Intervention de Alexandra Louis

Séance en hémicycle du jeudi 15 avril 2021 à 15h00
Protection des jeunes mineurs contre les crimes sexuels — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandra Louis, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Mme Ménard soulève la question de l'écart d'âge, qui est celle qui a le plus fait parler. À beaucoup évoquer ce sujet, on en oublie d'ailleurs que ce texte représente, on l'a dit et redit, une avancée historique. Il convient de rappeler que la question du seuil d'âge de non-consentement n'est pas nouvelle : c'est un sujet dont on parle depuis très longtemps. À cet égard, il ne faut pas en vouloir à nos prédécesseurs de ne pas avoir instauré ce seuil d'âge, car il s'agit d'une question juridique et sociétale hautement complexe – il faut l'avoir en tête.

Notre responsabilité, en tant que législateurs, est d'aboutir à un texte en accord avec la Constitution – c'est une évidence –, mais surtout qui soit juste. Et pour cela, il nous faut anticiper toutes les répercussions pratiques des dispositions que nous adoptons. Chaque fois que le seuil d'âge a été évoqué lors des auditions de juristes auxquelles j'ai participé, beaucoup de réticences ont été émises. Depuis le début de mon travail sur ce texte, je n'ai pas rencontré beaucoup de juristes pour me dire que fixer un seuil d'âge à 15 ans ne poserait aucun problème et que nous pouvions l'instaurer sereinement. Cette idée est fausse. Il n'en demeure pas moins que tous les magistrats, avocats et juristes avec lesquels je me suis entretenue étaient de bonne volonté et voulaient, comme nous tous, protéger les enfants.

L'avis du Conseil d'État sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes commises contre les mineurs et les majeurs, publié en 2018, nous met également en garde en formulant non pas des réserves, mais des objections au seuil d'âge, au nom justement des amours adolescentes. Ce seuil n'est pas une lubie de M. le ministre ou de députés, mais un véritable enjeu, dont dépend la viabilité du texte.

Ainsi nous a-t-on dit, au cours des travaux préparatoires à l'examen du texte, qu'un seuil d'âge à 15 ans qui ne serait assorti d'exceptions ne fonctionnerait pas. Si nos collègues sénateurs avaient choisi de fixer ce seuil à 13 ans, ce n'est pas parce qu'ils souhaitaient moins que nous protéger les mineurs de 15 ans, mais simplement parce qu'ils craignaient une censure du Conseil constitutionnel sur ce point. Nous nous sommes tous interrogés et avons tâché de faire la part des choses entre les amours adolescentes consenties et les relations sexuelles qui ne le sont pas. Voilà quel était l'enjeu. Plusieurs solutions ont été envisagées et celle de l'écart d'âge s'est donc dégagée. Mais je répète, car c'est important, que de tous les juristes que nous avons auditionnés, aucun n'a assuré que la mesure serait conforme à la Constitution si des exceptions n'étaient pas prévues. J'en ai moi-même la certitude, même si j'entends que certains ne soient pas de mon avis.

Il convient aussi de penser à la pratique. Les amours adolescentes existent. On peut peut-être le regretter, mais elles existent bel et bien et nous devons les prendre en considération. Quant à ceux qui arguent qu'elles sont des exceptions, je tiens à répondre que je n'en suis pas persuadée. D'après les entretiens que j'ai menés, elles me semblent même fréquentes. Et quand bien même ces amours seraient des exceptions, quand bien même il n'y aurait en définitive qu'un seul mineur qui se retrouverait indûment poursuivi en justice pour avoir eu une relation sexuelle avec un mineur de 15 ans et quand bien même il aurait toutes les chances d'être acquitté, ce n'est pas rien que de subir une procédure judiciaire quand on est innocent ! C'est aussi de la protection des libertés de ces jeunes adultes qui n'ont rien fait dont il est question.

J'insiste sur ce point, car j'ai parfois lu, notamment sur les réseaux sociaux, qu'avec cette proposition de loi un violeur de 18 ou 19 ans s'en sortirait. Non ! Le violeur de 18 ou 19 ans sera poursuivi au titre de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes que nous avons votée en 2018 et que nous approfondissons avec le présent texte. Il n'y a pas de vide juridique. Ce que nous voulons protéger, car c'est aussi le rôle du droit pénal de garantir les libertés individuelles, ce sont les amours consenties. Si elles ne le sont pas, s'il y a emprise, alcoolisation de la victime, violence ou encore contrainte – il existe mille configurations possibles –, les magistrats disposent des outils juridiques pour poursuivre l'agresseur.

Je vous prie de m'excuser si je suis longue, mais j'estime que ces éléments sont importants.

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