Intervention de Antoine Herth

Séance en hémicycle du vendredi 16 avril 2021 à 21h00
Lutte contre le dérèglement climatique — Article 62

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Herth :

Cela ne supprime évidemment pas les contraintes de réduction des émissions, mais au moins s'accorde-t-on sur leur mesure et peut-on reproduire les conditions de ces mesures en laboratoire. Il me semble important d'avancer dans cette direction pour balayer les nombreux facteurs d'incertitude.

Le projet de loi impose par ailleurs de réduire les émissions d'ammoniac et de protoxyde d'azote. Or, pour ce qui est de l'ammoniac, l'une des principales sources d'émission est l'élevage, mais les résultats varient, selon que le lisier et les effluents sont traités ou non, ce qui n'est pas spécifiquement pris en compte. Imposer un régime unique risque de créer des distorsions entre les productions végétales et les productions animales. Il faut donc clarifier ce point pour éviter tout risque de censure de la haute juridiction.

L'article 62 dispose que, si la trajectoire de réduction des émissions n'était pas tenue pendant deux années consécutives, on envisagerait d'instaurer une redevance pour les exploitations.

À partir des données présentées dans l'étude d'impact, j'ai essayé de calculer ce que représenterait pour une exploitation céréalière de 200 hectares, une majoration de 4 % du prix commercial de la tonne d'ammonitrate et de 35 % – c'est beaucoup – de la tonne d'engrais uréique. Si l'exploitation utilise habituellement de l'ammonitrate, son poste engrais se trouverait majoré de 1 200 euros, ce qui n'est pas la fin du monde ; si elle utilise l'urée en revanche, cela représenterait un surcoût de 8 640 euros ; enfin, si elle choisit, puisque l'ammonitrate est moins taxé, de passer de l'urée à l'ammonitrate, elle subirait quand même un surcoût de 7 920 euros, parce que la fabrication d'ammonitrate est plus chère que celle de l'urée, et son prix commercial plus élevé.

On peut faire le raisonnement à l'envers et se demander de combien il faudrait diminuer son utilisation d'engrais pour neutraliser une éventuelle redevance : de 25 % dans les deux cas, ce qui aurait un impact massif sur le volume de production finale de l'exploitation agricole et représenterait une baisse de 15 à 20 % de l'excédent brut d'exploitation (EBE) par hectare, sachant que ce dernier est de l'ordre de 200 à 250 euros pour une exploitation céréalière. Tout cela incite à gérer cette affaire avec des pincettes et à l'étudier très sérieusement, si on ne veut pas qu'elle ait des conséquences très négatives sur les exploitations agricoles françaises.

Heureusement, il existe des solutions, et je pense en particulier au plan protéines dont vous faites la promotion, monsieur le ministre. Je vous encourage dans cette direction, il faut favoriser l'allongement des rotations et l'introduction de légumineuses. En effet, cela permettrait de réduire les besoins azotés, d'abord parce que les légumineuses n'en ont pas besoin, ensuite parce qu'elles rejettent des reliquats qui peuvent être utilisés pour la culture suivante.

Aujourd'hui, les légumineuses représentent 2 % de l'assolement, et l'objectif du Gouvernement est d'augmenter ce taux de 40 %, c'est-à-dire d'atteindre 2,8 %. Or, pour qu'on constate un effet significatif sur les exploitations agricoles, il faudrait qu'il y ait au moins 15 à 20 % de légumineuses dans l'assolement. Autant dire qu'il y a encore un long chemin à parcourir, d'autant qu'on y bute sur un certain nombre d'obstacles, à commencer par les débouchés. Soit les légumineuses sont consommées par l'élevage – c'est l'autonomie fourragère et c'est parfait – ; soit elles sont destinées au marché – soja, pois, haricots… –, mais il faut encore que ce marché existe, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il faut créer les débouchés, ce qui prend du temps. Le dispositif est vertueux, mais nécessite qu'on se laisse quand même quelques marges pour l'avenir.

Enfin, je regrette que l'étude d'impact ne contienne aucune information sur les effets potentiels de ces orientations sur l'industrie des engrais dans notre pays. Nous avons quelques usines en France, plutôt spécialisées dans l'ammonitrate, ce qui est plutôt intéressant puisque c'est l'engrais qui sera le moins taxé.

De même, l'étude ne mesure pas le volume de production céréalière globale qui pourrait être touché. Or nous sommes un pays exportateur, et les céréales représentent le deuxième poste de notre balance commerciale après le vin. Cela justifie qu'on y regarde d'un peu plus près. Il faut enfin considérer le nombre d'emplois qui pourraient être touchés par la mesure.

Contrairement à d'autres collègues, j'ai choisi de ne pas déposer d'amendement de suppression de l'article, car je pense réellement qu'il faut que nous travaillions sur ce sujet. Mais le travail parlementaire requiert que l'on puisse s'appuyer sur des chiffres solides et des objectifs clairs, afin de tracer une feuille de route que pourrait respecter l'ensemble des acteurs. Il ne s'agit pas de brandir un bâton pour faire peur, cela n'est bon qu'à remplir quelques manchettes dans les journaux, pendant une semaine : notre rôle est de dessiner une politique qui nous engage pour les dix années à venir.

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