Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 13 décembre 2017 à 8h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes :

Vos questions peuvent être regroupées en six ou sept grands groupes.

Le premier concerne la transition énergétique et de fait, plus largement, la programmation pluriannuelle des finances publiques. La discussion à venir sera extrêmement compliquée car il y aura de nombreuses priorités. De nouvelles s'ajoutent : investissement dans l'avenir, préservation d'Erasmus, développement des vocations, innovation et recherche, accueil de davantage de réfugiés, financement d'une politique européenne de défense… D'autres sont maintenues : politique agricole… Il y aura une cible, qui sera la politique de cohésion. Étant Français, je me permets de passer le message ici : il est très important que la politique de cohésion, politique de réduction des divergences et des inégalités, soit défendue de manière intelligente et articulée. Parmi les priorités, je place bien sûr aussi la lutte contre le changement climatique. J'ai participé au One Planet Summit, une initiative formidable associant le public et le privé. La voix de la France sera décisive. Il n'est pas possible d'être moins disant sur le prochain budget : on ne peut avoir un budget qui continue de diminuer au moment où les besoins augmentent de manière massive.

Cela vaut aussi pour ce qu'a dit M. Castellani. Sur les politiques régionales, ne spéculons pas. Il est important que la France porte des priorités ambitieuses. Il existe un risque que la problématique budgétaire bascule vers des prêts ou des conditionnalités mais il ne faut pas perdre la bataille des vrais budgets. Un budget, ce ne sont pas des prêts, c'est une politique de cohésion, de convergence.

Le deuxième ordre de questions concerne la fiscalité. Non, madame Louwagie, la Commission n'avance pas à petits mais à grands pas. Depuis trois ans, il y a eu onze propositions de directive, dont six sont déjà votées et en train d'être mises en oeuvre. Bien d'autres, j'en ai évoquées, sont sur la table. Mais la Commission propose et les États membres disposent, qui plus est selon la règle de l'unanimité. Nous attendons donc une voix française ambitieuse sur toutes les questions. J'en évoquerai deux ou trois.

S'agissant de la taxe sur les transactions financières, un groupe travaille depuis quatre ans à une coopération renforcée en vue d'une telle taxe. Ne reprenons pas tout à zéro. Si les États membres de la coopération renforcée veulent aboutir, ils peuvent le faire très vite. C'est prêt, le travail technique a été réalisé ; il faut à présent donner le coup de boutoir politique.

S'agissant de la TVA transfrontalière, de son taux, les propositions sont déjà là. Je pense qu'il faut aller vers davantage de solidarité. Ce n'est pas à la Commission de décider s'il faut encourager le numérique, les ebooks ou la filière équine ; je suis attaché à toutes ces choses mais c'est bien au niveau français que cela doit se décider. Des propositions ont été adoptées la semaine dernière concernant la TVA sur le e-commerce, avec l'instauration d'une one stop shop, d'un guichet commun. C'est un point majeur.

J'en reviens aux listes noires. Ce n'est pas, je le redis, la proposition de la Commission, mais elle est fière d'avoir proposé qu'il y ait une liste noire. Je ne pense pas que cela interdise des listes nationales, mais la logique serait tout de même d'agir maintenant dans le cadre commun et d'éviter une nouvelle surenchère entre listes nationales. Ne fragilisons pas un processus qui doit être commun. Je plaide vraiment pour une liste européenne. Je plaide aussi pour des sanctions. J'ai dit ce que la Commission était prête à faire, je dis ce que j'attends des États. La balle est vraiment dans leur camp.

Selon moi, le ministre des finances doit piloter la coordination des politiques économique et être responsable de l'assistance financière – donc aussi du fonds monétaire européen – et de l'administration de la future fonction de stabilisation. Et, oui, il doit être responsable devant le Parlement européen. C'est la raison pour laquelle je propose qu'il soit aussi commissaire, c'est d'ailleurs la logique institutionnelle de tous ceux qui vont dans ce sens. Il ne peut pas en être autrement, parce que la Commission est responsable devant le Parlement européen. J'ai été investi par le Parlement européen, la Commission a été investie collectivement par le Parlement européen, tous les commissaires sont investis par les commissions compétentes du Parlement européen. Je ne suggère pas de le faire pour des ministres, mais, somme tout, c'est un exercice intéressant : il est arrivé que des commissions considèrent que tel ou tel n'était pas suffisamment compétent pour exercer la fonction.

Quant au Brexit, je ne peux donner d'assurance à personne. Je peux seulement dire que le Conseil européen prendra demain acte de l'accord entre la Commission et le gouvernement de Mme May. S'ouvre maintenant une deuxième phase de négociation, plus globale, dans laquelle chaque sujet, y compris la politique de la pêche, devra être examiné.

En ce qui concerne Areva, je considère, je l'ai déjà dit, que les risques qui pèsent sur la prévision de déficit pour l'année 2017 sont équilibrés. La correction du déficit excessif en 2017 est sujette à ces risques, notamment la recapitalisation d'Areva, à hauteur de 4,5 milliards. Cela implique un risque pour les déficits publics, d'après nous, de 0,1 point de PIB, montant retenu par les autorités françaises dans leur prévision de déficit 2017.

Je ne reviens pas sur la taxe à 3 %. Le choix politique a été fait d'en rembourser une partie mais pas la totalité. Pour ma part, mon rôle n'est pas de commenter les choix politiques ni faire de la politique en France. Ce qui m'importe, c'est de savoir si « ça passe ». Il me semble qu'il était indispensable de prévoir au moins une partie de compensation. Nous verrons ensuite ce qu'il en est de la comptabilisation. Je ne peux faire de promesses ni accorder de garanties. Eurostat est indépendant, mais il est de l'intérêt commun que les choses se passent bien.

Quant à l'EFSI, nous sommes dans une logique de projet. Il n'est pas facile de flécher vers des PME ou des ETI françaises, mais la France s'en sort remarquablement dans le cadre du plan Juncker – première ex aequo avec l'Italie. Il est important de continuer à développer une logique de projets. Quand je me déplace dans vos territoires – cela fait aussi partie de ma fonction –, je passe toujours le message au niveau régional : il faut organiser des plateformes d'information des PME et des ETI sur les possibilités offertes par le plan Juncker. Mais allons plus loin : il faut accroître encore le rôle du Fonds européen d'investissement, dédié aux PME, y compris avec des prises de participation, je pense que l'EFSI 2 va dans ce sens. Et je répète le message, il ne faut pas se contenter de mécanismes de prêt, il en faut de plus ambitieux, qui relèvent clairement de la logique budgétaire. Tenons-en compte au moment de définir nos instruments.

Jean-Louis Bourlanges a tout à l'heure fait allusion aux menaces qui pouvaient peser sur la démocratie. Je l'ai trouvé sévère pour l'action la Commission. Mon collègue Frans Timmermans est remarquablement actif, par exemple, pour la préservation de l'État de droit en Pologne. Soyons cependant conscients du fait que les populistes ne sont pas seulement à l'Est : ils sont partout. Le populisme a perdu des batailles, notamment la grande bataille de France, lors de l'élection présidentielle de cette année, mais cette menace n'est pas écartée. Elle ne l'est ni en Autriche, où les populistes participeront au gouvernement, ni en République tchèque – même si c'est un autre type de populisme, le nouveau Premier ministre tchèque est issu d'un parti un peu particulier. En Italie, les intentions de vote en faveur du Mouvement 5 étoiles sont très proches de celles en faveur du centre-droit. En Allemagne, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, siège au Bundestag un parti qui n'est pas un parti néonazi mais dont l'un des dirigeants élus a tout de même pu dire qu'il respectait l'efficacité de la Wehrmacht et qu'en fait de repentance à l'égard des Juifs on en avait assez fait ! Le populisme n'est donc pas mort, soyons-en conscients. Pour bien le combattre, il faut des projets européens entraînants, qui produisent des résultats. C'est la raison pour laquelle je souhaite en effet que l'année 2018 soit une grande année de débat européen mais pas seulement, que ce soit aussi une année de projets et de décisions, notamment dans tous les domaines dont nous parlons ici. C'est par la preuve que l'on convaincra nos concitoyens que l'avenir est démocratique et européen et non pas populiste et nationaliste – c'est tout ce que je combats depuis toujours. Je continuerai à le faire avec l'immense majorité d'entre vous, dans votre diversité.

Madame la présidente, monsieur le président, je reste entièrement disponible pour revenir devant vous, dans le cadre du semestre européen ou pour une rencontre sur un thème plus précis.

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