Des lois Neuwirth et Veil, appliquées en 1972 et en 1975, aux lois de 1974 et de 1982 abolissant les discriminations liées à l'âge de la majorité sexuelle, en passant par le PACS, voté en 1999, ou le mariage pour tous, en 2013, les grandes lois d'égalité sexuelle, d'égalité entre les femmes et les hommes, quelle que soit leur identité de genre, leur statut marital ou leur orientation sexuelle, ont été des combats civils et des batailles parlementaires, des avancées arrachées par la force des convictions, par la détermination et la foi inébranlable dans le fait que le mouvement de l'histoire devait être celui d'un chemin de justice sociale.
Ces votes ont, à chaque fois, suscité des débats virulents, souvent houleux. En novembre 1974, la ministre de la santé, Simone Veil, rescapée des camps, doit écouter Jean-Marie Daillet parler d'embryons jetés au four crématoire, Jacques Médecin évoquer une barbarie organisée et couverte par la loi, comme elle le fut par les nazis, et Hector Rolland l'accuser de faire le choix d'un génocide. En 2013, lors des débats sur le mariage pour tous, les phrases assassines, les comparaisons douteuses et autres dérapages fusent à l'Assemblée. On se souvient des mots du député Philippe Cochet – « vous êtes en train d'assassiner des enfants » – qui provoquèrent le malaise jusque dans les rangs de l'opposition.
La loi progresse, les droits s'ouvrent, tant bien que mal. Mais je voudrais, ici, avoir une pensée pour toutes les familles, pour toutes les femmes et tous les enfants qui voient leur vie intime débattue, parfois jetée en pâture sur la place publique en de tels termes, quand ils réclament simplement les mêmes droits que chacun.
La loi de bioéthique que nous réexaminons aujourd'hui encore, et dont la principale disposition, l'ouverture de l'AMP à toutes les femmes, seules ou en couple, est aussi la plus controversée, n'échappe malheureusement pas à ces travers. Cette loi est un cas d'école pour tout étudiant en droit ou en science politique. Elle illustre dans le détail tous les méandres et subtilités de la procédure parlementaire. Nous en sommes déjà à la troisième lecture de ce texte et pourtant toujours au point de départ – devrais-je parler d'un point de blocage ? –, le même depuis juillet 2019, c'est-à-dire depuis presque deux ans. Deux ans pour rien : le texte que nous examinons aujourd'hui ne fait que rétablir sa version initiale après deux censures sénatoriales. Pendant ce temps, ce sont des milliers de familles et d'enfants qui demeurent dans la zone grise du vide juridique car, comme toujours, la société n'a pas attendu l'aval des parlementaires pour avancer et changer. Nous leur devons un cadre juridique clair et protecteur.
Ces familles s'accrochent à cet espoir depuis 2017, quand le candidat Emmanuel Macron était élu Président de la République, lui qui promettait l'ouverture de l'AMP aux femmes seules et aux couples de femmes. Il faut croire que les promesses de l'exécutif se sont abîmées aux écueils de la crise sanitaire et de l'échéance de 2022, avec ce qu'elle comporte de stratégie électoraliste. Les priorités gouvernementales ont bien évolué au gré des revers sécuritaires et conservateurs.
Est-il encore possible de voir cette loi appliquée d'ici la fin du mandat ? J'aimerais y croire, mais permettez-moi d'en douter. Notre calendrier parlementaire est saturé par de nombreux textes dits régaliens, toutes ces lois sur le terrorisme, la justice, la sécurité globale ou le séparatisme, ce dernier texte étant à nouveau débattu en ce moment même en commission spéciale. Il ne me semble pourtant pas qu'instaurer une surveillance généralisée de l'espace public, prétendre réformer la laïcité ou la liberté associative étaient des promesses de campagne. Encore une fois, les droits des femmes et des LGBT attendront, malgré les déclarations ministérielles optimistes.
Ces constats posés, ces doutes partagés avec vous, je ne me laisserai pas gagner par le pessimisme. Je veux encore croire en cette loi qui doit consacrer dans notre droit l'égalité de toutes les formes de famille. Je veux croire qu'il est encore possible de l'améliorer, en prenant en compte les personnes transgenres et les familles endeuillées, qui en sont toujours exclues. Je tiens, à ce titre, à saluer le travail fourni depuis deux ans par mon collègue Guillaume Chiche, qui ne pourra malheureusement pas s'exprimer sur ce texte en raison de son statut de député non inscrit et de la procédure de temps législatif programmé. La force du politique réside dans sa capacité à changer la vie des gens pour le meilleur. Nous avons aujourd'hui la possibilité de le faire. Ne reculons pas devant une société qui progresse !