Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, nous examinons aujourd'hui le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 19 janvier 2017 relative à la profession de physicien médical et à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé. S'agissant de l'article 1er, relatif à la profession de physicien médical, nous saluons la reconnaissance dans la loi de cette profession de santé. Il s'agit d'une avancée qui répond à une attente forte des acteurs concernés et à une double exigence de sécurité et de qualité des prises en charge des patients, double exigence que nous ne retrouvons pas, malheureusement, à l'article 2, relatif à l'accès partiel des ressortissants européens aux professions médicales et paramédicales. Cet article transpose dans le domaine de la santé une directive européenne de 2013 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.
Tous les ordres professionnels sont inquiets de la transposition dans notre droit de cette directive. L'accès partiel prévoit concrètement qu'un diplômé européen ne détenant pas le niveau de formation requis pour exercer pleinement une profession de santé en France pourra s'installer sur le territoire national pour n'exercer qu'une partie de celle-ci, et ce, alors que nous ne disposons d'aucun élément d'évaluation sur le nombre de professionnels susceptibles de formuler une demande en France ou sur la nature même des professions qui pourraient être concernées.
L'imprécision concernant ces professions installe un flou qui ne peut que les braquer. Il est vrai que cette mesure risque de créer des sous-professions qui ne pourront qu'aggraver la complexité de l'organisation des soins. Comment pourra-t-on contrôler qu'un professionnel exerçant en libéral n'outrepasse pas le champ des compétences partielles qui lui ont été reconnues pour exercer ?
Cette mesure révèle une vision mécaniste qui réduit toutes les branches de la médecine à une juxtaposition de compétences partielles, sans vue d'ensemble ni prise en compte des liaisons et interactions pouvant exister entre les différentes briques. C'est une façon de traiter les activités médicales comme une collection d'objets que l'on pourrait assembler et séparer à loisir. Une telle approche fait de la santé une marchandise parmi d'autres.
Comment ne pas voir que ces mesures feraient le jeu des plateformes, en organisant la balkanisation des professions médicales et en favorisant le recours à des intervenants prêts à accepter une position de subordination dès lors que celle-ci leur assurerait un minimum de chiffre d'affaires ? Comment ne pas comprendre qu'elles signeraient une nouvelle étape dans le démembrement de plusieurs professions et ouvriraient largement la voie à la banalisation de soins low cost ?
L'article 2 du présent projet de loi crée une insécurité sanitaire totale pour les patients, qui auront sans doute bien du mal à faire la différence entre des professionnels à exercice complet et des professionnels à exercice partiel. Le Haut Conseil des professions paramédicales ne s'y est pas trompé : il a rejeté ce texte à l'unanimité de ses membres.
Si cette directive est transposée en l'état, les professions paramédicales seront, de fait, en première ligne. Le séquençage des activités, que d'aucuns voient comme le prélude à une ubérisation de notre système de soins, créerait une multitude de professions intermédiaires mal définies, notamment entre celle d'aide-soignant et d'infirmier.
Mes chers collègues, mesurons bien les risques encourus. Les infirmiers français sont aujourd'hui obligés de détenir toutes les compétences inscrites au référentiel du diplôme d'État. À défaut, ils peuvent faire l'objet d'une procédure de contrôle de l'insuffisance professionnelle entraînant une suspension voire une interdiction d'exercer comme infirmier. Pourquoi les titulaires de diplômes étrangers échapperaient-ils à ce contrôle ?
Dans ce contexte, quel sens a encore la volonté d'intégrer la profession infirmière dans le processus licence-master-doctorat – LMD ? La ratification de la présente ordonnance va à l'encontre tant de l'élévation de la qualification des professionnels médicaux et paramédicaux dans le cadre européen LMD que du développement des coopérations interprofessionnelles.
Plusieurs difficultés pratiques sont aussi à pointer. D'abord, le surcoût potentiel pour la Sécurité sociale, si des patients se trouvent contraints de consulter deux professionnels au lieu d'un, compte tenu de la limitation des compétences du premier. Ensuite, l'effet d'aubaine pour les formateurs étrangers, alors que la formation des personnels médicaux et paramédicaux fait déjà l'objet d'un marché très disputé. Enfin, la question de la sécurité réellement garantie au patient, alors que des difficultés importantes sont d'ores et déjà constatées, s'agissant notamment de la compétence linguistique des professionnels.
Aujourd'hui, quatorze pays européens n'ont pas transposé cette directive. L'Allemagne a refusé de l'appliquer aux professions de santé. Il n'y avait donc ni obligation, ni urgence à utiliser la voie de l'ordonnance pour imposer un texte refusé par les professionnels et dangereux pour la population. Alors que la France se dirige vers un système d'autorisation encadrée, l'Allemagne opte pour une interdiction avec dérogations. La directive européenne de 2013 laisse place à cette alternative, puisqu'elle précise qu' « un État membre devrait être en mesure de refuser l'accès partiel. Cela peut être le cas, en particulier, pour les professions de santé ». L'argument principal du Gouvernement – « si on ne transpose pas maintenant, on risque de s'attirer les foudres de l'Europe » – ne tient donc pas. L'intérêt premier, c'est la sécurité des patients !
Il ne faut pas subir l'Europe. Cette manière de faire vivre le projet européen comme une somme de contraintes est tout à fait délétère, car le message envoyé à nos concitoyens est que nous n'avons pas le choix et que nous ne maîtrisons plus notre avenir. Cette façon de gouverner dans la peur d'éventuelles sanctions européennes doit nous amener à ouvrir le débat, et ce sera mon dernier point, sur les surtranspositions des directives européennes.
Le concept de « surtransposition » s'entend comme la transposition d'une directive qui en étend les dispositions au-delà de ce qui est expressément prévu. Lorsqu'un texte prévoit qu' « un État membre devrait être en mesure de refuser l'accès partiel, notamment pour les professions de santé », pourquoi ne pas s'en tenir à une transposition minimale, comme l'a fait l'Allemagne, ne serait-ce que par précaution ? Je rappelle que les commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat ont rendu des avis défavorables à l'accès partiel aux professions de santé.
C'est donc le respect même du principe de subsidiarité, coeur du projet européen, qui se joue ici. Je rappelle que l'article 88-6 de la Constitution stipule : « L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité ». Cela signifie que nous autres, parlementaires, avons une marge de manoeuvre par rapport aux actes législatifs européens, et que nous devons y veiller. Non, contrairement à ce que le Gouvernement laisse entendre, l'Europe ne nous oblige pas à désorganiser notre système de santé ! Notre responsabilité, comme celle du Gouvernement, consiste justement à ne pas se cacher derrière l'Europe pour assumer les décisions engageant l'avenir de la nation.
Mes chers collègues, veillons au principe de subsidiarité, pierre angulaire de la coopération européenne. Veillons à notre souveraineté. Veillons à la qualité et à la bonne organisation de notre système de santé. Parce qu'il est animé de ce souci, de ces soucis, le groupe Les Républicains votera contre ce texte.
Le 22/12/2017 à 10:36, Laïc1 a dit :
C'est bien : on tape sur l'accès partiel sans proposer l'élimination du numerus clausus : les victimes du désert médical français apprécieront.
Au fait, les LR comptent rester dans l'opposition 5 ans, 10 ans, ou 1 siècle ?
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