Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, ce projet de loi tend à ratifier deux ordonnances du 19 janvier 2017.
L'article 1er prévoit la ratification de l'ordonnance relative à la profession de physicien médical. Faisant suite à un important travail de concertation mené depuis juin 2016 avec les représentants des physiciens médicaux et des spécialités médicales concernées, la reconnaissance du métier de physicien médical comme profession de santé est un progrès pour la sécurisation des pratiques médicales. Cette définition du cadre général et des missions du physicien médical permet ainsi de répondre à l'un des objectifs du Plan cancer 2014-2019 et d'appliquer les recommandations formulées par le Comité national de suivi des mesures nationales pour la radiothérapie après l'accident survenu à Épinal en 2005. Je crois que nous pouvons tous nous féliciter de la ratification de ce texte, qui sécurisera l'exercice d'une profession essentielle dans notre système de santé.
Venons-en à la ratification de l'ordonnance relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé, prévue par l'article 2 du projet de loi. L'ordonnance vise à transposer en droit interne trois dispositifs mis en place par une directive européenne de 2013 : la carte professionnelle européenne, le mécanisme d'alerte et l'accès partiel aux professions de santé.
Les deux premiers dispositifs constituent des avancées certaines en matière de coopération entre États membres. La carte professionnelle européenne est une procédure électronique permettant de faire reconnaître des qualifications professionnelles dans un autre pays de l'Union européenne ; ce système est plus simple et plus transparent que les procédures classiques de reconnaissance des qualifications. Le mécanisme d'alerte favorise la diffusion, à l'échelle européenne, de signalements de professionnels de santé qui n'auraient pas le droit d'exercer dans leur État d'origine, ce qui constitue, chacun en conviendra, un progrès évident pour la sécurité des patients dans l'Union européenne.
Évoquons plus longuement le troisième dispositif, l'accès partiel aux professions de santé, qui suscite davantage d'inquiétudes. Rappelons tout d'abord que ce dispositif ne concernera que les professions d'infirmier, de sage-femme, de médecin, de dentiste et de pharmacien, qui bénéficient déjà d'un régime de reconnaissance automatique des diplômes, les exigences minimales de formation ayant été harmonisées au niveau européen. Rappelons aussi que ce dispositif ne bénéficiera qu'à des ressortissants de l'Union européenne, sous réserve de vérification de leur formation et de leurs compétences.
Comme vous le savez, l'accès partiel est une novation juridique qui a été énoncée pour la première fois par la Cour de justice de l'Union européenne. Celle-ci avait estimé qu'un masseur-balnéothérapeute formé en Allemagne pouvait exercer en Grèce, dans la mesure où son exclusion aurait été contraire au principe de libre circulation. Ce dispositif a été repris dans une directive européenne de 2013 qui vise à assurer l'accès partiel de ressortissants de l'Union européenne à certaines professions médicales et paramédicales, et que la France devait transposer avant 2016. Il suscite néanmoins des inquiétudes certaines parmi les professionnels de santé de notre pays.
Un décret en Conseil d'État précisera les conditions et modalités de mise en oeuvre de la procédure d'instruction. Il nous paraît essentiel que ce décret soit le plus clair possible et fournisse un cadre précis pour l'instruction des dossiers par les instances et professionnels concernés. À cet égard, il ne saurait y avoir de France à deux vitesses, opposant des déserts médicaux où l'on recourrait massivement à l'accès partiel comme pis-aller à d'autres parties du pays où le recours à l'accès partiel serait drastiquement limité. Le groupe Nouvelle Gauche est extrêmement attaché à la lutte contre les inégalités territoriales en matière de santé. Mes collègues Guillaume Garot et Stéphane Le Foll défendront ainsi, en janvier prochain, une proposition de loi visant à lutter contre la désertification médicale. Il a été précisé que les membres de la commission des affaires sociales seraient associés à la rédaction du décret. Cependant, il nous paraît plus important encore que les ordres et commissions concernés le soient aussi, car ce sont eux qui devront instruire les demandes d'accès partiel et, in fine, l'accorder ou non.
Afin de pouvoir préparer certaines professions à l'accès partiel, il est nécessaire que nous disposions d'un état des lieux des professions de santé existant dans l'Union européenne. Il s'agira d'un outil précieux pour les instances chargées d'accorder un accès partiel ou non : il leur permettra d'établir les périmètres d'exercice des professionnels susceptibles de solliciter une reconnaissance d'accès. La France doit saisir prochainement la Commission européenne en vue d'obtenir une telle cartographie. Nous aurions cependant préféré disposer de cet outil avant la ratification de cette ordonnance, car il nous aurait fourni des données plus précises et plus fines.
Vous nous avez, par ailleurs, assurés, madame la ministre, que vous seriez particulièrement vigilante quant aux conditions de déploiement de l'accès partiel au sein de notre système de santé et que vous n'hésiteriez pas à invoquer une raison impérieuse d'intérêt général dès lors que le fait d'accorder l'accès partiel à un professionnel ferait courir un risque en matière de qualité et de sécurité des prises en charge. La directive le permet en effet. Cette vigilance nous paraît de mise : l'accès partiel a vocation à être autorisé non pas de manière générale, mais au cas par cas. Des refus pourront et devront être prononcés lorsque les circonstances l'exigent, au nom de la protection de la santé de nos concitoyens : c'est la condition même du succès du dispositif et de la confiance des Français en leur système de santé.
Comme vous le savez, notre réserve la plus sérieuse porte sur le point suivant : le texte de la directive prévoit que tout État membre pourra refuser l'accès partiel aux professions de santé dès lors qu'elles ont « des implications en matière de santé publique ou de sécurité des patients ». L'Allemagne, par exemple, a fait le choix d'invoquer cette disposition, de telle sorte que ses citoyens aient la confiance la plus absolue dans leur système de santé.
Comme nous avons malheureusement eu l'occasion de le constater, notamment au cours des débats sur l'extension de l'obligation vaccinale lors de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018, certains de nos concitoyens font preuve de scepticisme, voire de défiance, à l'égard des membres du corps médical et des professionnels de santé. Même s'il est minoritaire, ce phénomène n'en est pas moins préoccupant. Il ne faudrait pas que l'exercice, sous conditions, de professions médicales ou paramédicales par des ressortissants de l'Union européenne contribue à l'amplification de ce phénomène regrettable.
Comme cela a été indiqué au cours des discussions, nous ne savons pas si le choix fait par la France avec cette ordonnance relève d'une interprétation correcte de la directive ou s'il s'agit d'une potentielle « surtransposition ». La question est d'importance : certains professionnels de santé pourraient subir de ce fait une concurrence déloyale et, surtout, la qualité des soins pour les patients pourrait diminuer. Ce débat n'est d'ailleurs pas propre à la France : il y a quelques mois, quatorze pays ont été rappelés à l'ordre par la Commission européenne, car ils n'avaient pas encore transposé la directive.
Enfin, comme nous l'avons noté à l'occasion de travaux précédents, ce dispositif risque de créer des effets d'aubaine, car des étudiants français ayant obtenu leur diplôme à l'étranger pourraient revenir exercer dans notre pays et contourner ainsi le numerus clausus. Ce phénomène est déjà à l'oeuvre, nous le savons, et cela appelle une vaste réflexion sur l'adéquation entre notre offre de formation médicale et paramédicale, l'étendue des besoins de notre système de santé et les aspirations des jeunes.
Ces différentes questions demeurant ouvertes, notre position reste plus que réservée à propos de l'accès partiel. Il nous paraît nécessaire de laisser du temps, d'une part, à la concertation avec les professionnels de santé et, d'autre part, à un dialogue nourri avec la Commission européenne à ce sujet. Le groupe Nouvelle Gauche ne votera donc pas la ratification de cette ordonnance.
Le 22/12/2017 à 09:49, Laïc1 a dit :
" Ce dispositif a été repris dans une directive européenne de 2013 qui vise à assurer l'accès partiel de ressortissants de l'Union européenne à certaines professions médicales et paramédicales, et que la France devait transposer avant 2016. Il suscite néanmoins des inquiétudes certaines parmi les professionnels de santé de notre pays."
Pas tant que l'abrogation pure et simple du numerus clausus...
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