Je commence par les questions de méthode, et d'abord celle posée par M. Coquerel. Si j'ai parlé d'autonomie, c'est que nous vivons en démocratie : contrairement à ce que certains affirment, la Commission européenne n'est pas une nouvelle version du Kremlin. J'appartiens à une institution qui est un peu comme un gouvernement : je suis solidaire des décisions prises, mais chacun a par ailleurs son identité politique – la mienne n'a pas complètement changé – et une liberté de parole, dès lors que tout est bien défini. Je m'exprime avec loyauté à l'égard de l'institution à laquelle j'appartiens, comme je l'ai toujours fait, mais aussi avec une certaine liberté de pensée dont je ne me départirai pas – je commence à être trop vieux pour ça.
Gilles Carrez et Charles de Courson m'ont interrogé sur la taxe à 3 %, de même que Joël Giraud, en évoquant le Blitz. Le terme de « scandale d'État » m'a un peu ému. J'étais ministre des finances à l'époque : on n'aime pas penser que l'on a causé un « scandale d'État », non parce que l'on est soi-même mis en cause, mais parce que l'on aime servir son pays. Pour dire le vrai, j'ai trouvé que c'était un peu curieux. Je me souviens qu'il n'y a eu, à l'époque, aucune alarme interne, du côté ni de la direction des affaires juridiques, ni de la direction de la législation fiscale, et qu'il n'y a pas eu, non plus, d'alarme du Conseil d'État – le projet de loi de finances rectificative est passé devant lui –, ni de censure prononcée par le Conseil constitutionnel. Ensuite, on n'a plus évoqué le sujet pendant des années. Je ne pense pas que l'on puisse parler de scandale d'État à partir de 2015, sinon toute décision politique en devient potentiellement un. Il faut éviter l'uchronie, c'est-à-dire la revisitation de phénomènes passés à la lumière du présent.
On entre dans une autre dimension à partir de la mise en demeure, en 2015. Je vous invite à lire en détail, la plume à la main, le rapport de l'inspection générale des finances, établi sous la responsabilité de Marie-Christine Lepetit. Tout y figure, à commencer par l'analyse de la situation. À toutes les étapes, il était compliqué d'intervenir : au début, parce qu'on ne connaissait pas le problème, mais aussi à partir du moment où une mise en demeure a été adressée, car l'État aurait admis sa faute s'il avait anticipé ; par ailleurs, je rappelle qu'il y a eu un revirement de jurisprudence. Je ne veux pas faire parler Mme Lepetit, mais son rapport montre bien qu'une incertitude extrêmement forte a prévalu jusqu'au bout.
Je vous rejoins sur l'idée qu'il faudrait des échanges un peu plus approfondis sur ces sujets. Le rapport propose ainsi des modalités de coopération entre la Commission européenne et les gouvernements. Je suis également ouvert à un mode de coopération entre la Commission et le Parlement. Mieux vaut être dans le préventif que dans le correctif.
Nous nous voyons régulièrement au sujet du semestre européen. Nous accélérons le rythme. Je suis prêt à venir devant vous pour évoquer d'autres thèmes que celui-ci ou que les grands sujets économiques.
Donc, parler de scandale d'État, non ; il y a eu des signaux d'alerte à partir de 2015, d'abord de basse intensité, puis un peu plus manifestes, et il faut être capable de traiter cela. Mme Lepetit propose une meilleure coopération entre la Commission européenne et l'État.
J'en viens aux questions de fond, et d'abord aux questions de fiscalité posées par le rapporteur général et par d'autres. En ce qui concerne l'ACCIS, le projet de la Commission est sur la table depuis plus d'un an. C'est la fiscalité des entreprises du vingt et unième siècle que nous devons inventer. C'est la grande réforme qui est devant nous. Nous vivons encore avec la fiscalité d'une économie très matérialisée, localisée, nationalisée, et non d'une économie dématérialisée, délocalisée, mondialisée. L'ACCIS n'est pas un processus d'harmonisation fiscale, pour lequel il faudrait changer les règles, passer à la majorité qualifiée, ce à quoi la Commission est favorable, mais est un processus de convergence et de règles communes. J'attends de la France qu'elle en fasse un fer de lance, car je pense que le résultat est alors certain. Je termine ce mandat en novembre 2019 : ce ne sera avec fierté que si on a réussi à aboutir là-dessus.
Le numérique a trois dimensions. Sur la dimension internationale, attendons le rapport de l'OCDE. Sur la dimension européenne, c'est précisément le sujet de l'ACCIS. Dès lors que l'on peut identifier ce qu'est la présence numérique et qu'on le niche dans l'assiette commune consolidée, on a le meilleur véhicule possible. Il existe d'autres propositions, qui permettent des revenus à court terme, comme la taxe sur le chiffre d'affaires. La Commission présentera des propositions en mars 2018. Elle est en train d'explorer toutes les options, dont celles à gains rapides, les quick wins, mais il ne faut pas que des gains rapides évacuent les mesures structurelles. En matière de TVA, nous vivons depuis vingt-cinq ans avec un régime temporaire, qui a créé 50 milliards d'euros de fraude à la TVA transfrontalière. Il faut penser le temporaire en lien avec les structurel.
J'entends ce que vous me dites de la liste noire des paradis fiscaux. Je respecte profondément le travail des ONG comme Oxfam et cette liste, encore une fois, n'est pas une liste de la Commission, mais elle représente un progrès et si nous disons aux États membres que ce qu'ils ont fait est insignifiant, ils seront découragés. Il y a, je l'ai dit, trois choses à surveiller. La première, ce sont les sanctions. Il faut que les États membres arrêtent des sanctions collectives, communes, et le fassent vite. La Commission prendra ses responsabilités. J'estime que les fonds de développement de l'Union européenne, les banques publiques européennes, Banque européenne d'investissement (BEI) et Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), ne doivent plus passer par des centres financiers dans des paradis fiscaux. Je demande que ce ne soit plus le cas et nous prendrons une décision dans les semaines à venir.
La deuxième chose, c'est le suivi des engagements. Il est impératif que ces engagements soient suivis dans les six mois et que la liste soit ensuite considérée comme un processus, à savoir que le respect des engagements implique la sortie de la liste noire tandis que leur non-respect impose un reclassement dans cette liste.
La troisième, c'est la question des pays européens. Selon les critères que s'est donné le Conseil européen – et j'aurais souhaité qu'il aille plus loin – il n'y a pas en Europe de paradis fiscal au sens d'une action systémique de fraude ou d'optimisation fiscale agressive, mais, regardez la liste grise, elle comporte ces territoires que vous évoquez, île de Man, Jersey et Guernesey… Comme ils ont pris des engagements, ils ont été sortis de la liste noire et placés sur la liste grise. La pression est sur eux. Quant à la législation néerlandaise évoquée par le rapporteur général, elle est désormais prohibée par la directive de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Mon message au Gouvernement néerlandais est très simple : ils ont jusqu'à 2020 pour transposer la directive mais je leur demande de ne pas attendre jusque-là.
Je fais, car c'est la démarche qui a été adoptée, le distinguo entre les pratiques qui favorisent l'optimisation fiscale dans nos États membres et le fait d'être un paradis fiscal, même si je ne m'en satisfais pas et ne tiens pas les États membres pour quittes de leurs pratiques dommageables.
Plusieurs d'entre vous m'ont posé des questions sur l'effort structurel. Selon nos prévisions, l'effort structurel serait de moins 0,4 % en 2018, tandis que les autorités françaises prévoient moins 0,1. L'écart vient du fait que la Commission, en vertu des conventions méthodologiques qu'elle suit pour tous les États membres, doit faire preuve de prudence, et cela nous a conduits à ne pas intégrer dans ces prévisions la totalité des économies attendues par les autorités françaises au niveau de l'État et de la sécurité sociale. En outre, la Commission ne peut prendre en compte toutes les économies attendues en 2018 au niveau des collectivités locales. Au final, l'écart représente quelque 6 milliards. Nous poursuivons nos échanges avec le Gouvernement français, dans de bonnes conditions de transparence, et j'ai des raisons de penser que l'écart va se réduire. Il ne suffit pas qu'il se réduise, il faudra parvenir à 0,1 point car ce sont les engagements pris. Mes services et moi-même travaillons avec les autorités françaises dans cette perspective.
Les recommandations fiscales par pays seront à l'étude en janvier dans le cadre du prochain « rapport pays ». Mon sentiment est que l'on va dans la bonne direction. Le CICE est un cas à part qui sera traité en 2019 ; il faudra aussi voir son impact budgétaire. Le rendez-vous 2018 n'est pas seulement celui de la sortie de la France de la procédure de déficit excessif mais aussi sa sortie de la procédure des déficits macroéconomiques.
Le fond du débat, s'agissant de l'Union économique et monétaire, c'est unité ou géométrie variable. Dans un cas, on considère que la zone euro est un ensemble en soi, qui doit être traité comme tel, avec son propre budget et peut-être ses propres instances démocratiques, dans l'autre, on considère qu'il s'agit d'un cadre inclusif, où la zone euro est appelée à devenir l'Union européenne, comme le préconise la Commission. La Commission européenne représente l'ensemble de l'Union, elle défend l'intérêt général et ne souhaite pas un accroissement des fractures Est-Ouest, même si elle connaît la réalité des différences. Nous proposons une démarche zone euro-Union européenne avec le Parlement européen comme Parlement de la zone euro et un budget euro qui soit le réceptacle d'une ligne budgétaire. À titre personnel, j'ai beaucoup plaidé pour un budget de la zone euro. Ma recommandation aujourd'hui est que le débat ait lieu. Je suis assez proche du Président de la République sur le sujet mais il faut que la France aille plus loin dans la définition du budget de la zone euro. On vous attend.
M. Bourlanges a demandé si l'on pouvait se contenter du Parlement européen. Non, il faut associer les Parlements nationaux. Là où je rejoins Jean-Claude Juncker, c'est que, qu'on ait un budget zone euro ou non, j'ai toujours pensé que le Parlement de la zone euro devait être soit le Parlement européen soit niché dans celui-ci, car il faut donner de la force à ce Parlement qui existe et ne pas créer de complexité institutionnelle supplémentaire. Nous voulons tous faire des élections européennes de 2019 un grand débat démocratique ; cela va dans ce sens.
Le moyen le plus rapide de réduire les divergences est la création d'un instrument budgétaire. Il y en a une autre, celle que nous avons tentée avec notre communication sur l'orientation globale de la politique budgétaire en zone euro. Un comité budgétaire européen, présidé par l'économiste danois Niels Thygesen, a été créé. Il faut de plus en plus penser non seulement à nos budgets nationaux mais aussi à la contribution globale, ce qui pourrait permettre d'envisager la contribution d'autres pays, Allemagne, Pays-Bas, qui ont des excédents, au bien-être commun.
S'agissant de l'imputation du remboursement de la taxe de 3 %, je n'ai pas spéculé sur la comptabilisation. Ce sera fait le moment venu par les offices statistiques. Eurostat est un organe indépendant, à l'instar de l'INSEE, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de discussions, avec le Gouvernement français comme avec la Commission. J'ai bien noté que le Gouvernement avait pris en loi de finances rectificative des mesures qui créent une marge de sécurité importante pour 2017, à hauteur de 5 milliards. Pour la sortie du déficit excessif pour 2017 et 2018, la France est dans le volet correctif du pacte et doit le corriger cette année. C'est sur le chiffre du déficit global exécuté pour 2017 que nous nous fonderons au printemps, avant l'appréciation du volet préventif. L'effort est significatif mais Eurostat est, là-dessus, totalement en responsabilité.
Mme Karamanli m'a interrogé sur la politique de la BCE : je ne peux faire aucun commentaire, si ce n'est qu'il faut faire confiance à M. Draghi. En matière de coordination de politique économique, j'insiste de nouveau sur la fonction de stabilisation, qui doit selon moi être significative, que ce soit une ligne budgétaire dans le budget européen ou un budget de la zone euro. C'est une fonction décisive car l'objectif est bien celui décrit par Jean-Louis Bourlanges : réduire les divergences. Nous sommes aujourd'hui dans une phase économique plus heureuse, avec de la croissance et de la création d'emplois, mais nous savons que les cycles sont destinés à s'inverser, et si les gens ont le sentiment que ce sont toujours les mêmes qui bénéficient et toujours les mêmes qui paient, ça ne va pas. Les instruments de convergence sont donc indispensables.
Nous proposons en effet, monsieur Coquerel, d'intégrer le pacte budgétaire dans les traités de l'Union, ce qui est une obligation prévue par les parties contractantes en 2011. Il y aura débat. Nous considérons qu'il faut conserver les flexibilités dans le cadre du pacte, d'autres auront peut-être une lecture plus rigoriste.