En préambule, je tiens à rappeler que nous examinons cette proposition de loi alors que nous n'avons pu aborder les questions numériques et environnementales au moment de la discussion du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Pourtant, la nécessité de légiférer dans ce domaine est réelle et indiscutable. Comme l'indique le rapport sénatorial sur le présent texte, l'essor de la pollution liée au secteur numérique sera « inexorable » si rien n'est fait pour enrayer la dynamique actuelle.
Par ailleurs, comme je l'ai indiqué en commission, il est indispensable de ne pas se limiter aux seules émissions, mais bien de prendre en compte l'ensemble des atteintes environnementales liées au développement des technologies numériques. Au-delà des chiffres, il faut aussi constater les changements survenus dans notre société ces trente dernières années. La révolution numérique a profondément bouleversé nos modes de vie, notre rapport aux autres, à l'espace et au temps. Le développement des ordinateurs personnels, l'accès à internet et toutes ses applications dans le domaine des transports ou de la médecine sont une véritable chance. Le numérique est présent partout dans nos vies. Il faut donc apprendre à vivre avec, en améliorant notre compréhension, notre conscience de ses effets sur nos vies, sur l'environnement, et ce, dès le plus jeune âge. En somme, il faut analyser notre relation à cette nouvelle technologie.
Le chapitre Ier de la proposition de loi insiste donc sur la formation des enfants et des jeunes, afin qu'ils acquièrent une réelle connaissance des enjeux et développent un rapport sain à cette technologie, à travers le concept de sobriété numérique. L'information des consommateurs représente une partie importante de ce texte et nous sommes attachés à améliorer ce volet et à maintenir les dispositions adoptées par le Sénat.
Aujourd'hui, nous disposons presque tous d'un ordinateur surpuissant, de 14 centimètres sur 7, que nous portons dans notre poche et qui nous donne accès à un savoir presque illimité, nous connecte à notre famille, nos amis, nous permet de nous orienter, de nous faire livrer un repas, de commander un taxi, et ainsi de suite. Plus de cinq milliards de personnes utilisent un téléphone mobile dans le monde ; plusieurs centaines de millions d'ordinateurs sont vendus chaque année. Quelque 80 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur numérique émanent de la fabrication des terminaux. Ce constat doit nous amener à agir dans trois directions : améliorer l'efficience environnementale des technologies ; limiter le renouvellement des terminaux ; développer fortement le reconditionnement et le réemploi.
Plusieurs articles du texte vont en ce sens. Malheureusement, le Gouvernement souhaite revenir sur une mesure importante, l'abaissement de la TVA lors de l'acquisition de produits reconditionnés. Nous le déplorons car leur prix reste déterminant pour beaucoup. Il convient en outre de développer la réparabilité à grande échelle, ce qui implique, pour nous, de connaître les technologies utilisées et, pour les fabricants, de développer des produits plus accessibles. La question de la disponibilité des pièces et de ses délais est essentielle pour limiter le renouvellement des terminaux, prolonger la durée de vie des équipements et développer un rapport différent à ces technologies.
Comme le rappelait l'écrivain Alain Damasio lors d'un entretien récent publié dans le journal Le Monde : « Lorsqu'on n'a pas la capacité de bricoler, de comprendre ou de s'approprier le fonctionnement d'une machine, on perd en autonomie et en potentiel d'émancipation. Une technique qui ne peut plus émanciper se retourne vite contre son utilisateur : c'est elle qui va lui dire comment se comporter. »
Lutter pour le développement de la réparabilité et contre l'obsolescence programmée du matériel, c'est aussi agir sur l'impact social et géopolitique de ce secteur. La gestion de nos déchets revêt une importance centrale, afin d'éviter que les terminaux usagés se retrouvent dans d'immenses décharges, à l'autre bout du monde, où des populations sont exposées aux pollutions.
J'en viens aux usages et techniques. Dans les années 2010, les réseaux dits sociaux ont une nouvelle fois bouleversé nos interactions sociales. Les modèles économiques des entreprises qui les lancent sont fondés sur la création de dépendances fortes aux objets et services proposés prétendument gratuitement. Le législateur doit formellement protéger le consommateur de pratiques néfastes pour sa santé et ses pensées. Face aux géants du numérique, nous ne pouvons être naïfs et nous contenter de sensibiliser et d'accompagner. Il est donc selon nous indispensable d'inscrire dans la loi l'interdiction du scroll – défilement – infini ou de l'autoplay, par exemple.
Enfin, le projet du Gouvernement de remplacer l'obligation d'éco-conception des sites par la création d'un référentiel général de l'éco-conception des services numériques, qui pourra servir de base pour la mise en œuvre volontaire de bonnes pratiques ne pourra pas acceptable, car insuffisant.
Je souhaite une nouvelle fois remercier les différentes ONG – organisations non gouvernementales – avec lesquelles nous avons travaillé sur ce texte très technique. S'il constitue un premier pas indispensable à une prise de conscience générale, nous ne devons pas restreindre sa portée, au vu des enjeux environnementaux et sociaux.