Intervention de Olivier Véran

Séance en hémicycle du lundi 7 juin 2021 à 16h00
Bioéthique — Présentation

Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé :

C'est un jour important dans la vie de cette assemblée car nous allons débattre ensemble de ce qui est souhaitable parmi ce qui est possible. Le projet de loi relatif à la bioéthique est une spécificité française. Vous y êtes, nous y sommes tous, particulièrement attachés. De par son champ et de par son rythme, il constitue un espace unique au monde où, sans grandiloquence, nous pouvons dire que la France prend rendez-vous avec son avenir. Peu de pays mènent cette réflexion qui suppose à la fois la capacité de déployer les techniques médicales et une volonté collective de défendre une certaine vision de la liberté, de l'humanité et de la solidarité.

À intervalles réguliers, les parlementaires s'emparent de ces sujets qui sont autant de choix de société. Face à des questions très complexes, il est indispensable d'avoir des débats apaisés, constructifs et exigeants, pour que chacun puisse s'exprimer dans le respect de l'intérêt collectif. Le caractère objectif de la science rencontre nécessairement des impressions subjectives, des questionnements, des moments où la certitude est balayée par le doute, et inversement. C'est tout l'enjeu de l'éthique que de savoir où placer des limites pour que les progrès rendus possibles par la science ne portent pas atteinte aux principes et aux valeurs que nous partageons dans la République.

Ce texte, mesdames et messieurs les députés, n'est pas arrivé hier au Parlement. Il a déjà une longue histoire, si je puis dire, et si la crise sanitaire a interrompu son cheminement, je suis très heureux, comme ministre des solidarités et de la santé, de le voir à nouveau animer cet hémicycle, parce que c'est ici et nulle part ailleurs que les grands enjeux éthiques doivent être discutés. Permettez-moi de saluer votre travail et de vous remercier, car je sais combien les députés ont pris ce projet de loi à cœur avec exigence et honnêteté, bien loin des dogmatismes et des réflexions partisanes. C'est aussi la beauté de ce projet de loi que de ramener chacun à ses convictions les plus profondes, à ses questionnements irrésolus et, au fond, à sa conception de la vie.

Je sais que plusieurs, sur ces bancs, aimeraient parfois aller plus loin sur certains sujets ; je respecte ce souhait qui épouse des aspirations sociétales sincères et parfois légitimes. Ce texte ne satisfera pas tout le monde. Il sera jugé tantôt trop frileux, tantôt trop audacieux. Mais il sera, j'en suis convaincu, un texte équilibré, autrement dit un texte ambitieux sans être aventurier et responsable sans être tiède. Le projet de loi accorde de nouveaux droits et apporte les ajustements rendus nécessaires par les évolutions techniques et sociétales. Accorder de nouveaux droits et de nouvelles protections, c'est la marque d'un progressisme qui a gardé le sens des conquêtes et croyez bien que je n'ai jamais perdu ma boussole militante, pas plus que je ne perds de vue les principes qui donnent toute leur force à ces droits nouveaux.

À chaque ligne de chaque article, nous avons scrupuleusement veillé à préserver l'équilibre entre le respect de la dignité de la personne humaine, l'autonomie de chacun et la solidarité de tous. Nous avons pour cela respecté un impératif catégorique : offrir un cadre protecteur pour l'enfant qui, à sa majorité, aura la possibilité d'accéder sans conditions aux informations relatives au tiers d'honneur ainsi qu'à l'identité de ce dernier. Ce cadre protecteur sera garanti par une gestion centralisée des données relatives aux donneurs, aux dons et aux enfants nés de dons par l'Agence de la biomédecine, l'ABM. Une commission d'accès aux origines recueillera les demandes des personnes nées de dons et sollicitera l'Agence pour obtenir les informations lui permettant d'exercer ses missions.

Nous pouvons être fiers de l'article 1er . Je le dis avec émotion car je pense à tous les couples de femmes qui, depuis tant d'années, s'engagent dans des parcours du combattant pour mener à bien leur projet parental. Je tiens à dire à toutes ces femmes que dorénavant leur projet parental et familial sera pleinement reconnu et qu'elles seront accompagnées comme il se doit dans leur démarche.

Il m'est arrivé d'entendre des propos parfois fâcheux sur de prétendus désordres médicaux engendrés chez les enfants par les techniques de procréation médicalement assistée (PMA). Je le dis sans la moindre ambiguïté : ces propos sont non seulement blessants, et je les condamne, mais ils sont aussi parfaitement infondés d'un point de vue médical.

Avec l'article 1er , la famille française s'agrandit dans la diversité de ses modèles et dans la richesse de ses configurations. C'est un enjeu d'égalité et la force de l'égalité républicaine, c'est précisément de reconnaître la diversité des situations, des parcours et des projets de chacun.

Au cours du quinquennat précédent, le mariage pour tous a contribué à ce mouvement vers l'égalité, bien loin du choc anthropologique redouté par certains. Je rends hommage à tous ceux qui, à l'époque, sur ces bancs et ailleurs, ont permis à la France d'être fidèle à sa promesse d'égalité et d'émancipation. J'ai également une pensée reconnaissante pour ceux qui, il y a un peu plus de vingt ans maintenant, se sont battus pour le pacte civil de solidarité (PACS), parfois seuls dans leur camp. C'était notamment le cas de notre collègue Roselyne Bachelot, décidément toujours clairvoyante.

Je salue le travail colossal mené en commission spéciale ; je salue les députés qui, par-delà leurs sensibilités, ont été pleinement à l'écoute de la société française et de ses aspirations. Ce qu'offre l'article 1er aux couples de femmes, c'est la sécurité de leur projet et la sérénité de pouvoir le mener à bien, loin des jugements de valeur, loin des indiscrétions. Nous avons su regarder en face les familles issues de projets souvent très longs, avec des enfants ardemment désirés et des parents qui, nul ne s'en étonnera, sont des parents, tout simplement. Reconnaître la famille dans ce qu'elle a de divers, de pluriel, de riche, c'est donc ce que propose cet article.

Pour ma part, je prends un engagement devant vous : les textes d'application doivent être préparés dès à présent pour pouvoir être publiés immédiatement après la promulgation de la loi, afin que des couples de femmes puissent s'inscrire dans des parcours de PMA dès la rentrée et que de premiers enfants puissent être conçus avant la fin de l'année 2021. Cela signifie, mesdames et messieurs les députés, que nous y sommes enfin.

Ce n'est pas parce qu'un modèle est plus répandu que d'autres qu'il acquiert le statut de norme s'imposant à tous. Avec l'article 1er , nous faisons un choix clair et assumé. Par ce choix, nous n'affirmerons qu'une seule chose : la force des institutions. Car la démocratie est le régime qui regarde les problèmes en face et qui les résout. C'est votre responsabilité et c'est la responsabilité du Gouvernement. La force des institutions et l'esprit de responsabilité devront aussi guider les choix que nous ferons dans des domaines aussi complexes que variés. Je pense à l'autoconservation de gamètes pour les femmes comme pour les hommes ; je pense aussi à l'amélioration de la qualité et de la sécurité des pratiques avec les dons d'organes ou les missions des conseillers en génétique ; je pense enfin au développement, dans le respect de nos valeurs éthiques, de la médecine génomique dans le cadre du soin ou de la recherche.

Après plus d'un an et demi d'une crise sanitaire qui a profondément bouleversé la vie des Français et celle de cette assemblée, je ne peux m'empêcher de voir dans le retour de ce texte devant le Parlement le signe d'un pays qui regarde à nouveau l'avenir avec confiance, avec exigence et avec l'optimisme raisonnable qui s'impose après une longue et douloureuse épreuve. Les choix que nous avons faits ces derniers mois ont été difficiles ; ils ont rappelé à chacun où se trouvaient les valeurs les plus fondamentales de notre nation. Si je dis cela, c'est parce que ce projet de loi fait certes évoluer le droit, mais qu'il ne le fait pas sans boussole et au doigt mouillé : il le fait avec le souci constant de respecter nos grands principes. Nous avons devant nous un texte mesuré qui correspond aux attentes de la société française, qui respecte scrupuleusement nos principes et qui fait de l'intérêt général la seule et unique ligne de démarcation entre le possible et le souhaitable.

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