Intervention de Gérard Leseul

Séance en hémicycle du lundi 7 juin 2021 à 16h00
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Leseul, rapporteur de la commission spéciale :

Nous voici donc à la troisième lecture du projet de loi relatif à la bioéthique, qui prévoit notamment l'ouverture de l'AMP, à toutes les femmes : presque deux ans de cheminement pour un texte et une évolution sociétale attendus par beaucoup de nos concitoyens et de nos concitoyennes. C'est bien la preuve que, dans le cadre du parcours législatif, nous pouvons prendre le temps du dialogue, de l'échange, lorsque nous nous en donnons la peine.

Prenons garde, toutefois, à ce que ce temps long ne réduise pas la portée d'une réforme annoncée de longue date, n'en atténue pas certaines mesures. Les sujets abordés sont sensibles : ils touchent à ce que nous avons de plus intime, à nos convictions profondes, d'autant que ces avancées surviennent dans le contexte d'une mondialisation où la confiance dans les sciences, dans la médecine, se trouve trop souvent mise à mal. Par son caractère universel, la science unit les hommes sans remettre en cause la liberté de pensée qui permet même à l'individu d'opter pour la métaphysique de son choix ; elle constitue un espace neutre et laïque que nous devons absolument préserver. C'est pourquoi il nous faut avancer avec conviction tout en préservant les principes éthiques essentiels à notre société. Je profite d'ailleurs de cette occasion pour saluer l'Agence de la biomédecine, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et bien sûr le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, sans oublier les comités d'éthique qui existent désormais partout, au sein desquels les débats menés nous permettent d'avancer, tout en formulant avec humilité, avec clarté, nos questions et nos doutes.

Ainsi, nos débats seront à la fois le fruit et la poursuite de ceux qui les ont précédés. Encadrer les progrès de la science et de la médecine pour en éviter les dérives, c'est là tout l'objectif des lois de bioéthique : nous pouvons d'ailleurs être fiers que la France ait été, en 1983, le premier pays à se doter d'un organe tel que le CCNE. Elle a ensuite adopté un cadre législatif propre à la bioéthique grâce à trois lois promulguées en 1994, l'une le 1er juillet, les deux autres le 29 juillet. Cet encadrement légal a été renforcé une première fois en 2004 ; puis, parce que la rapidité des progrès de la science et des évolutions sociétales nécessitait une mise à jour régulière, la loi du 7 juillet 2011 a posé le principe de sa révision sept ans plus tard – chantier officiellement ouvert avec le lancement des états généraux de la bioéthique, le 18 janvier 2018.

Ce projet de loi tient bien évidemment compte des évolutions survenues au sein de notre société. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est parce que d'autres avancées sociétales majeures ont été précédemment soutenues, notamment par des gouvernements de gauche. Je pense au PACS créé en 1999, sous le gouvernement Jospin, et à l'adoption en 2013 du mariage pour tous, défendu de façon majestueuse par une très grande garde des sceaux, Christiane Taubira, à qui je rends ici hommage. Ces mesures ont offert des droits et une reconnaissance juridique à celles et ceux qui n'en avaient pas. Ce sont ces conquêtes successives qui nous permettent à présent, mes chers collègues, de débattre des avancées contenues dans cette future loi de bioéthique, particulièrement de l'AMP pour toutes, c'est-à-dire de son extension aux couples de femmes et aux femmes seules.

Les longues controverses, les positions conservatrices exprimées à l'égard de ces évolutions, qu'il faut accompagner et encadrer, nous rappellent trop souvent que les combats pour l'égalité doivent être menés inlassablement, et que celle-ci n'est, hélas, jamais spontanément acquise. Les débats en commission spéciale, le millier d'amendements déposés, ont montré à quel point les anciens opposants au mariage pour tous font une nouvelle fois tourner en boucle leurs vieux arguments. Or, encore une fois, notre société change ; les schémas familiaux et parentaux aussi. Selon les données de l'INSEE, notre pays compte désormais un quart de familles monoparentales ; le CCNE s'est du reste prononcé en faveur de l'ouverture de l'AMP aux femmes seules, invoquant leur demande et la reconnaissance de leur autonomie, ainsi que l'absence de violences liées à la technique elle-même et la relation à l'enfant au sein des nouvelles structures familiales.

Écoutons les familles, regardons en face l'évolution des modèles familiaux de notre société ! Contrairement aux idées reçues, l'absence de père est prise très au sérieux par les familles monoparentales : des présences masculines peuvent jouer le rôle de tiers et rendre possible l'identification. L'important reste d'offrir un cadre familial apaisé, ouvert, guidé par l'amour. L'absence d'altérité dans le couple ne pose pas de problème en soi, à partir du moment où il existe un projet familial solide et propice au développement de l'enfant. En revanche, il nous faut être particulièrement vigilants face aux discours violents et discriminatoires tenus à l'endroit des familles qui n'entrent pas dans le schéma classique « père + mère », comme naguère à l'endroit des enfants nés hors mariage, car ce sont bien ces tensions qui peuvent avoir des conséquences néfastes pour les enfants. En outre, la « normalité » chère à certains n'est malheureusement pas toujours la vie rêvée : les violences intrafamiliales, les féminicides, constituent de tristes réalités sociales, comme l'actualité nous le rappelle de manière souvent tragique. Acceptons-le humblement, mais sincèrement, honnêtement et définitivement : ce n'est pas le statut matrimonial qui fait de quelqu'un un bon parent.

Toutes ces raisons poussent les élus du groupe Socialistes et apparentés à soutenir globalement cette réforme, ainsi que la prise en charge par l'assurance maladie des actes d'AMP pour les couples de femmes et les femmes célibataires, qui bénéficieraient ainsi des mêmes modalités que les couples hétérosexuels.

Ce texte aborde d'autres questions sensibles dont le législateur doit, me semble-t-il, pleinement s'emparer. M'étant déjà exprimé sur ce point en qualité de rapporteur du titre II du projet de loi, je ne reviendrai pas sur le don du sang, qui continue de faire l'objet d'une discrimination – incompréhensible, selon moi – envers les hommes homosexuels.

La question de l'extension du droit commun de la filiation aux couples de femmes ou à toute femme non mariée ayant recours à une AMP avec tiers donneur doit également être posée. Aux termes de la rédaction actuelle du texte, une femme en couple avec une autre femme ne deviendrait mère que par reconnaissance devant notaire, alors que si elle était célibataire ou en couple avec un homme, elle deviendrait mère par le fait d'accoucher. Pourtant, toutes les dispositions nécessaires pour étendre simplement le régime de droit commun aux couples de femmes figurent déjà dans notre droit : le don avec tiers donneur, l'AMP et la double filiation sans lien biologique existent, tout comme, depuis la loi du 17 mai 2013 instaurant le mariage pour tous et ouvrant l'adoption aux couples homosexuels, la mention « mère et mère ».

Nous proposons donc d'étendre la filiation de droit commun aux futurs publics concernés par l'AMP avec tiers donneur, ce qui ne remettra nullement en cause les droits des couples composés d'un homme et d'une femme qui y ont déjà accès, tout en permettant de conserver les règles en vigueur dans le cadre des contentieux de la filiation pour tous les parents, qu'ils soient célibataires, en couple hétérosexuel ou en couple de même sexe.

De la même façon, il conviendrait de répondre concrètement à la question de la filiation d'un enfant né d'une gestation pour autrui à l'étranger, qui se pose maintenant depuis de nombreuses années.

Enfin, je suis convaincu, à titre personnel, que nous devrions saisir l'opportunité que nous offre ce texte pour clarifier les pratiques et réaffirmer que l'interruption médicale de grossesse (IMG) pour raison médicale ou en cas de détresse psychosociale doit s'appliquer uniformément aux quatre coins de la France. L'IMG est un acte médical intervenant lorsqu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic, ou bien lorsque la poursuite de la grossesse met en péril la santé de la femme enceinte. Cette définition inclut déjà des situations de très forte détresse psychosociale. Cependant, on constate trop souvent, localement, des divergences d'interprétation quant à l'opportunité de prendre en considération l'ensemble des détresses parmi les causes de péril grave justifiant la réalisation d'une IMG.

Ce texte pourrait constituer une véritable avancée sociétale, à condition que nous nous donnions les moyens de traiter jusqu'au bout les questions qui restent ouvertes, de lever les discriminations, toujours nombreuses, et d'assurer l'effectivité des droits nouveaux, consacrés ou réaffirmés.

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