisés par dix, car c'est un système qui restaure la notion de temps long.
Comme l'explique le lanceur d'alerte Raymond Avrillier, « concéder des services au privé, c'est perdre des services, c'est perdre la mémoire, c'est perdre des savoirs, c'est un patrimoine dont nous avons été dépossédés. » Mais c'est surtout un pari fou : celui de mettre entre les mains des intérêts privés et du marché la ressource indispensable à la vie la plus précieuse que nous ayons. Il y a alerte sur l'eau et les Guadeloupéens le savent mieux que personne.
Collègues, il est de notre responsabilité historique de garantir que ce que vit la Guadeloupe ne soit pas la répétition générale d'une situation qui pourrait un jour concerner l'ensemble de notre pays. Il s'agit là de l'enjeu numéro un de notre siècle, alors que le cycle de l'eau est profondément perturbé. Si la France a connu treize épisodes de sécheresse entre 1964 et 1990, elle en a vu soixante-deux entre 1991 et 2015. La qualité de l'eau est en péril, polluée notamment par notre modèle agricole productiviste. L'eau est gaspillée, si bien que les fuites représentent la consommation annuelle de 18,5 millions d'habitants par an. L'eau, à certains endroits, est pillée par des multinationales.
En un peu plus de quinze jours, La France insoumise, avec différentes organisations politiques, associatives et syndicales, a fait voter près de 300 000 personnes partout sur le territoire sur ce sujet fondamental qu'est l'eau. Les citoyens et les citoyennes étaient invités à répondre à la question suivante : « Êtes-vous favorable à l'inscription dans la Constitution française du droit à l'eau et à l'assainissement, à protéger l'eau et à interdire son accaparement par les multinationales ? » Les votants ont répondu oui à 99,61 %, ce qui montre que les citoyens ont pris conscience de l'alerte mieux que ceux qui nous gouvernent.
Nos compatriotes de Guadeloupe méritent que vous vous intéressiez à la question de l'eau avec d'autant plus de sérieux qu'il s'agit de leur vie. Nous nous abstiendrons sur ce texte. La colère des Guadeloupéens et des Guadeloupéennes ne saurait être tarie avec cette proposition de loi.