Le temps de la jeunesse est rêvé comme celui de la liberté, de l'espoir et de l'émancipation mais, bien loin de cet idéal, les crises que nous traversons ont révélé au grand jour la réalité de la situation douloureuse d'une jeunesse qui se développe sans être reconnue et, surtout, sans être protégée. Entre précarité et dépendance, c'est l'insécurité qui domine. Madame la ministre déléguée, allez donc voir, y compris dans la région Grand-Est où vous vous présentez, les files d'attente qui ne cessent de s'allonger pour la distribution de l'aide alimentaire. L'absence de réponse sociale à cette jeunesse aujourd'hui privée d'emplois et de subsistance est une faute non seulement politique mais aussi morale de la part du Gouvernement, une faute aussi grave qu'inacceptable.
Notre idéal universaliste républicain se heurte donc à la dure réalité de la reproduction sociale, source d'inégalités : selon la situation sociale de chacun, l'origine de la famille ou le capital culturel, l'horizon des possibles n'est pas le même. Reconnaître la jeunesse à travers un statut social protecteur est d'autant plus nécessaire en cette période de crise que les jeunes sont parmi les premiers à en subir les conséquences désastreuses.
Si la jeunesse est hétérogène, elle est animée d'une aspiration commune : l'émancipation vers une autonomie véritable. Or, avec un système social hérité d'un autre âge, illisible, inadapté et injuste, reposant presque exclusivement sur le principe de familialisation, nous sommes des milliers de Français à déplorer que les réponses des pouvoirs publics ne soient pas à la hauteur.
Les aides accordées aux étudiants sont trop peu élevées, elles ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins. Quel que soit l'échelon des bourses sur critères sociaux auquel ils accèdent, ils demeurent largement en deçà du seuil de précarité. Les aides existantes forment un ensemble fragmenté : aides au logement, bourses sur critères sociaux, aides d'urgence, aides à l'insertion. Elles restent souvent méconnues et sont insuffisantes dans le contexte de crise sociale que traverse notre pays. Elles sont conçues dans une perspective paternaliste qui ne considère pas les jeunes comme des sujets de droit mais comme des ayants droit rattachés à leurs parents. C'est ce qui explique notamment que, sur la dizaine de minimas sociaux existants, si peu soient accessibles aux jeunes. Les bourses sur critères sociaux sont pensées pour soulager les familles d'une partie du poids financier des études supérieures : elles ne constituent pas un moyen d'accéder à l'autonomie. Par ailleurs, elles sont souvent calculées sur les revenus touchés par les parents les années précédentes, ce qui rend les étudiants vulnérables aux changements économiques intervenus au sein de leur famille – chômage, divorce, décès.
La crise que nous traversons, crise sanitaire, crise économique mais aussi crise sociale, révèle chaque jour davantage l'obsolescence de ce système. En septembre dernier, un rapport de l'Observatoire de la vie étudiante (OVE) a constaté que près de 36 % des étudiants salariés avaient perdu leur emploi lors du premier confinement, ce qui s'est traduit par une diminution de revenus de 274 euros par mois et par étudiant. Faute de ressources, ces étudiants vivent désormais de l'aide alimentaire et sont de plus en plus nombreux à arrêter leur formation. Or la seule réponse de la ministre Vidal a été de nous proposer l'ouverture de la garantie jeunes. Certes, elle a son utilité pour certains, mais elle est loin de s'appliquer à tous les publics, notamment aux étudiants. Cela manifeste non seulement une méconnaissance grave du dispositif lui-même, mais aussi une incompréhension de la situation des jeunes qui vivent aujourd'hui dans la précarité. La seule autre réponse de la majorité a été de proposer de surendetter nos étudiants, réponse totalement à contretemps : quel aveuglement !
Enfin, je n'ose évoquer le fait que, dans le même temps, on nous propose une réforme visant à permettre aux familles disposant de très gros patrimoines de les transmettre en dehors de toute taxation.