Intervention de Thomas Rudigoz

Séance en hémicycle du jeudi 6 mai 2021 à 9h00
Parrainages citoyens pour la candidature à l'élection présidentielle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThomas Rudigoz :

On peut partager une partie du constat proposé par notre collègue Corbière et le groupe La France insoumise. Indéniablement, il existe une défiance vis-à-vis du système et des responsables politiques, quels qu'ils soient, chez certains de nos concitoyens. C'est pourquoi il importe d'examiner avec sérieux toute proposition qui viserait à apporter un changement, si essentiel soit-il, à la procédure de candidature à l'élection présidentielle. En l'espèce, il s'agit d'instituer un système de parrainage par au moins 150 000 citoyens, non exclusif du système actuel de parrainage par 500 élus, assorti d'un critère de représentation géographique.

Ce texte appelle plusieurs réserves de forme comme de fond. Première réserve : le risque de bouleverser le calendrier à l'approche d'une élection présidentielle. Le texte pose d'abord un problème par sa temporalité et sa proximité avec le scrutin de 2022. Nous avons un principe : ne pas remettre en question les fondamentaux du droit électoral ni y introduire de bouleversements politiques à un an des élections présidentielles. On peut d'ailleurs relever que pour les parrainages, le calendrier est encore plus tendu, puisque la limite de leur réception est fixée au sixième vendredi précédant le premier tour du scrutin.

Le groupe La France insoumise, par l'intermédiaire de notre collègue Bastien Lachaud, avait d'ailleurs rejoint la majorité sur ce principe lors de l'examen du projet de loi organique relatif à l'élection du Président de la République, quand le Gouvernement avait proposé un amendement au sujet du vote par anticipation. Toute modification substantielle du droit électoral risque donc d'être perçue comme une manœuvre politique, ce qui provoquerait exactement le contraire de ce que ce texte ambitionne, et augmenterait peut-être – certainement – la défiance. Dans ces temps troublés, la vie démocratique a besoin de stabilité ; cela n'empêche aucunement de réfléchir à l'améliorer à long terme. Tel est d'ailleurs l'objectif du groupe de travail créé il y a quelques semaines par Mme la présidente de la commission des lois, dont les auditions commencent aujourd'hui et seront publiques.

Deuxième réserve : le dispositif proposé poserait de grandes difficultés opérationnelles dans un délai très court. Le principe du parrainage d'au moins 500 élus est unique et réservé à l'élection présidentielle. Outre la mobilisation de nombreuses ressources humaines, la procédure de vérification est dense. Plusieurs étapes sont prévues pour s'assurer de la validité d'un parrainage et, en cas de doute, les équipes contactent souvent les élus par téléphone, pour leur signaler qu'il manque une pièce – le sceau d'une mairie par exemple, ou une signature –, afin de la récupérer. Si le doute persiste, ce sont les sages du Conseil constitutionnel qui se réunissent et tranchent. Même s'il s'agit d'une proportion infime, il est arrivé au Conseil constitutionnel d'invalider des parrainages.

On voit bien la difficulté de valider l'authenticité de centaines de milliers de parrainages citoyens – peut-être plus d'un million –, avec une évolution organisationnelle incommensurable à si brève échéance. Néanmoins, cela amène à aborder un autre sujet : l'identité citoyenne numérique. Elle permettrait, entre autres, d'accélérer et d'améliorer l'authentification de parrainages ou la participation à des votations en ligne. Ce type de dispositif serait un préalable extrêmement intéressant. Sans cela, nous risquons d'arriver à une situation dans laquelle un nombre élevé de candidats atteindrait le seuil proposé, sans authentification stable et fiable. En définitive, c'est un risque pour la sincérité du scrutin que nous ne pouvons prendre.

Troisième réserve : la proposition, intéressante sur le fond, soulève de réelles difficultés politiques. Vos propositions soulèvent un débat politique profond : comment remettre le citoyen au cœur du jeu démocratique ? Comment redonner envie de voter ? Comment combattre la défiance qui pèse sur la classe politique dans son ensemble ? Vous suivez effectivement la proposition de la Commission Jospin, avec l'idée de mieux intégrer nos concitoyens dans le processus électoral, bien qu'ils soient souverains, quoiqu'il arrive, par le biais du suffrage universel.

Rappelons que 150 000 citoyens, c'est un peu moins de 0,3 % de la population en âge de voter ; 500 élus, c'est 1,2 % des élus habilités à présenter un candidat. Le seuil de 150 000 étant plus facile à atteindre, on risque une inflation du nombre de candidatures. Chacun sait que nos concitoyens y sont rarement favorables, ce phénomène nuisant à la lisibilité de l'offre politique. Le rapport de la Commission Jospin, qui analyse le système des 500 signatures, est cité dans l'exposé des motifs : ce système ne prémunit pas contre le risque d'un nombre de candidatures trop élevé. Soit. La présence de seize candidats au premier tour de l'élection présidentielle de 2002 a constitué à cet égard une alerte sérieuse. Mais lui superposer votre système de 150 000 signatures ne fera qu'empirer ce phénomène.

Dernière difficulté, de fond : vous allez superposer deux systèmes qui cohabiteront. Le risque qui en découle est la concurrence de légitimité entre les candidats, selon qu'ils émanent de l'un ou de l'autre système. Or l'un des principes cardinaux de l'élection présidentielle est bien celui de l'unicité des règles pour tous les candidats, quels qu'ils soient. En dépit de l'intérêt de ce débat, ces profondes réserves conduiront le groupe La République en marche à voter contre cette proposition de loi organique.

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