Nous arrivons presque au bout du tunnel dans lequel est entré le projet de loi bioéthique durant ces deux dernières années. Beaucoup de choses ont changé depuis la première lecture : la crise sanitaire à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés exige de notre part un regard plus attentif sur la place que nous devons accorder à la science dans notre législation, s'agissant bien entendu de ses apports et du travail mené par toutes celles et par tous ceux qui la font.
Le groupe GDR a tenté – je dis bien : tenté – de trouver le bon compromis entre les progrès permis par la science et les formes éthiques que ces progrès doivent donner à nos vies. C'est pourquoi, au cours de la première lecture comme de la deuxième, nous avons défendu l'ouverture de l'AMP à toutes les femmes, considérant cette extension comme une avancée à la fois juste et indispensable. Notre avis en la matière n'a évidemment pas changé et nous nous réjouissons que l'AMP devienne enfin accessible à toutes les femmes, probablement en septembre, c'est-à-dire au moment de l'entrée en vigueur des décrets d'application.
On sait que notre société est déterminée à accompagner ce changement et qu'elle se félicite de la consécration du bonheur à venir pour ces femmes soucieuses de mener à bien leur projet parental. Les bouleversements ne seront pas anthropologiques, mais bien réels dans la vie de celles qui vont pouvoir accueillir un enfant dans le plus grand des bonheurs. La société attend de notre part que nous garantissions par ce texte l'égalité de toutes et tous en matière de recours à la procréation médicalement assistée. C'est donc une nouvelle étape que nous devons être collectivement fiers de franchir. Les femmes n'en pouvaient plus d'attendre.
Notre unique boussole doit être l'intérêt supérieur de l'enfant. N'en déplaise à celles et ceux qui se mobilisent pour interdire de nouveaux droits aux femmes, les enfants nés de couples de lesbiennes ou de femmes célibataires vont bien ; nous le voyons tout autour de nous et de nombreuses études le démontrent.
Le plus dur, pour ces enfants, ce sont les paroles de haine ; celles des intolérants qui, par exemple, scandent à l'envi qu'un enfant né par AMP est comparable à un légume OGM. Près des deux tiers des personnes interrogées sont favorables à une AMP égale pour toutes. Les Français et les Françaises sont décidément plus prêts pour cette avancée que bien des organisations bornées.
Au fond, je crois que ce point fait désormais assez peu débat dans les rangs de notre Parlement, même si la majorité sénatoriale de droite a fini par renier ce qu'elle avait consenti à accepter en première lecture. Pourquoi un tel revirement ? Sans doute a-t-elle agi par volonté de se distinguer de la majorité présidentielle – il faut dire que ce n'est pas toujours aisé.
Rappelons aussi que l'ouverture de l'AMP à toutes les femmes n'est pas la légalisation de la GPA. D'abord parce que l'AMP existe déjà pour les couples hétérosexuels qui ont parfois recours à un tiers donneur pour mener à bien leur projet parental. Un enfant sur trente naît grâce à l'AMP, c'est-à-dire soit par insémination artificielle, soit par fécondation in vitro. Dans ce second cas de figure, la technique médicale ne soigne pas l'infertilité ; la médecine ne rétablit pas une fonction défaillante : elle permet, par un arrangement social, à des femmes et à des hommes de devenir parents. Pourquoi en irait-il différemment pour une femme seule ou pour un couple de femmes ?
Ensuite, parce que la GPA est interdite par notre législation. Notre groupe, qui va voter l'ouverture de l'AMP à toutes les femmes, s'est toujours opposé à la GPA, qui répond à notre sens à une logique de marchandisation des corps. Néanmoins, à titre personnel, je trouve essentiel de sécuriser la filiation des enfants issus d'une GPA pratiquée à l'étranger. En effet, cette reconnaissance juridique relève bien de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Par ailleurs, nous avons refusé la proposition de la majorité d'ouvrir aux centres privés la possibilité de conserver les gamètes, si jamais un centre public faisait défaut dans un département. Il s'agit pour nous d'une ligne rouge que nous ne devons pas franchir si nous voulons rester fidèles à la philosophie humaniste qui fait la singularité de notre pays depuis de nombreuses années.
Oui, nous considérons que la bioéthique doit être mise à l'écart des logiques mortifères du capitalisme. Il en va de même pour nos données de santé. Là encore, la crise sanitaire nous a permis de nous interroger à nouveaux frais sur ce qui est acceptable ou non s'agissant des impératifs liés à la santé publique et à la protection de la vie privée. Hélas, comme en attestent les dernières révélations journalistiques en la matière, je crois que nous nous engageons sur un chemin peu compatible avec le respect de nos libertés fondamentales. C'est pourquoi nous devons instamment protéger nos données, particulièrement celles liées à notre santé, des appétits voraces de groupes privés souhaitant aller toujours plus loin dans la marchandisation des corps.
Nul doute que cette problématique sera l'un des principaux enjeux de la future révision des lois de bioéthique, au même titre que les débats entourant les embryons chimériques et toutes les techniques relatives à la création de semences génétiquement modifiées. Sur ce point comme sur d'autres, le législateur devra être vigilant afin de s'assurer que la science n'outrepasse pas les limites posées par la philosophie humaniste.
J'achèverai mon propos en formulant un regret personnel qui doit certainement être partagé par un grand nombre de collègues. Je déplore qu'au cours des trois années de discussions, nous n'ayons pas pu examiner l'importante question de la fin de vie.