L'épidémie de covid-19 a provoqué un paradoxe inattendu : alors même que nous cherchions à préserver notre santé et à sauver la vie des plus vulnérables, les mesures prises pour freiner l'épidémie et les comportements recommandés ont eu et continuent d'avoir un certain nombre d'effets négatifs sur la santé et l'espérance de vie des Français. Les confinements successifs – le premier tout particulièrement – ont eu des conséquences directes et indirectes sur notre bien-être physique et mental.
Il faut veiller à évaluer et à réduire au maximum les conséquences sanitaires liées aux reports et aux renoncements aux soins. Celles-ci ne seront visibles que dans quelques années, mais c'est dès aujourd'hui qu'il faut les éviter. Lors du premier confinement, près de 60 % des personnes ont indiqué ne pas avoir réalisé au moins un soin ou un acte dont elles avaient pourtant besoin. Très rapidement, la baisse de l'activité médicale s'est constatée sur tous les territoires, due à la peur d'être contaminé, de contaminer les autres ou de surcharger les médecins. Une sous-consommation de médicaments pour les pathologies chroniques a été aussi notée. À chaque reprise épidémique, les établissements de santé ont dû procéder à une déprogrammation massive des interventions médicales et chirurgicales non urgentes. Cela a entraîné et continue d'entraîner des pertes de chances parfois irréversibles.
La crainte a été particulièrement vive pour les femmes confrontées à une grossesse non désirée. Les alertes du terrain ont été nombreuses. Le planning familial a ainsi fait état d'un triplement des appels relatifs à des difficultés d'accès à l'IVG – interruption volontaire de grossesse – ou de dépassement des délais pour en solliciter une.
Par ailleurs, les personnes qui renoncent aux soins sont celles qui ont connu une baisse de revenu : comme souvent les fragilités sociales et sanitaires se cumulent.
Au-delà de l'accès aux soins, des effets à long terme sont à chercher du côté du manque de prévention et des retards dans les dépistages. La crise sanitaire a légitimement monopolisé notre attention, au risque de placer au second plan la prévention d'autres maladies. Nous avons ainsi enregistré une baisse de 10 % des mammographies et de 20 % des coloscopies. Certaines études aboutissent à la perspective d'une surmortalité par cancer de l'ordre de 6 % en moyenne au cours des cinq prochaines années. Cette surmortalité atteindrait même 20 % pour les cancers de l'utérus.
La vaccination a elle aussi été ralentie, alors même que nous venions de rendre obligatoire l'injection de huit vaccins supplémentaires pour les enfants. À cet égard, le retard pris lors du premier confinement n'a pas encore été totalement rattrapé, ce qui risque de retarder l'éradication de certaines maladies infectieuses.
La prévention, c'est aussi l'activité physique et le sport, qui ont connu un très net ralentissement lors des confinements, à cause – nous le savons – de la fermeture des clubs et des salles de sport. Nous ne devons absolument pas négliger cet aspect, d'autant plus que les pratiques addictives ont augmenté en parallèle. Alors qu'il baissait ces dernières années, nous avons constaté un regain du tabagisme en 2020, notamment chez les plus précaires.
Ces pratiques addictives sont aussi des indicateurs de détérioration de la santé mentale des Français, surtout les plus modestes. Stress, crainte pour soi et ses proches, absence de contact humain : les états anxieux ou dépressifs se sont accrus de manière impressionnante. La préoccupation est très forte s'agissant des plus jeunes : les services de pédopsychiatrie sont très largement débordés.
Cela étant, les questions de santé mentale semblent moins taboues. Cette prise de conscience doit se poursuivre et se matérialiser par des actions politiques visant à soutenir le financement ainsi que l'organisation territoriale de la psychiatrie. Les mesures ponctuelles prises à destination des étudiants et des enfants doivent être pérennisées.
Enfin, comment ne pas évoquer nos aînés et plus particulièrement les résidents de nos EHPAD ? Ils ont payé un lourd tribut dans cette crise. Premières victimes de l'épidémie, ils ont aussi très mal vécu les mesures d'isolement, qui ont précipité des phénomènes de glissement.
Monsieur le ministre, l'épidémie de covid-19 doit être l'occasion de repenser notre système de santé et nos politiques de soutien à l'autonomie. Il est encore temps d'éviter que de nouveaux drames s'ajoutent à cette crise sanitaire. Il faut aussi s'inspirer des initiatives positives qui ont émergé, comme les coopérations sanitaires sur le terrain, la télémédecine ou encore le soutien à la santé mentale. Nous devons collectivement faire de cette crise une leçon.