« Nos lois […], dans notre culture, provoquent au changement des mentalités, avant de changer elles-mêmes. » Ces mots de Gisèle Halimi nous rappellent que le droit pénal doit contribuer au changement de la société. Il le doit face au fléau des violences sexuelles sur mineurs et notamment face au fléau de l'inceste.
Pour développer une culture de la protection et de la non-violence, cette proposition de loi est une étape importante dans ce combat mené depuis des décennies par les défenseurs des enfants et certains de nos concitoyens engagés bien même avant le mouvement #MeToo. Face à cet enjeu de société, le Parlement et le Gouvernement se sont mobilisés dans un esprit de consensus. Je vous en remercie, monsieur le garde des sceaux, car cette fin de procédure aura été menée avec célérité, efficacité et surtout avec beaucoup d'écoute.
Chacun le sait, nous avons très profondément revu les dispositions adoptées initialement par les sénateurs. Parce qu'il a été partenarial, parce qu'il a associé le Gouvernement, parce qu'il a reçu le soutien unanime de l'Assemblée, ce travail, quoique très différent des orientations décidées en première lecture par les sénateurs, les a largement convaincus en deuxième lecture. Je citerai ce qu'a écrit mon homologue rapporteure au Sénat, Marie Mercier, dont je salue le remarquable travail : « Le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale renforce considérablement la protection des mineurs contre les violences sexuelles dans le respect de nos principes constitutionnels. Il répond aux préoccupations exprimées tant par le Sénat que par l'Assemblée nationale. Dans ce contexte, la commission estime qu'un équilibre a été atteint et elle ne souhaite pas affaiblir ce compromis. »
Le Sénat a adopté conforme un grand nombre de nos positions. C'est pourquoi nous ne sommes plus saisis de la précision de la définition du viol, ni de la refonte du délit d'exhibitionnisme, ni non plus des règles de fonctionnement du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles.
Je dirai un mot sur la question de la prescription – une disposition également votée conforme. C'est un point que plusieurs d'entre vous ont souligné en commission, je pense notamment à nos collègues Savignat et Houbron. En tant que juriste, je suis attachée à la prescription en son principe et à la sécurité juridique. En tant que femme politique et citoyenne, je nourris comme chacun ici une exigence de justice pour les victimes et de sanctions contre les auteurs. Or le système proposé concilie ces deux impératifs contradictoires. Nous arrivons au bout des aménagements possibles, c'est la dernière extension : un pas de plus signifierait l'imprescriptibilité. Il faut en être conscient.
Je suis heureuse que, par le recours à la connexité, nous utilisions un mécanisme connu des magistrats et de la jurisprudence, donc opérationnel.
Sur les questions fondamentales de l'âge du consentement à 15 ans et de la disposition dérogatoire l'établissant à 18 ans en cas d'inceste, le Sénat s'est rangé à nos positions, sans toutefois voter en termes identiques les articles correspondants. À l'article 1er , les sénateurs ont voulu rédiger au mieux la sanction de la sollicitation d'une prostituée mineure de moins de 15 ans, sanction que nous avions accrue en séance publique. Je suivrai pleinement cette reformulation. Une telle sollicitation sera, je le rappelle, assimilée à un viol sur mineur. Dit plus clairement : l'adulte qui aura une relation sexuelle dans un cadre prostitutionnel sera passible d'une peine de vingt ans de réclusion criminelle – personne ne pourra prétendre que le Parlement aura éludé le sujet.
Le Sénat a également admis notre dispositif relatif au viol incestueux sur mineur et notre exigence d'une autorité de droit ou de fait pour distinguer l'auteur de la victime. Je sais que ce point a été mal compris par certains, notamment par les sénateurs du groupe Socialiste, écologiste et républicain, et que les échanges ont été parfois un peu rudes. Je ne cesserai donc de m'expliquer et de me répéter. Imputer la culpabilité d'une relation sexuelle avec un mineur de 15 ans à un majeur c'est une chose, car le majeur a l'ascendant de l'adulte sur l'enfant, il est structurellement en position de domination. Entre un homme de 60 ans et un enfant de 14 ans, nous savons tous qui doit par principe porter pénalement la responsabilité.
Mais dans une fratrie dont l'un est majeur et l'autre âgé de 15 à 18 ans, cette position de domination automatique n'existe pas. Il faut par conséquent que les magistrats puissent examiner les faits et les qualifier comme il se doit. Si des faits incestueux sont commis entre une sœur de 18 ans et un frère de 16 ans, personne ne peut affirmer qui doit être par principe pénalement responsable. Prétendre le contraire est une faute de raisonnement et une faute morale, mais c'est aussi inconstitutionnel. En outre, il est important de rappeler que, même dans le cas où il n'y aurait pas autorité de droit ou de fait, le juge pourra qualifier d'incestueux les agressions sexuelles et les viols commis par un membre de la famille – je tiens à le préciser car j'ai entendu quelques confusions sur ce point. Enfin, le Sénat a considéré que l'exigence d'une différence d'âge de cinq ans confortait le dispositif.
Notre seule divergence de fond se trouvait à l'article 1er bis B et concernait le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans. Par cohérence, nous avions modifié cette infraction en intégrant un écart d'âge, en y ajoutant la possibilité de prendre en compte des pressions, afin d'éviter que de jeunes majeurs se voient poursuivis devant le tribunal correctionnel alors même que la relation aurait été consentie. Le Sénat s'y est opposé, défendant le droit en vigueur et la pleine capacité d'appréciation du parquet. Après réflexion, c'est une option que la commission a retenue : il faudra que les parquets s'approprient ce nouvel arsenal afin d'user de façon appropriée de cette infraction subsidiaire.
Un mot, pour finir, sur les incriminations de « sextorsion », dont l'inscription dans le texte tenait à cœur à de nombreux collègues. Je dois vous faire part d'une légère hésitation : nous avions décidé de compléter le droit en vigueur particulièrement lacunaire en donnant aux enquêteurs et aux magistrats les armes dont ils ont besoin pour poursuivre les prédateurs qui sévissent en ligne. Pour cela, nous avions prévu de pénaliser le fait objectif de solliciter d'un mineur de 15 ans, sur les réseaux sociaux, des images sexuelles ou la commission d'un acte sexuel – nous avions considéré cet acte par nature constitutif d'une infraction.
Le Sénat est allé plus loin en appliquant ce dispositif à tous les mineurs, avec une circonstance aggravante pour ceux âgés de moins de 15 ans. Or le texte consacre la liberté sexuelle des plus de 15 ans. Je trouve un peu étrange de tout autoriser dans la vie réelle et de tout interdire dans le monde virtuel. Cela étant, j'ai ouvert mon propos en soulignant l'engagement de tous d'avancer rapidement. Le Sénat s'étant rallié à l'essentiel de nos choix, j'aurais évidemment mauvaise grâce à empêcher l'achèvement du processus pour ce point du texte qui n'est pas fondamental. Je note par ailleurs que personne n'a remis en question cette rédaction ; je m'associerai donc à cette formulation.
Vous l'aurez compris, je n'ai à ce stade aucune objection ferme au travail du Sénat. C'est pourquoi je n'ai présenté aucun amendement. J'espère que nous parviendrons aujourd'hui même au terme de la procédure législative.
Enfin, je souhaite vous faire part d'une conviction qui, je pense, est partagée par beaucoup d'entre vous : s'il est important que la loi pénale se transforme pour accompagner un changement dans la société, elle doit être complétée par des actions de prévention. Et je crois qu'en ce qui concerne le sujet qui nous occupe, tout le monde veut prendre sa part. Je sais le Gouvernement pleinement engagé dans cette voie et je tiens à saluer et remercier Adrien Taquet pour son implication. Enfin, je veux rendre hommage à tous les parlementaires qui ont participé à l'avènement du texte, ceux qui siègent sous la présente législature comme ceux qui, avant nous, ont défendu ces mêmes idées sans avoir pu aller au bout de leur concrétisation.