Intervention de Olivier Véran

Séance en hémicycle du lundi 10 mai 2021 à 21h00
Gestion de la sortie de crise sanitaire — Article 1er

Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé :

Ce débat est éminemment compliqué, plus encore, sans doute, qu'il ne l'était l'année dernière. Nous avions alors été amenés à maintenir les discothèques fermées – nous n'étions pas tombés d'accord, monsieur Blanchet, mais le Parlement s'était prononcé.

Depuis lors, le contexte a changé : le virus circule activement et nous avons la volonté farouche de freiner toute reprise de l'épidémie. Or souvenons-nous des images de cet été-là : des gens se rassemblaient et dansaient sur des rooftops ou dans des restaurants transformés pour l'occasion en discothèques – vous avez raison de souligner que ces fêtes n'avaient pas lieu dans des discothèques – et cela a fait émerger des clusters et accéléré la diffusion du virus dans certaines métropoles. Il n'est guère utile, selon moi, de rappeler l'impact sanitaire potentiel d'une importante concentration d'individus qui dansent, aussi bien intentionnés soient-ils. Tirons les enseignements des nombreux exemples dont nous avons été témoins, en France comme à l'étranger.

Je souscris totalement à vos propos, monsieur Blanchet : pour le monde de la nuit, il s'agit d'une épreuve sans précédent dans l'histoire contemporaine. Ces lieux sont restés fermés des mois durant. L'État fournit certes un accompagnement économique, mais reconnaissons que la reprise économique ne peut se faire dans les mêmes conditions lorsque la fermeture a duré quatorze mois et lorsqu'elle a duré un mois ou deux ; dire l'inverse serait nous mentir à nous-mêmes. Il faudra donc intensifier encore l'accompagnement économique du monde de la fête et de la nuit, pour favoriser le redémarrage ou, le cas échéant, la transformation de certains sites ou leur reprise par d'autres acteurs, au cas où les exploitants actuels auraient jeté l'éponge. Je veux redire toute ma sympathie et toute mon empathie à ces artisans, patrons et salariés dont l'activité a été percutée.

Plaçons-nous désormais du côté des consommateurs : de la même manière, notre jeunesse, qui a énormément donné, aura spontanément et naturellement besoin de se retrouver, de se rassembler, de passer des moments festifs – on peut le comprendre. J'entends votre argument selon lequel ils le feront ailleurs, d'une manière ou d'une autre, s'ils ne le font pas dans les discothèques. Je le répète, l'idée n'est pas de nous mentir à nous-mêmes, ni de considérer que nous pouvons tout maîtriser, tout contrôler.

À l'heure où nous débattons, je ne peux pas vous répondre en ce qui concerne la possibilité de rouvrir les discothèques dans notre pays, ni sur les conditions de cette réouverture. Je suis franc avec vous : avec 17 000 nouveaux cas de covid par jour, c'est impossible, ce serait trop dangereux. Demain, dans un mois, dans deux mois, si le virus ne circule quasiment plus, comme c'était le cas l'été dernier, la question pourra se poser, d'autant plus si nous pouvons nous appuyer sur des outils de maîtrise ou des systèmes d'alerte, notamment numériques, comme TousAntiCovid.

Votre proposition renvoie au débat que nous avons eu tout à l'heure sur le pass sanitaire, notamment sur la question de la jauge. Nous n'allons pas utiliser le pass sanitaire pour les lieux de la vie courante – les restaurants et les bars, entre autres –, mais vous proposez de faire une exception pour les discothèques. Vous dites, en substance : dès lors que l'on ne peut pas rouvrir ces lieux sans pass sanitaire, mettons-le en place pour ces lieux.

Je continue à être franc avec vous : une bonne partie de l'opinion publique pense probablement comme vous. Néanmoins, vous connaissez ma conviction personnelle au sujet du pass sanitaire : j'y suis favorable, à titre exceptionnel, pour de grands événements qui donnent lieu à un fort brassage ; en revanche, je ne suis pas du tout favorable à son application dans la vie courante. Pour la plupart des lieux, la question qui se pose est celle de les rouvrir avec ou sans pass sanitaire. Pour les discothèques, la question est plus compliquée : c'est celle de les rouvrir avec pass sanitaire ou de ne pas les rouvrir.

Nous venons de débattre de l'opportunité d'inscrire une jauge de 1 000 personnes dans la loi. Cette idée a même été défendue par des députés de votre groupe – c'est leur droit – avec des formules peut-être un peu rudes – c'est encore leur droit. Le Gouvernement, par la voie de Cédric O, a fait valoir l'importance de ne pas fixer de jauge dans la loi, car cela rigidifierait tout le dispositif et nous embarquerait jusqu'à l'adoption d'une autre loi, qui ne pourrait être votée qu'après l'été. Cela bloquerait tous nos leviers d'action si jamais la situation devait évoluer durant l'été et si nous devions réexaminer la situation au vu de notre expérience.

Sous votre contrôle – vous connaissez le secteur bien mieux que moi –, la plupart des discothèques accueillent moins de 1 000 personnes. Dès lors, si nous avions fixé une jauge à 1 000 personnes, le débat aurait été clos.

Nous avons précisé, à titre indicatif, que nous entendions prendre pour référence une jauge de 1 000 personnes. Si la situation devait évoluer au cours de l'été, si nous nous rendions compte, au vu d'expériences étrangères, que la réouverture d'ERP tels que les discothèques est envisageable dans certaines conditions, nous ne serions pas fermés. Tel est précisément l'intérêt de la souplesse que nous donne le décret par rapport à la loi.

De la même manière, je demande que l'on n'inscrive pas d'office dans la loi la possibilité de recourir au pass sanitaire pour les discothèques. D'une part, cela contreviendrait au principe général que je viens d'énoncer, à savoir que l'on ne veut pas imposer l'utilisation du pass sanitaire pour les événements de la vie courante. Or, l'été, la discothèque peut rapidement devenir un événement de la vie courante pour les jeunes – et c'est tout le mal qu'on leur souhaite. D'autre part, le fait de ne pas avoir inscrit cette disposition dans la loi ne nous empêchera pas, forts de l'expérience acquise à l'étranger ou d'une volonté populaire d'avancer dans ce sens, de discuter de son éventuelle application, à la marge, dans des situations vraiment exceptionnelles.

Je le répète, la volonté du Gouvernement est claire : pas de pass sanitaire pour d'autres situations que celles que vous aurez prévues dans la loi lorsque vous aurez adopté l'article 1er ; pas de jauge inscrite dans la loi, mais une jauge indicative, fixée à 1 000 personnes.

À titre personnel, je porterai une attention particulière au secteur de la nuit : si d'aventure nous n'avions pas d'autre possibilité, nous serions disposés à envisager des solutions que nous ne voulons pas envisager aujourd'hui. J'espère que vous m'avez suivi, monsieur Blanchet, car il est tard, le raisonnement est compliqué, et nous marchons sur des œufs.

Je vous invite à retirer vos amendements ; gardons-nous d'inscrire une telle disposition dans la loi. Comme vous ne les retirerez probablement pas, je donnerai un avis défavorable. Sur cette question, vous l'avez compris, je pense que l'on peut cheminer au fil des semaines et des mois, et essayer de trouver des solutions intelligentes. Croyez-en mon expérience de ministre chargé, depuis quinze mois, de la gestion de la crise sanitaire : il ne faut rien rigidifier dans la loi lorsqu'on n'est pas obligé de le faire.

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