Tous les regards des Guadeloupéennes et des Guadeloupéens sont tournés vers nous en cet instant, tant le sujet est important. C'est bien simple, la situation sur place a atteint une telle gravité que l'eau est désormais la première préoccupation des Guadeloupéens, devant le chômage, la santé, la pollution au chlordécone et la sécurité. Comment a-t-on pu en arriver là, au point qu'en 2021 la première préoccupation de 400 000 ressortissants de la sixième puissance mondiale soit de savoir quand ils vont enfin pouvoir accéder à de l'eau de qualité et sans coupure quand ils ouvrent leur robinet ? Cette préoccupation est d'autant plus légitime que les Guadeloupéens sont ceux qui payent l'eau le plus cher en France : 3,25 euros le mètre cube en moyenne contre 1,05 euro en moyenne dans l'Hexagone.
On l'a dit et répété, la gestion de l'eau en Guadeloupe est un échec monumental depuis plusieurs décennies : détournements de fonds, prises illégales d'intérêts, défaillances multiples et chroniques, qui ont donné lieu à plusieurs condamnations et, in fine, abouti à la situation surréaliste dans laquelle on se trouve aujourd'hui.
C'est pourquoi on ne peut que comprendre la démarche sincère de notre collègue Justine Benin, qui vise à améliorer la gouvernance de la distribution d'eau, préalable indispensable pour moderniser les réseaux, et à répondre à l'urgence par la création d'un service unique de l'eau potable et de l'assainissement en Guadeloupe continentale. On ne peut que décemment partager cette ambition de sortir rapidement de l'ornière pour permettre à tous les habitants de Guadeloupe sans exception d'avoir accès à l'eau potable et à un service d'assainissement efficient, ce qui est un droit de l'homme fondamental, constituant d'ailleurs l'un des objectifs de développement durable – le sixième.
On ne peut pas non plus faire abstraction de l'influence de la rue Oudinot, le ministère des outre-mer ayant fortement contribué à la proposition de loi… Si nous voulons croire en la bonne volonté de notre collègue du groupe Dem quand elle affirme qu'il n'est pas question de remettre en cause les compétences légitimes des EPCI, mais plutôt de leur proposer un support pour engager une sortie de crise, en réalité, la méthode employée conduit ni plus ni moins à faire pression sur les collectivités locales, lesquelles engagent déjà un mouvement de convergence vers l'adoption d'une solution similaire.
Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à nous interroger sur la méthode employée puisqu'elle est dénoncée par les premiers concernés, les élus guadeloupéens, en particulier ceux de l'exécutif régional, mais aussi par de nombreuses associations et de nombreux militants. Et pour cause, puisque la proposition de loi légifère sur un domaine qui relève de la gestion locale !
Rappelons, une fois encore, que les collectivités concernées s'étaient déjà entendues sur la nécessité de converger vers un syndicat mixte ouvert. Dès lors, nous voyons dans cette initiative législative une mise en garde adressée aux collectivités réfractaires qui nous paraît en totale contradiction avec le principe de libre administration des collectivités. La proposition de loi suscite donc une forte inquiétude de notre part à un moment où l'ensemble des collectivités d'outre-mer demandent légitimement et à l'unisson davantage d'autonomie de gestion.
Sur le fond, nous reconnaissons que ce texte a le mérite de mettre un coup d'accélérateur à la synergie locale déjà engagée, mais trop lente. Néanmoins, le problème du financement de la dette et des investissements nécessaires reste entier. Or la somme colossale de 300 millions d'euros, actuellement estimée, est entièrement passée sous silence. Disons les choses telles qu'elles sont : Veolia et le SIAEAG, l'ancien opérateur, laissent derrière eux une dette de plus de 100 millions. Tout le monde s'interroge donc : qui va payer ? Nous avons malheureusement une petite idée de la réponse, puisque le Gouvernement a décidé unilatéralement de dissoudre le SIAEAG et donné ordre à la région et aux départements de Guadeloupe d'assumer seuls les charges de fonctionnement pendant la période transitoire.
Qui donc peut se satisfaire d'une telle décision ? Il aurait mieux valu saisir l'opportunité des débats qui se sont tenus à l'Assemblée depuis janvier pour trouver des solutions alternatives s'agissant de ces charges, qui ne sauraient revenir aux seuls Guadeloupéens dès lors que, manifestement, les responsabilités sont partagées. La décision du Gouvernement nous paraît très injuste. L'État doit assumer sa part de responsabilité et être à la hauteur. Vous ne pouvez pas, d'un côté, vous immiscer dans une affaire locale et, de l'autre, vous défausser complètement lorsqu'il s'agit d'assumer financièrement la déroute !
Pour toutes ces raisons, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine s'abstiendra sur la proposition de loi.