Les images ont frappé, glacé : ces files de jeunes gens, des queues infinies, des centaines de mètres pour aller quérir un colis alimentaire le soir, dans la rue ou dans un gymnase, à l'occasion d'une distribution caritative. Qui n'est pas stupéfié par cette vision ? Qui ne retrouve pas, comme en écho visuel, le souvenir de ces clichés en noir et blanc des soupes populaires aux États-Unis aperçus dans les manuels d'histoire, au chapitre de la grande dépression ? Mais il ne s'agit pas là des années trente, ni de la lointaine Amérique, il s'agit de notre pays, aujourd'hui, au XXI
Comment y répond-on ? L'État se met à la bienfaisance avec des aumônes : 150 euros en juin, 200 euros en octobre. Et partout pour les jeunes, ce sont des appels à dons, des cagnottes sur Leetchi, des collectes dans les supermarchés, des caddies remplis de raviolis, de conserves, de sachets de purée. Chacun y va de sa bonne action. Moi-même j'y participe à Amiens, avec le restaurateur Thierry Martin et ses copains qui préparent des repas quotidiens, avec ma permanence de député, submergée, de la cave à l'entrée jusqu'au canapé, par les cartons de tampons hygiéniques, gels douche, tubes de dentifrice. C'est formidable, non, cette générosité ? Eh bien non, c'est lamentable, cette générosité ! Car à qui accorde-t-on notre charité ? Ce n'est plus à des continents lointains après une famine, un tremblement de terre, un tsunami, ce n'est même plus aux pauvres de chez nous, aux découragés, aux relégués de l'emploi. Non, c'est à nos étudiants, à nos jeunes. Et il faudrait s'applaudir, applaudir ce scandale !
Ce rapport, bien sûr, je l'ai mené en rapporteur reporter, d'un foyer de jeunes travailleurs à une résidence universitaire, d'une maison familiale rurale à une mission locale, des sortants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) au mouvement des jeunes chrétiens, avec partout des témoignages sur la peur : « la peur de ne pas y arriver, ne pas payer son loyer », « la peur de ne plus avoir », « la peur de ne pas manger », « la peur de l'été qui arrive, de la bourse qui ne sera plus versée ». Avec des témoignages sur la faim : « Je ne mange qu'un repas par jour, soit le matin soit le soir, je suis allé deux fois aux Restos du cœur, mais comme il y avait une queue monstre là-bas, je suis parti ». Avec des témoignages de découragement surtout : « La seule solution, c'est de faire des gosses. Ma sœur, elle a 19 ans, elle vient de faire un gosse. Je lui ai dit : C'est bon, maintenant, tu auras droit aux allocs. » Avec des témoignages sur un rétrécissement, sur des existences qui se rétractent, recroquevillées sur la pauvreté : « Je ne suis jamais parti en vacances de ma vie. C'est un exemple bête, mais je ne connais rien à part mon quartier, rien du tout. Ma vie, c'est quoi ? Je me réveille le matin, je sors, je passe la journée dehors, je rentre, j'avance pas et ça, c'est triste. »
J'ai des kilomètres de témoignages mais, à la place, je vous propose un symbole, juste un : cette petite boîte.