Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du lundi 7 juin 2021 à 16h00
Bioéthique — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

…telle qu'il la construira par l'expérience – car, si l'orientation sexuelle n'est pas un choix, l'orientation de genre peut l'être à certains moments ; ce processus est mystérieux pour moi mais je l'ai observé. Aussi, la répartition des genres me semble souvent correspondre à des préjugés ou à des comportements stéréotypés qui, tous, sont un résultat culturel. Tel est le point sur lequel je voudrais ancrer ma démonstration.

J'ai entendu vos arguments, madame Ménard ; je les connais et, bien que je sois en désaccord total avec vous, je les respecte. Je comprends la construction de votre raisonnement, et je vois le lien qui existe entre votre conception d'une vérité biologique de la parentalité et les autres aspects de votre pensée politique – vous trouveriez chez nous des correspondances du même ordre. C'est par coïncidence qu'on trouve, parmi les partisans de la PMA et de la liberté de formation des couples, les partisans du droit du sol – terrain hautement politique –, tandis que le point de vue inverse compte des partisans du droit du sang. Une longue tradition, dans la pensée politique de la France et de nombreux autres pays, voudrait qu'il existe une vérité biologique qui s'imposerait dans différents domaines – souvent, l'ethnicisme se fonde sur une telle idée. L'humanisme procède d'un tout autre point de vue. J'ai déjà cité, ici, De la dignité de l'homme, de Pic de la Mirandole, qui fonde le début de l'ère moderne en instituant absolument et radicalement la responsabilité individuelle de chacun dans la construction de son existence, et en niant – ce qui peut être choquant – qu'on soit l'objet d'un projet de salut ou d'une prédétermination. Il m'avait échappé que ce livre, si important dans l'histoire de la pensée européenne, avait été précédé, cinquante ans auparavant, par un texte qui affirmait de façon fondamentale la similarité des êtres humains, et par conséquent leur construction entièrement culturelle et sociale.

Ce texte, c'est La Cité des dames, de Christine de Pisan, point de vue féministe établissant cette similarité, lié à chacune des étapes de la construction de l'humanisme philosophique, du moins en France. Ainsi, les nombreux admirateurs de Montaigne sur ces bancs sauront que son œuvre n'aurait jamais été transmise telle qu'il l'a voulu sans Marie de Gournay, laquelle fut l'auteur d'une lettre document sur l'Égalité des hommes et des femmes. On voit la concomitance intellectuelle entre l'émergence de l'humanisme radical, fondateur de la pensée moderne, et le féminisme. Or le féminisme en tant que négation de l'attribution sociale et culturelle des genres postule nécessairement l'autoconstruction. Il en va de même de la parentalité.

J'ai considéré la question sous l'angle du féminisme parce que c'est sans doute ce qui facilite le plus le débat, à cette étape de notre histoire où nous en discutons beaucoup. Non que tout le monde l'admette, mais les bases de la discussion sont acquises pour nous tous. J'aurais pu le faire sous l'angle de l'histoire de la parentalité et rappeler qu'elle était d'abord et avant tout l'histoire du patriarcat. Durant toute l'Antiquité, ou presque, la parentalité est définie d'abord par les droits du père et tout à fait subsidiairement par ceux de la mère.

C'est ainsi que dans la Rome antique, aussi bien que dans la Grèce antique, qui vous servent souvent de modèle comme à moi-même, le droit d'exposer les enfants, c'est-à-dire de les abandonner à la naissance, était un privilège absolu du père, et non de la mère. Et c'est de cette manière que tout au long de l'histoire, on a pu s'assurer que la parentalité, telle qu'elle a été construite dans un horizon visible par nous, se réduisait à la paternité et que les droits liés à la parentalité et à la filiation ont systématiquement été rattachés à l'homme. C'est pourquoi je crois que nous n'aurons pas trop de difficultés à notre époque à considérer qu'on peut procéder autrement et reconnaître le caractère culturel de la paternité, de la maternité, de la parentalité au fil des siècles.

Je rappellerai que depuis un passé récent, la paternité est déclarative. « Si c'est ton épouse qui a mis cet enfant au monde, alors c'est le tien. » Je n'aurai pas le mauvais goût de signaler la distance qui peut parfois séparer l'état déclaratif de la réalité biologique. La société est capable de regarder ailleurs et chacun est prêt à se pencher sur un berceau en s'appropriant l'être qui s'y trouve, parce que souvent on a assez d'amour pour ça. C'est comme ça et puisque nous savons tous que c'est comme ça, alors tirons-en toutes les conséquences, politiques et philosophiques, à ce moment où une demande apparaît.

Le sommet, sans doute, de cette façon de voir, qui réduit la parentalité à la paternité, a donné lieu à beaucoup de légendes et de mythes qui nous aident à réfléchir sur ce sujet, mais je commencerai par quelque chose qui n'est pas un mythe : une déclaration de Napoléon à propos de la parentalité qui résume très bien ce que je vous ai dit il y a un instant. « L'enfant appartient au mari de la femme, comme la pomme au propriétaire du pommier. La femme est donnée à l'homme pour qu'elle lui fasse des enfants. Elle est sa propriété comme l'arbre à fruits est celle du jardinier. » Voilà qui est d'une simplicité brutale, qui aujourd'hui nous fait sursauter, mais qui a été la norme pendant deux siècles.

Par la suite, on a quand même donné plus de place au jugement de Salomon, que vous connaissez, madame Ménard, aussi bien que moi, et qui ajoute à la question de savoir qui est le père, celle de savoir qui est la mère, en répondant à ces deux questions : c'est la personne qui est capable d'assez d'amour pour renoncer à l'enfant plutôt que de le voir souffrir et, dans le cas du jugement de Salomon, qu'il soit partagé en deux. Dans ce dernier cas, c'est la mère naturelle qui renonce, alors que dans la légende chinoise et dans Le Cercle de craie caucasien de Brecht, c'est la mère adoptive qui refuse que l'enfant soit écartelé, les deux femmes étant appelées à tirer chacune sur le gamin pour savoir qui l'aura.

Ces histoires nous démontrent, à nous qui savons que la paternité est déclarative, que c'est un fait social institué par la tradition, par les codes et les lois qui déduisaient la propriété de la filiation – car c'était ça, le fond de l'affaire –, que la maternité non plus n'a pas la vérité biologique absolue à laquelle pourtant elle peut prétendre pour toutes les raisons d'évidence que chacun connaît.

Voilà pourquoi je crois que ce projet de loi est sage. J'ai exposé les arguments qui montraient qu'elle n'est pas du tout une aliénation ni une concession faite à l'époque mais plutôt l'aboutissement, le couronnement d'un long processus qui nous amène jusqu'à ce point et qui donnera lieu sans doute pour les générations qui suivent à d'autres situations encore qui aujourd'hui nous paraîtraient inouïs, comme il y a un siècle aurait paru inouïe l'idée que deux femmes puissent non seulement constituer un couple mais être les parents d'un même enfant. C'est un processus d'émancipation humaine dont il est question.

Certes on peut ne pas être d'accord, mais comprenez qu'il est difficile d'entendre que nous priverions un enfant de ceci ou de cela. Aucun de ceux qui souhaitent l'adoption de ce texte n'a l'intention de priver de quoi ce soit, mais au contraire d'ajouter, de rendre possible, d'élargir le champ de ce qui est bon et permet à la société de se montrer plus ouverte, plus à l'écoute des enfants. Non, à nos yeux, il n'y a pas de vérité biologique : il y a une vérité humaine, une vérité philosophique qui doit parler à cet instant. Voilà ce que je voulais vous répondre, madame, pour vous expliquer pourquoi nous allons rejeter votre motion. Nous entendons la cohérence de votre point de vue mais dans ce moment il est dépassé par l'histoire et par la bienveillance de tous ceux ici qui veulent un moment plus tendre et plus accueillant pour l'enfant, plus doux et plus bienveillant à l'égard des femmes.

Ce n'est pas pour autant que, comme certains le craignent, à une étape ultérieure les partisans de la PMA se retrouveraient mécaniquement partisans de la gestation pour autrui. Je vous le dis très solennellement : ce n'est pas du tout notre point de vue. Nous y sommes opposés, contre certains de nos amis qui trouvent que l'idée est bonne et qu'elle doit être acceptée elle aussi. Je pense qu'ils se trompent et je le leur ai déjà dit.

On me dit : « Dans ce cas, monsieur Mélenchon, vous et vos amis êtes dans une contradiction terrible puisque vous refusez la GPA mais vous demandez que les enfants qui en sont issus puissent cependant être reconnus par les personnes qui se déclarent leurs parents ? » C'est vrai, c'est une contradiction, un angle mort, nous préférerions un raisonnement d'une pièce mais que faire contre les faits ? L'enfant est là, il a des parents. Ce monsieur, cette dame n'aurait pas le droit, au cas où son enfant serait hospitalisé par exemple, d'intervenir, de donner son point de vue, de l'accompagner, faute d'avoir une responsabilité légale à son égard ? Alors, s'il est vrai que c'est une contradiction, ce que je concède, je répondrai qu'il ne me reste plus qu'à renvoyer ceux qui sont les auteurs de cette situation à la responsabilité morale de ce qu'ils ont créé.

Car je ne crois pas, et je ne croirai jamais, à quelques incroyables exceptions près qui peuvent surgir ici ou là, au don, en la matière. Ce que l'on a observé partout et systématiquement, c'est que la GPA transforme le corps de la femme qui porte l'enfant pour quelqu'un d'autre en outil de production, et à cet égard, jamais nous ne serons favorables à la réification du corps humain. Voilà pourquoi nous nous y opposerons. Vous me direz, comme ce n'est pas le sujet : « Vous avez beau jeu de vous opposer à quelque chose qui n'est pas proposé. » Peut-être, mais je tenais à vous le dire puisque les opposants à la PMA sous-entendent souvent que la GPA serait à l'affût, prête à bondir dès que nous aurons voté la PMA. Eh bien, non. Elle rencontrera autant d'opposition que la PMA rencontre de soutien car je suis sûr que, dans cette hypothèse, nous ne serons pas seuls.

J'achève sans exposer davantage des arguments que vous avez déjà entendus mais je suis heureux et fier d'avoir pu les présenter avant que mes amis n'interviennent à leur tour au fil de l'examen du texte. Il s'agit seulement de vous dire à cet instant, madame, que je vote contre votre motion de rejet dans l'esprit de narguer, non pas vous, bien sûr, mais ceux qui m'ont menacé de mort parce que je défends cette opinion, ainsi que tous ceux qui partagent avec moi cette conviction.

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