Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du jeudi 6 mai 2021 à 9h00
Revenu de solidarité active pour les jeunes de 18 à 25 ans — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Il y a moins de trois mois, en effet, les députés du groupe Socialistes et apparenté ont défendu dans cet hémicycle une proposition de minimum jeunesse, qui a été refusée par la majorité. Depuis plus de cinquante ans, la France a mis en place un minimum vieillesse qui a su réduire et prévenir la pauvreté chronique des aînés, qui fut longtemps terrible. La crise du covid-19 a plongé des centaines de milliers de jeunes dans une immense détresse et une effroyable précarité. Nous avons alors proposé ce que nous pensions être une mesure de compromis républicain : l'ouverture du RSA à 18 ans. Cette proposition a été également contrée et refusée. La majorité nous oppose le fait que les jeunes préféreraient à ce minimum un travail et une solution de formation.

Cette réponse renvoie à une certaine conception de la jeunesse, qui sous-tend l'organisation des aides accordées. Pour le dire simplement, les jeunes, même après 18 ans, sont considérés comme des enfants – les enfants de leurs parents –, ce qui explique que les aides soient conditionnées aux ressources jusqu'à 25 ans. Objectivement, il n'y a pas vraiment de raison de considérer que le RSA pourrait être une solution pour les plus de 25 ans, mais pas pour les moins de 25 ans.

Nous sommes Européens et nous targuons d'être un pays en avance, mais la France est l'un des rares pays européens dans lesquels l'âge requis pour accéder au revenu minimum est plus élevé que celui de la majorité. C'est là une singularité française, car vingt-trois des vingt-sept pays de l'Union européenne ouvrent des droits sociaux à 18 ans.

Selon toutes les évaluations réalisées, le système universel qui rend les aides accessibles à tous, quelle que soit la situation financière des parents, à condition que l'on ait quitté le foyer familial, prévient la pauvreté, augmente l'autonomie et améliore l'insertion dans le monde professionnel. À l'inverse, dans les pays du Sud, c'est la solidarité familiale qui domine et permet de surmonter les difficultés. Enfin, dans les pays de libéralisme économique, on choisit de faire confiance au marché, au travers de prêts étudiants ou dans le cadre du marché du travail. Dans les deux derniers cas, la reproduction des inégalités sociales est la plus forte.

Venons-en à la proposition de loi de notre collègue François Ruffin. Nous le remercions pour le droit de suite qu'il ouvre et pour la possibilité qu'il donne aujourd'hui à notre assemblée de revenir sur le droit à vivre et non à survivre. Comme le disait l'ancien président François Mitterrand, alors qu'il s'apprêtait à charger le gouvernement de Michel Rocard de mettre en place ce qui deviendrait le revenu minimum d'insertion, le RMI, ancêtre du RSA : « L'important est qu'un moyen de vivre ou plutôt de survivre soit garanti à ceux qui n'ont rien, qui ne peuvent rien, qui ne sont rien. »

Oui, il existe bien une génération covid qui, entre études à distance, perte de petits boulots et difficultés familiales, cumule retards, angoisse et pauvreté. Ajoutons à cela que les jeunes des quartiers populaires sont en grande difficulté de façon récurrente. Toutes les études montrent que 30 % environ des jeunes d'une génération sortent de formation initiale sans diplôme, de même que 30 % sortent de l'enseignement supérieur sans diplôme.

Oui, la crise est grave et les solutions tardent. Oui, le plan 1 jeune, 1 solution et la plateforme qui lui est dédiée sont intéressants, mais beaucoup de jeunes restent sans solution. L'ambition est de porter le nombre de contrats garantie jeunes à 200 000 en 2021, mais plus d'un million de personnes ne sont ni en emploi ni en formation et n'ont pas de difficultés visibles. Il en résulte que, globalement, la jeunesse s'abîme et que son taux de pauvreté est trois fois supérieur à celui des Français de 60 ans.

Peut-être la majorité nous dira-t-elle qu'elle a commencé à mettre en place un minimum jeunesse. Je veux parler de la défiscalisation des donations, cet héritage anticipé. C'est vrai, je vous l'accorde : en sus d'avoir supprimé l'ISF, vous facilitez, en pleine crise, les transmissions en franchise d'impôt. C'est une raison supplémentaire pour nous de soutenir la proposition de loi qui nous est présentée, car nous sommes convaincus que tout citoyen accompli est parfaitement conscient de ses devoirs sans qu'il soit besoin de les lui faire comprendre à coup d'injonctions, de contrôles et de mise sous conditions de ses droits.

Je rappellerai pour conclure que les travaux de l'économiste prix Nobel Esther Duflo, tout comme les expériences finlandaise ou californienne entre autres, ont montré que les aides inconditionnelles n'ont jamais d'effet désincitatif au retour au travail.

Non, nous n'avons pas tout fait pour accompagner, aider et émanciper les plus jeunes. Non, nous n'avons pas encore tout fait pour lutter contre leur chômage et celui de leurs parents. Oui, il faut rompre avec ce qui a été fait hier et que d'autres font encore. Il faut savoir nous inspirer de ce qui marche ailleurs, notamment chez nos voisins, qui parviennent à concilier un réel dynamisme économique avec une meilleure solidarité entre générations. Oui, mes chers collègues, il faut ouvrir réellement les droits sociaux aux jeunes à partir de 18 ans.

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