Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 6 mai 2021 à 9h00
Revenu de solidarité active pour les jeunes de 18 à 25 ans — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin, rapporteur de la commission des affaires sociales :

C'est Maxime qui me l'a remise. Lui étudie en master de psychologie à l'université de Picardie. Ses parents ne peuvent pas l'aider : « Zéro, zéro », me dit-il, « sauf, à l'occasion, un sac de courses. » Il perçoit 100 euros de bourse, 150 euros d'aide personnalisée au logement (APL) : voilà qui ne couvre pas son loyer. Cette année, il effectue son stage obligatoire dans un centre de pédopsychiatrie, du lundi au vendredi, parfois le samedi, un stage non rémunéré. Impossible à côté d'occuper un petit boulot. Il n'y a pas de beurre dans les épinards, il n'y a d'ailleurs ni beurre ni épinards. « Depuis que je suis à la fac, je ne mange plus de viande, plus de poisson, plus de légumes frais. C'est mieux de prendre des paquets de pâtes au Leclerc », dit-il.

Son logement engloutit tout le budget. Le cinéma, le théâtre, les concerts, il ne connaît pas. Lui qui brillait au saut en longueur, il a arrêté le sport ; sa licence d'athlétisme lui coûtait trop cher. « Mais le pire », me confie-t-il, « c'est la santé. Je suis malentendant, j'ai mes appareils auditifs ici, mais leur entretien a un coût, 100 euros par mois et je ne peux plus les mettre. Avant, c'était à demi remboursé, maintenant ce n'est plus remboursé du tout par la sécu. Ils estiment que mon handicap n'est pas assez grand. Du coup je ne les porte plus. Et, en plus, avec les masques, moi qui avais l'habitude de lire sur les lèvres, je ne peux plus. Donc mon handicap que je masquais, je suis maintenant obligé de l'avouer. Je demande aux gens de répéter, même à la caissière du supermarché l'autre fois. Je vois des soupirs. Je surprends des : "Il est sourd celui-là !" Eh bien oui ! En stage, c'est infernal, je leur fais répéter tout le temps. »

Ce cas, nous l'avons présenté à votre collègue Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargé de la jeunesse et de l'engagement. Comment Maxime peut-il s'en sortir ? « Maxime, moi j'ai deux conseils à lui donner », nous a-t-elle répondu. « D'un côté, c'est de demander le fonds d'urgence auprès du Centre régional des œuvres universitaires et sociales (CROUS). Donc ça ferait un versement de 100 euros par mois en plus. De l'autre côté, parce qu'il fait des études hyper utiles, humainement et socialement, il pourrait aujourd'hui, Maxime, faire une mission de service civique. C'est 680 euros par mois sur les douze prochains mois. »

Je suis retourné vers Maxime avec ces suggestions ministérielles. « L'aide exceptionnelle, je l'ai demandée et obtenue, mais c'est 100 euros par an et non pas par mois. Autrement dit, c'est une aumône. Et pour le service civique, il faudrait donc que je mène ça en parallèle de mon stage et en plus de mes études. J'ai déjà fait des demandes, plusieurs, toutes refusées, parce que les administrations, les associations qui pourraient me recruter, quand je les contacte, elles privilégient les jeunes avec plus de temps libre et je les comprends. Mais quand même, la secrétaire d'État me paraît à côté de la plaque, elle ne connaît pas la réalité, elle croit ces dispositifs magiques, universels. »

La secrétaire d'État bricole avec des bouts de service civique par-ci, des contrats par-là. Le Gouvernement bricole depuis un an, l'État bricole depuis trente ans et c'est un choix, c'est un choix politique d'être à côté de la plaque, c'est le choix de faire souffrir notre jeunesse, c'est le choix de la maltraiter dans la durée, c'est le choix de l'abandon.

Quand, dans L'O pinion, la semaine dernière, Emmanuel Macron fait paraître une tribune, quand il écrit : « Nous travaillons pour qu'en avril 2025 puisse paraître une une sur notre jeunesse qui aurait tourné la page », ça se veut de l'empathie, ça se veut une espérance, mais c'est tout l'inverse. C'est un aveu : quatre ans, les jeunes devront attendre jusqu'en 2025, quatre ans pour tourner la page.

Quand l'État veut, pourtant, il peut. Dès le premier confinement, dès le premier jour, l'an dernier, pour les entreprises, pour toutes les entreprises du pays, pour leurs salariés, l'État a dressé un filet de sécurité, avec deux mesures d'ampleur, deux mesures simples, sans critères et sans conditions : le chômage partiel et le prêt garanti, un vaste filet de sécurité que je ne conteste pas ici. Mais, pour les jeunes, rien, rien pendant un an, rien sauf des aumônes, et quand le scandale est devenu trop criant, trop évident, l'État a bidouillé des dispositifs, avec des critères et des conditions, des dispositifs avec des trous partout, des dispositifs même pas financés, sans enveloppe, des dispositifs bidon. Mais tout pour les jeunes, tout sauf un vaste filet de sécurité.

C'est ce filet de sécurité que je viens réclamer ici, le minimum du minimum, avec une idée qui n'est guère originale, qui est plus que banale, mais de bon sens, une évidence. Dans notre pays, la majorité politique est à 18 ans : un Français peut voter. Dans notre pays, la majorité pénale est à 18 ans : un Français peut aller en prison.

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