On a estimé que ce filtre empêcherait les candidatures fantaisistes – notez qu'il n'y a pas de candidature fantaisiste dès lors que le peuple français consent à voter pour tel ou tel. En tout cas, on a pu observer qu'il y avait seize candidats en 2002, ce qui montre que, si le but est de filtrer et de bloquer, la procédure ne fonctionne pas – elle n'est d'ailleurs pas faite pour cela, je viens de l'expliquer. Dès lors, il n'est pas vrai que l'on ne contribue pas à moderniser quand on donne la parole aux citoyens eux-mêmes.
Notre proposition émane, je l'ai dit, d'une commission présidée par Lionel Jospin et composée de personnalités qui avaient réfléchi au problème et savaient de quoi elles parlaient – je n'en redonne pas toute la liste, pour ne pas accabler l'auditoire. D'où vient le chiffre de 150 000 citoyens ? Il est déduit de ce qui existe dans d'autres pays. Et votre argument n'en est pas un, madame la ministre déléguée : certes, nous ne sommes même pas fichus, dorénavant, de fabriquer des masques en tissu, mais nous sommes quand même capables de compter des signatures, en particulier par des procédés électroniques que je ne vais pas décrire à cette tribune. En tout cas, madame, vous irez expliquer aux Autrichiens, aux Finlandais, aux Lituaniens, aux Polonais, aux Portugais, aux Roumains et aux Slovaques que la procédure de signatures citoyennes ne vaut rien et qu'elle n'a pas modernisé leurs institutions. Je doute qu'ils vous approuvent, et ils se feront certainement un devoir de vous dire que le chiffre de la Commission Jospin correspond à 0,33 % du corps électoral et que cette norme se pratique ailleurs. Dès lors, notre proposition est raisonnable.
Surtout, nous tentons par cette proposition de régler le problème de nos institutions. Je vous laisse imaginer, collègues, ce qui pourrait se passer dans notre pays si, sur le modèle des dernières élections municipales – les maires élus à cette occasion sont ceux à qui vous donnez le pouvoir de décider qui a le droit d'être candidat à l'élection présidentielle –, l'abstention lors d'une élection présidentielle atteignait 55 % au premier tour et 58 % au second. Imaginez qu'une telle situation se produise pour l'élection qui est la clé de voûte de tout le système institutionnel français ! Cela créerait, vous le voyez bien, un résultat totalement immaîtrisable, qui ne donnerait rien de bon pour le pays : ceux qui auraient à décider n'en auraient pas totalement la légitimité, et ceux qui auraient à consentir à leurs ordres ne seraient guère disposés à respecter une chose à laquelle ils n'auraient pas participé. Ce serait une sorte de décomposition de l'État politique et de l'État lui-même.
Dès lors, il est temps de comprendre que l'intervention citoyenne est celle qui permet la respiration du pays. Elle permettra à tous les candidats capables de rassembler ces 150 000 signatures de se présenter. Lors du dernier scrutin présidentiel, il n'est pas un candidat ou une candidate qui n'ait réuni 150 000 voix au premier tour ; ils étaient donc tous parfaitement légitimes. Pourquoi avoir peur de donner la parole au peuple pour une question aussi importante que celle-là ? C'est ce que nous ne comprenons pas.
Dans le moment où vous vous gargarisez avec des conventions citoyennes, tout à fait estimables, mais qui n'ont aucune place dans les institutions du pays, nous vous proposons de modifier ces dernières à finalement peu de coût. Mais là, vous n'en voulez pas. Au fond, cette attitude ne veut dire qu'une seule chose : vous vous asseyez sur les critiques qui ont été exprimées par la Commission Jospin, extrêmement pluraliste.
C'est d'ailleurs en citant son rapport que je terminerai mon propos. « Le dispositif en vigueur, écrivaient Mme Bachelot et M. Jospin, […] crée une incertitude sur la possibilité, pour certains courants significatifs de la vie politique du pays, d'être représentés au premier tour de l'élection présidentielle ». C'est le bois au coin duquel m'attendent certains à cette heure, sachant que je suis candidat, quoique j'aie déjà rassemblé plus de 230 000 parrainages citoyens. La Commission dit : « Les spéculations sur l'éventuelle impossibilité, pour une personnalité représentant un courant politique significatif, de se présenter […] nuisent à la sérénité du débat électoral ». La Commission dit encore : « Les candidats soutenus par des partis ne disposant pas d'un réseau étendu d'élus susceptibles de les parrainer [ce qui est mon cas, je le précise] doivent consentir des efforts très importants [et, puis-je ajouter, des finances très importantes] pour recueillir les signatures requises. L'énergie ainsi déployée les prive d'un temps utile pour mener campagne auprès des électeurs. »
Ce que je viens de vous lire, ce sont les phrases de Mme Roselyne Bachelot, de M. Lionel Jospin et des autres personnalités membres de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique. Puisqu'aucun représentant du ministère de l'intérieur ni aucun ministre ne sont présents – je ne sous-estime nullement le rang de ministre délégué, je l'ai moi-même été dans un domaine voisin du vôtre, madame Klinkert, par conséquent, n'y voyez rien de personnel ; puisqu'aucun des responsables de l'organisation des élections ne se donne le mal de venir devant les députés pour discuter d'un sujet aussi important, j'en déduis qu'eux et leur gouvernement se fichent de savoir ce que veut le peuple.