« Vous savez qu'ils nous sanglent les jambes sur la table, ils ne préviennent pas ; en tout cas moi, le médecin ne m'avait pas prévenue. Il parlait d'une piqûre ; en fait, il y en a quatre, deux de chaque côté du col de l'utérus. En même temps, elles sont si atroces ces piqûres que sans les sangles, j'aurais refermé les cuisses, par réflexe » : voici quelques-uns des mots échangés avec Salomé Berlioux sur le tabou immense de l'AMP. Dans son livre, La Peau des pêches, que je conseille à tous, particulièrement à ceux qui doutent encore de la solidité du parent à venir, elle révèle l'intime de ce devenir parent autrement. Pour un couple hétérosexuel, devoir passer par une AMP est une injustice fondamentale, une fracture de l'intime. Comme l'énonce justement Salomé : « " Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants ". On nous le chante depuis l'enfance, sur tous les tons […] les parents sont majoritaires. Souvent sans se poser de questions. Pourquoi s'en poseraient-ils ? Quand on respire sans difficulté, on n'est pas conscient que l'on respire. »
Le silence sur la déchirure de l'infertilité comme les épreuves de l'AMP aggravent les souffrances de ces femmes, de ces hommes, de ces couples qui remettent leur intime entre les mains de la science pour réaliser leur droit le plus naturel : devenir parent. Ils nous demandent de nommer et reconnaître. Nous légiférons effectivement sur leur intime, l'intime personnel de ceux qui suivent un parcours d'AMP comme l'intime relationnel entre les parents et les enfants.
Or l'intimité est ce qui caractérise notre humanité. Elle nous singularise comme sujet, nous lie comme altérité et nous définit culturellement. Le sentiment d'injustice provient souvent d'une négation de l'intime, comme pour les familles homoparentales, inexistantes jusqu'alors dans notre droit. Avec l'AMP pour toutes, nous créons la reconnaissance de la maman qui n'accouche pas. Une comaternité est engagée. C'est un progrès de société dont la majorité est très fière et pour lequel elle vous remercie, monsieur le garde des sceaux, même s'il reste quelques marges pour aboutir à une réforme plus large du droit de la famille et de la filiation.
Devenir parent, s'agit-il d'une liberté ou d'un droit ? En démocratie, forcément les deux car pour que la liberté de devenir parent s'accomplisse, il faut garantir le droit au respect de la vie privée et familiale, l'interdiction de la discrimination, soit l'absence d'entrave par l'État. Le déni de certaines réalités familiales est perçu comme une entrave par la négative. La liberté intime de devenir parent a été largement percutée à chaque fois que nous avons examiné ce texte, en commission ou en séance publique. C'est la légitimité des familles homoparentales, monoparentales et ce faisant, par symétrie opposée, des familles hétéroparentales qui est en jeu.
Mes chers collègues, souvenez-vous qu'à chaque fois que vous assénez l'argument de la confusion entre le donneur et le père, vous portez atteinte non seulement aux mères qui suivront demain, après-demain – à la rentrée, monsieur le ministre – une procédure AMP mais aussi à tous ces hommes, ces pères légitimes et de cœur qui élèvent leur enfant depuis quarante ans. Deux années de débats devraient avoir permis de faire infuser le message de la loi de 1994 : le donneur n'est jamais le père. L'altérité qui se construit dans la délimitation de l'intimité personnelle, relationnelle et sociale ne dépend ni du sexe, ni du genre, ni de l'orientation sexuelle, ni de la situation conjugale. L'enfant pourra se construire une intimité personnelle par rapport à des altérités parentales et affectives plurielles, responsables de lui à vie, lui prodiguant des soins et fixant des limites, ce qui est loin d'être systématique lorsqu'il est né d'une étreinte charnelle.
En complément, je tiens à adresser un message de reconnaissance et de soutien aux hommes qui suivent un parcours AMP car nous les avons finalement très peu évoqués. Certes, ils n'éprouvent pas en leur chair la stimulation hormonale, les prises de sang et piqûres quotidiennes, la ponction ovarienne puis l'insémination. Pourtant, ils sont aussi, je crois, atteints dans leur intimité, notamment en raison des croyances populaires sur la masculinité. Eux aussi accusent les attentes, les fausses couches. Ils partagent la peine, le deuil, ressentent le devoir de se relever pour soutenir leurs compagnes lors des nouvelles tentatives. Alors, messieurs, ne doutez pas, ni de votre qualité d'homme ni de votre qualité de père à venir. Un spermogramme ne dit rien de votre force, de votre puissance amoureuse, de votre engagement paternel. Si l'issue de l'AMP est heureuse, si vous accueillez un enfant, votre responsabilité envers lui sera totale et vous engagera à vie.
Mes derniers mots seront pour les enfants issus d'AMP, pour certains devenus majeurs. Vous avez été le cœur vibrant de nos débats, de notre attention. Votre voix a porté. L'accès à vos origines personnelles demain sera reconnu. C'est la fin du tabou et du secret, et nous vous en remercions, messieurs les ministres. Parce que l'accès à la totalité de votre récit personnel nécessite parfois des fragments de récit génétique, nous élargissons le champ initial du droit. L'intimité, entre secret et dévoilement, exige au minimum la fin du déni. Vos parentés sont claires, sans ambivalence. Rien ne justifie de voiler l'histoire génétique ou le don.
Puissent les familles s'épanouir dans un climat sociétal clarifié.