Le 17 février dernier, une commission mixte paritaire s'est tenue, à la demande du Premier ministre, afin de trouver un accord entre députés et sénateurs sur le projet de loi relatif à la bioéthique. Notre collègue Agnès Firmin Le Bodo, présidente de la commission, n'a eu besoin que de vingt minutes pour constater l'impossibilité d'une convergence sur ce texte – je reprends ses propos : « Les divergences qui ont été exposées témoignent de la vitalité de notre débat démocratique. Elles sont cependant très profondes et nous empêchent de parvenir à un accord. »
Les deux chambres, en effet, ont voté, en première comme en seconde lecture, des versions très différentes du projet de loi. En octobre 2019 et en juillet 2020, l'Assemblée nationale a voté en faveur de la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes – c'est-à-dire l'institutionnalisation par la loi de l'enfant sans père –, l'autoconservation des gamètes sans motif médical, une filiation nouvelle consistant à inscrire deux mères sur l'acte de naissance d'un enfant, l'autorisation de créer des embryons transgéniques, des embryons chimères et des gamètes artificiels, et l'introduction d'un motif de détresse psychosociale pour l'interruption médicale de grossesse. De son côté, le Sénat, en février 2020, puis en février 2021, a limité, et même supprimé en seconde lecture la possibilité d'une PMA sans motif médical, maintenu la condition d'un motif médical pour l'autoconservation des gamètes, remplacé la filiation fictive envisagée par l'adoption de l'enfant par la conjointe de la mère, réintroduit l'interdiction de la création d'embryons transgéniques, de chimères et de gamètes artificiels, et supprimé le motif de détresse psychosociale pour l'interruption médicale de grossesse.
Dans ce contexte, le Gouvernement, au lieu de retirer le texte, a décidé d'une troisième lecture dans les deux chambres. Comme cela ne permettra pas de parvenir à un texte commun, tant le clivage est profond, il sait pertinemment que c'est l'Assemblée nationale qui aura le dernier mot : autant dire que la majorité présidentielle aura alors les mains libres, faisant fi du travail du Sénat, de l'opposition de nombreux députés aux mesures les plus clivantes, des conclusions des états généraux de la bioéthique organisés en 2018, ou encore de très récents sondages– comme celui de l'Ifop paru aujourd'hui –, qui mettent en lumière le souhait d'une large majorité de Français d'appliquer un principe de précaution en matière de bioéthique et que des limites soient posées aux recherches qui mettent en cause l'intégrité de l'être humain. Pourtant, fait intéressant, 63 % des personnes interrogées déclaraient soutenir la République en marche : preuve qu'il faudrait que vous regardiez les choses d'un peu plus près.
Non content de ses manœuvres, l'exécutif fait ainsi preuve d'une catastrophique absence de sens des priorités et des responsabilités. Les Français vivent actuellement d'immenses difficultés et la crise sanitaire n'est pas terminée, loin de là. Ses conséquences sont largement devant nous : le plan de relance doit être revu, la pauvreté a considérablement augmenté dans notre pays, des secteurs entiers de notre économie et de notre société sont laminés, près de 10 % des élèves ont décroché depuis le premier confinement, les étudiants et les nouveaux diplômés sont au bord du désespoir. À tout cela s'ajoute une situation d'insécurité préoccupante, ainsi que des actes récurrents de terrorisme. Parce que la gravité de l'état de la France implique que l'on prenne d'urgence des mesures d'ampleur, ce pour quoi le Parlement est incontournable, l'embouteillage législatif est impressionnant : projets de loi relatifs à l'état d'urgence sanitaire, à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme, mais aussi débats et votes sur les très nombreuses ordonnances liées à la crise, afin de permettre le contrôle parlementaire minimal qui s'impose en la matière.
Pour le projet de loi relatif à la bioéthique, le Gouvernement veut passer en force, ce qui, sur un sujet aussi sensible, est inconcevable. Pourquoi parler de passage en force ? Actuellement, les Français regardent ailleurs, et c'est légitime. Pourtant, face aux possibilités vertigineuses offertes par les biotechnologies, ces débats les concernent au premier chef : il s'agit de savoir comment utiliser les biotechnologies tout en respectant la dignité de la personne humaine. Alors que la pandémie nous rappelle plus que jamais notre fragilité, et que beaucoup se mobilisent légitimement, sans compter, pour protéger l'environnement et la biodiversité, ne devrions-nous pas être beaucoup plus soucieux de l'espèce humaine ? Le changement sociétal profond que prévoit ce texte implique que l'on prenne le temps de construire un minimum de consensus, loin des postures idéologiques. Surtout, il n'est pas compatible avec l'état d'urgence sanitaire dont le pays est tout juste en train de sortir.
En outre, les projets de loi étant d'initiative gouvernementale, les ministres concernés sont tenus de suivre nos débats et de répondre aux interrogations des parlementaires. C'est précisément ce que M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé – qui vient de quitter l'hémicycle – a été incapable de faire lors de la deuxième lecture, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, en raison de sa mobilisation pour la gestion de la crise sanitaire – ce que l'on peut tout à fait comprendre.
Ce projet de loi doit également être revu à l'aune de la crise sanitaire. La nécessité de confiner à trois reprises est notamment venue des difficultés et du manque de moyens de notre système de santé. Ministres, médecins et chercheurs doivent en priorité s'occuper de la santé des Français. Or, la tâche est immense et incompatible avec la satisfaction de désirs individuels qui n'ont aucun rapport avec leur mission de soins et de prévention des maladies.
Si j'insiste autant sur le passage en force, c'est parce que je considère que le texte n'a pas permis d'aller au fond de certaines interrogations, parce qu'il mélange deux dimensions très différentes : l'AMP, qui est une question sociétale et les questions bioéthiques. Non seulement nous n'avons pas pu avoir un débat juridique de fond sur l'AMP, mais le Gouvernement cherche à diluer les questions bioéthiques dans un débat scientiste, puisqu'à ses yeux, le rôle de la loi devrait se réduire à rendre possible en matière de recherche ce que rendraient possible les biotechnologies.
Sans atteindre l'unanimité, les précédentes lois de bioéthiques françaises étaient montrées en exemple à l'étranger, car elles étaient élaborées autour d'un véritable consensus. Or cette fois, dès le départ, la majorité s'est abstenue de chercher le consensus : cela restera une tache indélébile sur le texte, car c'est contraire à ce qu'une loi de bioéthique devrait fondamentalement être. Vous allez même créer une rupture supplémentaire : ne pas douter et ne pas chercher à répondre à un minimum d'interrogations de l'opposition et de certains députés de la majorité, c'est empêcher une loi de bioéthique d'être partagée par tous.
Or, une loi de bioéthique devrait contribuer à « faire nation », et non pas accentuer les clivages et créer des tensions ; elle devrait être source d'apaisement, et les garde-fous qu'elle établit ou maintient devraient rassurer. Pour le moment, c'est exactement le contraire : ce projet de loi inquiète, car il nous conduit à un moins-disant éthique. Là où une autorisation était nécessaire, une simple déclaration suffira ; là où l'on avait interdit, on rend possible sans savoir ce qui va se passer. Les lois de bioéthique devraient pourtant être des lois d'équilibre – l'équilibre juste et légitime, qui permet aux chercheurs d'effectuer des travaux de recherche tout en permettant à la société de garder le contrôle sur ce qui se déroule dans les laboratoires de recherche, d'autant plus lorsque cela mobilise des financements publics. Ainsi, il serait sage qu'à tout le moins, on applique aux recherches sur les cellules-souches embryonnaires humaines les règles qui encadrent les recherches sur l'animal vivant.
Une loi de bioéthique doit protéger, prévoir des garde-fous – notamment éthiques, justement. Le projet de loi pose beaucoup de questions – et nous en avons beaucoup posé, sans obtenir de réponses de la majorité et du Gouvernement. Si le questionnement est légitime, il ne faut évidemment pas qu'il se transforme en flou et en laisser-faire – comme le texte en donne l'impression. Bien au contraire ! Comble de tout cela : alors qu'elle prétend supprimer des discriminations en matière sociétale, cette loi en créera hélas de nouvelles.
Pour toutes ces raisons, nous invitons l'exécutif à la raison et au respect des Français : il faut remettre à plus tard ces débats sociétaux et bioéthiques, qui ne doivent pas se dérouler durant une période d'état d'urgence. Et, puisque nous sommes à un an de l'élection présidentielle, laissons la place à un vrai débat démocratique en 2022. Les candidats qui le souhaitent pourront alors – officiellement cette fois – inscrire dans leur programme l'AMP pour toutes et leur volonté de reconnaître la GPA, en vue d'un vrai débat citoyen et politique. Seules cette clarté et cette transparence permettraient de parvenir à un large consensus sur des questions éminemment sensibles qui nous dépassent tous.